Pass sanitaire obligatoire pour les salariés : un coup de massue «pour les jeunes et les précaires» Obligation de sécurité «Une pression inacceptable»

26/10/2022 Par acomputer 456 Vues

Pass sanitaire obligatoire pour les salariés : un coup de massue «pour les jeunes et les précaires» Obligation de sécurité «Une pression inacceptable»

L’ère du pass sanitaire généralisé sera-t-elle aussi celle d’un recul des droits des travailleurs ? C’est la crainte de plusieurs syndicats, avocats, institutions ou élus qui pointent, ces jours-ci, de possibles dérives causées par l’obligation de présenter un pass sanitaire valide pour travailler dans plusieurs secteurs en contact avec du public. A compter du 30 août, le projet de loi du gouvernement prévoit que «les personnes qui interviennent» dans des lieux accueillant du public présentent un pass sanitaire valide (double vaccination, certificat de rétablissement du Covid ou test négatif récent) pour y travailler. Sont donc concernés les salariés et agents travaillant dans des lieux de loisir (parcs d’attractions, musées, cinémas, théâtres, piscines…), des Ehpad, des restaurants, de grands magasins ou centres commerciaux mais aussi des cheminots par exemple.

Les employeurs seront chargés de contrôler les pass sanitaires. Si un salarié ou un agent refuse de s’y soumettre, sa hiérarchie pourra lui notifier «par tout moyen» (donc oral ou écrit) la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail, sans rémunération. La suspension pourra prendre fin «dès que l’intéressé produit les justificatifs requis». Mais s’il ne l’a toujours pas fait au bout de cinq jours, la loi prévoit qu’il soit convoqué à un entretien «afin d’examiner avec [lui] les moyens de régulariser sa situation». Dans les cas où cette situation durerait au-delà de deux mois, son employeur disposera d’un motif spécifique pour le licencier (pour motif personnel, avec indemnités) ou mettre fin à ses fonctions.

Il s’agit d’un assouplissement par rapport au projet de loi initial, qui prévoyait que la rupture du contrat de travail soit automatique. Mais il s’agit tout de même d’une forme d’innovation juridique, dans laquelle la Défenseure des droits décèle des «risques discriminatoires […] particulièrement présents». «Les mesures prévues par le projet de loi ont pour conséquence d’opérer in fine une distinction entre les travailleurs détenteurs de l’un des trois documents demandés et les autres», alerte Claire Hédon dans un communiqué publié mardi. Un argument également avancé par le Syndicat des avocats de France (SAF). Des avocats interrogés la semaine dernière par l’AFP ont aussi trouvé le projet gouvernemental «choquant au niveau du droit» en ce qu’il renvoie de fait le salarié ou l’agent à une quasi-obligation de se faire vacciner, sauf à tolérer de se faire tester tous les deux jours.

Des positions que nuance Emmanuel Dockès, professeur agrégé en droit du travail à Paris Nanterre. Selon lui, si la voie empruntée par le gouvernement est effectivement nouvelle et contestable d’un point de vue formel, elle repose sur une logique «tout à fait traditionnelle, à savoir l’idée que l’employeur est tenu de faire respecter les règles de sécurité dans son entreprise». «Quand l’employeur impose des règles de sécurité comme un harnais quand on travaille en hauteur ou bien un masque dans les métiers de la chimie, il est chargé de faire respecter ces règles et les salariés sont soumis à son pouvoir disciplinaire», explique-t-il. Dès lors, «si le comportement d’un salarié peut être qualifié de dangereux, il est envisageable de recourir à une suspension conservatoire de son contrat».

Pass sanitaire obligatoire pour les salariés : un coup de massue «pour les jeunes et les précaires» Obligation de sécurité «Une pression inacceptable»

Du côté syndical, la CGT dénonce, dans un communiqué ce mercredi, un texte «qui porterait atteinte à [la] liberté de travailler». Et s’oppose «à la méthode qui consiste à faire peser la responsabilité sur l’individuel et pas sur le collectif», explique la secrétaire confédérale Nathalie Verdeil à Libération. «C’est ubuesque de faire aujourd’hui reposer la sanction sur le salarié alors que, depuis plus d’un an, le gouvernement s’est toujours contenté de faire des recommandations aux employeurs.» Un argument que rejoint Emmanuel Dockès : «Un manque évident du projet consiste à n’avoir rien prévu concernant la médecine du travail. On a une médecine du travail, on se demande comment il n’a même pas été envisagé de demander à l’employeur d’organiser un rendez-vous médical d’accompagnement du salarié à la vaccination.»

Les employeurs sont tout de même menacés d’une amende si d’aventure ils ne contrôlent ni leurs clients ni leurs salariés. Ce qui soulève d’ailleurs d’autres inquiétudes. Ainsi, la Défenseure des droits «s’interroge sur le choix d’octroyer à des entreprises publiques et privées une forme de pouvoir de police». «Ce contrôle devrait relever des autorités publiques, compte tenu des risques inhérents à l’exercice d’un tel pouvoir», écrit-elle. A la CFDT, la secrétaire nationale Catherine Pinchaut craint que cette décision n’engendre des «conflits potentiels» aussi bien entre employeurs et salariés qu’entre salariés et clients ou usagers. «On nous délègue une fonction qui n’est pas la nôtre», relevait aussi, mardi, le président de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin. Tout en ajoutant : «S’il faut en passer là pour lutter contre la pandémie, nous y sommes prêts.»

Par-delà les risques de contentieux juridiques encore difficiles à cerner, des syndicats reprochent par ailleurs au gouvernement de mettre sous pression, à travers ces nouvelles dispositions, des salariés bien souvent situés en bas de l’échelle sociale. «Ce projet de texte prévoit des délais d’application très courts alors même qu’une part importante des populations jeunes ou précaires n’a pas encore eu accès à la vaccination et que les délais pour un premier rendez-vous s’allongent, faisant porter une pression inacceptable sur cette population», écrit la CGT. La FSU Territoriale rappelle, elle, que «la campagne de vaccination n’a été ouverte à l’ensemble de la population adulte que depuis le 31 mai 2021» et que la prise de rendez-vous se fait essentiellement sur Internet, ce qui pénalise nombre de personnes éloignées des outils numériques. Présent dans les collectivités locales, le syndicat s’interroge : «Alors que les effectifs des services d’aide à la personne ou des EHPAD sont déjà en tension, comment peut-on justifier d’empêcher des agents de travailler au risque d’une dégradation supplémentaire du service rendu ?»

Invitée mardi soir sur BFM TV, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, s’est montrée ouverte à des aménagements du projet de loi en affirmant que «l’objectif, c’est vraiment qu’on trouve des solutions pour les salariés». Ce mercredi, le gouvernement a déposé plusieurs amendements, dont un vise à «prévoir la possibilité de poser des congés le temps d’effectuer les démarches nécessaires [...] et d’examiner les possibilités de reclassement sur un autre poste».

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