John Butler Trio, indépendant à tout prix - Rolling Stone

18/10/2022 Par acomputer 411 Vues

John Butler Trio, indépendant à tout prix - Rolling Stone

Avec « Home », l’Australien démontre l’étendue de ses qualités de songwriter féru de bluegrass, de grands espaces… et de Beyoncé.

Ce lundi matin, dans les bureaux de son label parisien, John Butler est très en forme. Même s’il a fait un long voyage en avion, qu’il s’est retrouvé coincé dans des embouteillages en huis clos avec une conductrice de mauvaise humeur et que le jet lag, en plus de ça, est de la partie. Lorsqu’on toque à la porte, on l’entend chanter. Butler n’est pas du genre à se déplacer sans sa guitare. Chemise rouge à carreaux, tatouages multiples, chèche bariolé autour du cou et jean troué, le musicien respecte les codes rock’n’roll – tendance surfeur, au vu de sa chevelure décolorée par le soleil.Cela ne l’empêche pas de mener sa carrière d’une main de maître. Il a fondé son propre label, Jarrah, et son groupe, avec Grant Gerathy à la batterie et Byron Luiters à la basse. Bien que l’entente ne soit pas remise en question, ils ne sont que peu intervenus dans la confection de Home, le septième album studio. « Ce disque, je l’ai écrit dès la sortie du précédent, Flesh & Blood, en 2014, explique Butler. Dans des chambres d’hôtel, des aéroports, des vans, dans ma chambre sur GarageBand… C’était une initiative très personnelle qui nécessitait que je sois face à moi-même, ce qui a été le cas également pour la plupart de l’enregistrement. J’ai voulu intégrer les beats que j’avais imaginés, plutôt hip-hop, avec le finger picking qui est le mien. » Le résultat est à la fois folk et pop, occidental et tribal. En effet, Butler a séjourné en Inde, où il a étudié différents types de cordes, tout en écoutant en boucle Lemonade de Beyoncé ! « Missy Elliott, Bon Iver, Ed Sheeran, la musique celtique, Pharrell Williams, Bob Dylan, Tracy Chapman… Tous apparaissent dans mes chansons, d’une manière ou d’une autre. Du blues, j’en ai déjà plein la tête, alors je ne me refuse jamais un tube de Britney Spears ou Bruno Mars ! »

Un éclectisme qui se retrouve aussi dans les racines de Butler : Bulgarie, Égypte, Grèce… Si sa mère est américaine et qu’il est né en Californie, son père est australien. Enfant, il a déménagé à Pinjarra avant de faire ses études à Perth, où il réside actuellement. Baptiser son album Home n’est donc pas anodin : « Ma maison, c’est d’abord mon corps et mon esprit. Je dois vivre en paix avec eux. C’est aussi ma famille, ma femme et mes enfants. Enfin, c’est la région où j’ai grandi, l’ouest de l’Australie, ses odeurs et ses couleurs. » Engagé depuis toujours dans la préservation de l’environnement, végétarien convaincu, Butler a soutenu de nombreuses actions pour la sauvegarde de l’environnement (Save the Kimberley en Australie, WWF pour la barrière de corail du Queensland…) comme pour la protection des populations, notamment celle de la Papouasie du Sud. Cependant, il n’a pas joué la carte de la protest song cette fois-ci : « Je voulais surtout exprimer mes interrogations sur mon identité d’homme, d’homme blanc pas forcément très malin, qui essaye de faire de son mieux dans un monde où, entre 25 et 45 ans, les hommes ne meurent pas seulement à cause de la drogue, du surf ou de la criminalité, mais aussi, beaucoup, parce qu’ils se suicident. » Butler chante donc sa condition de père (son ls apparaît dans le clip de « Wade in the Water » où tous deux font du skateboard), de compagnon, d’artiste, mais aussi de fils, notamment avec le morceau « Coffee, Methadone & Cigarettes », qui fait référence à son père, traumatisé par un drame familial, le grand-père de Butler étant mort en voulant éteindre un incendie dans un bush, laissant sa femme et ses huit enfants désemparés. « Un trauma familial peut se transmettre sur six générations, et cette douleur est arrivée jusqu’à moi. »

John Butler Trio, indépendant à tout prix - Rolling Stone

Avec Home, Butler fait donc le bilan d’une vie jusqu’ici bien remplie, avec ses hauts, ses bas, ses victoires et ses regrets : « Lorsque j’avais la vingtaine, j’ai trompé ma compagne, je vivais tout de manière exagérément intense. À la naissance de mon premier enfant, j’avais 27 ans, j’étais encore très immature, ma femme a dû me suivre en tournée avec le bébé. Quel égoïsme de ma part ! J’aurais aimé grandir plus tôt, ne pas attendre que mes enfants fassent enfin de moi l’homme que je suis aujourd’hui. D’ailleurs, si le monde va si mal, c’est parce qu’il est gouverné par des petits garçons qui n’ont pas grandi, comme Donald Trump. »La peur de ne pas réussir un disque ou de rater un concert, de ne pas trouver la sérénité, de ne pas gérer son ego comme il le devrait font de John Butler un adepte du « carpe diem » : il ne souhaite rien d’autre que ce qu’il a déjà. D’ailleurs, il est très fier du chemin accompli : « Certains artistes ne font que passer. Si je n’ai plus de disque de platine comme ça a été le cas en Australie, mon public m’est très fidèle grâce aux tournées. Et ça, c’est parce que j’ai fondé mon propre label indépendant, que je ne travaille plus avec une major qui a pour seul intérêt le chiffre d’affaires que je peux lui rapporter. J’ai eu la chance de cultiver mon propre jardin, qui me nourrit, même s’il faut beaucoup s’en occuper. Vingt ans après mes débuts, il est toujours fertile. Il me permet de vivre la vie que j’ai toujours voulu avoir, celle d’un musicien libre de chanter ce qu’il veut. »

Sophie Rosemont