PORTRAIT. Hassan, fumeur de crack à Paris : "Cette drogue est un piège violent"

25/03/2022 Par acomputer 582 Vues

PORTRAIT. Hassan, fumeur de crack à Paris : "Cette drogue est un piège violent"

Par Simon Louvet Publié le Actu Paris Voir mon actu

« Lui, il fume à cause de son père », souffle Hassan en voyant passer un enfant âgé d’à peine 14 ans, sur le trottoir de la rue Riquet dans le 18ème arrondissement de Paris. Si Hassan est au courant, c’est parce qu’il fréquente le camp de toxicomanes « tous les jours », pour se fournir en crack et consommer sa drogue, un « piège » dans lequel il est tombé.

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« La première fois, tu te sens comme un taureau qui voit le torero »

Comme les riverains éberlués par l’enfant qui revendique de fumer « comme tout le monde », Hassan se dit « choqué ». Mardi 21 septembre 2021, comme la veille et le lendemain, il a fait le chemin depuis Meudon (Hauts-de-Seine), pour avoir son caillou. « La première fois de ma vie, c’était il y a cinq ou six ans », essaie de situer l’homme de 54 ans.

Bonnet du PSG sur la tête, maillot de gardien de but amateur et sac à dos de tennisman sur les épaules, il s’est arrêté à une dizaine de mètres du camp de toxicomanes, où les fumeurs font craquer leurs briquets sous l’œil des « modous », les dealers qui tiennent sous leur coupe les 200 consommateurs prêts à tout pour avoir leur dose, du vol à la prostitution.

Pourquoi c’est violent et addictif

Une longue liste qui débute, pour tous, par une première expérience destructrice que veut bien raconter Hassan : « Quand tu fumes la première fois, tu te sens comme le taureau quand il voit le torero, ça t’emporte, ça te donne une adrénaline incroyable. Moi, je me suis senti plus fort que tout le monde. » Une « explosion » qu’on ne vit qu’une fois.

Ce « bang » qui retentit dans le cerveau des primo-inhalateurs est causé par la transformation de la cocaïne, « basée » pour donner le caillou de crack. Ce mélange de cocaïne « purifiée » à l’ammoniaque « décuple les effets en intensité et en rapidité d’action », rendant « la descente plus rapide » tout en « renforçant l’addiction très rapidement, avec un impact physique et psychique », expliquait à actu Paris le psychiatre addictologue Mario Blaise.

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Les toxicomanes sous la coupe violente des dealers

PORTRAIT. Hassan, fumeur de crack à Paris :

Une « explosion » que ne vivent qu’une seule fois les consommateurs des scènes ouvertes enkystées dans le nord-est parisien. Pour deux raisons. D’abord parce que les fumeurs « consomment à nouveau pour revivre le premier effet, qui ne revient jamais », expliquait Mario Blaise. Et surtout car « le premier caillou est toujours plus pur », selon Stalincrack, riverain sous pseudo mobilisé pour alerter sur les conditions de vie des riverains et des toxicomanes.

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Une technique « commerciale » qui fonctionne, renforcée par la violence des coups portés aux mauvais payeurs et à ceux qui se plaignent de la qualité du produit, « de la pure merde » selon Hassan, qui ne s’est plus jamais senti comme un taureau. Mais il a continué à fumer, pour oublier ce qu’il appelle « des difficultés », à faire la manche ou à proposer « des coups de main » pour se permettre de revenir tous les jours, pour fumer un ou deux cailloux tout en essayant « d’être à l’écart des dealers pour éviter le plus de problèmes ».

Derrière lui ces dealers, reconnaissables à leurs vêtements neufs et à leurs « belles gueules » comparées à celles de leurs clients, font leur loi sur les 100 mètres où sont concentrés les consommateurs les plus désaffiliés, les plus détruits par le crack.

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« Tout le monde a souffert ici »

À 54 ans, Hassan en fait plus de 60. Un effet de vieillesse renforcé par son menton en galoche, conséquence fréquente de la consommation de crack qui ravage les corps, jusqu’à faire tomber les dents. Avant de rencontrer Hassan, « Nobody »* nous a raconté, après avoir inhalé le contenu de sa pipe, « les destins brisés » des toxicomanes présents à Éole.

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Comme Nobody*, si Hassan continue à fumer à Éole, c’est d’abord parce qu’il est facile de s’y procurer les galettes vendues entre cinq et dix euros. Un tarif plus bas que celui appliqué à Stalingrad, 500 mètres plus loin, pour les autres clients. « Ceux qui s’habillent bien » – ni voleurs, ni prostitués, ni violés pour pouvoir payer – et viennent en voiture pour se fournir à dix ou quinze euros le caillou. « Les toxicomanes d’Éole sont la partie visible de ce problème, des gens en costard et des bobos se shootent aussi », note Corinne, une riveraine témoin de ces scènes. Si Hassan vient à Éole, c’est aussi pour éviter de sortir sa pipe à crack dans son quartier, par « honte d’être vu défoncé par les voisins ».

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« J’ai sorti plein de gens du crack, j’étais un exemple »

Une peur qu’il n’a plus envers ses parents marocains, « qui ont reconstruit la France en travaillant pour Bouygues pendant 45 ans » mais surtout « qui savent », lâche-t-il en baissant la tête pour la seule fois de la discussion. Le reste du temps, il cherche à regarder dans les yeux son interlocuteur. Surtout quand il raconte « avoir sorti des gens du crack ».

Stalincrack, qui connaît Hassan et le surnomme « tonton », confirme son engagement pour aider des toxicomanes. Il fait partie des « anciens », ceux qui ont connu la colline du crack, haut-lieu du crack dont l’évacuation sans solution en novembre 2019 est à l’origine de la crise sanitaire, sociale et sécuritaire qui frappe le nord-est depuis deux ans.

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Ces « vieux » fumeurs sont, après les modous tout-puissants, les figures d’Éole. Comme Myrlène, qui a expliqué à Anne Hidalgo que « les salles de consommation ne sont pas la solution, il y a même des petites filles dans le camp ». « Ce n’est pas facile de vivre ce que l’on vit », a-t-elle aussi confié après avoir balayé les déchets qui jonchent le camp installé entre la grille des jardins et la piste cyclable du pont Riquet. « Nous voulons être stables et soignés », a martelé Myrlène malgré la cohue.

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VIDÉO. Échange entre Anne Hidalgo et Myrlène (à partir de 7:19) :Images du journaliste Clément Lanot pour CL Press.

« Impossible dans une salle »

Au moment où il assure « vouloir s’en sortir et arrêter le crack à la dure, comme le reste », Hassan nous abandonne en promettant de revenir. Poing serré, il bifurque de la rue Riquet vers la rue d’Aubervilliers. Il tient sa promesse et réapparaît une trentaine de minutes plus tard. « J’ai bien mangé », marmonne-t-il. La discussion reprend, mais Hassan ne pourra pas dire ce qu’il pense d’une salle de consommation. Tout juste rappelle-t-il que le consommateur achète pour fumer immédiatement, « impossible dans une salle ».

La suite du discours se brouille, ses propos deviennent incohérents, il dit « avoir éduqué Booba au pont de Sèvres » et « connaître plein de joueurs du PSG ». Lui, le « gros poisson » dont la vie devient « un film », montre une large cicatrice à la jambe et raconte « ses comas », dit avoir été drogué « au GHB par un tox' » qui lui a « volé son crack et ses pièces », assure qu’il portera plainte « contre la police et la RATP » quand il aura récupéré son logement.

Impossible désormais de dissocier le vrai du faux, difficile de donner du crédit à son projet de livre. Les yeux vitreux et vides d’Hassan ne laissent aucun doute sur les ingrédients de son repas : un briquet, une pipe et un caillou de crack qu’il tenait dans son poing fermé.

* Nobody a réclamé l’anonymat pour témoigner.

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