Le shapewear, le sous-vêtement qui veut révolutionner les silhouettes

25/05/2022 Par acomputer 524 Vues

Le shapewear, le sous-vêtement qui veut révolutionner les silhouettes

Les sous-vêtements dits shapewear se hissent sur de nouvelles scènes médiatiques permettant de construire une vision plurielle et inclusive de la beauté.

Sur le tapis de la cérémonie des Goldens Globes, l’actrice Saoirse Ronan scintille de mille feux dans une robe près du corps signée Celine. Son secret ? Un short couleur chair dissimulé sous sa robe. Pour l’actrice Priyanka Chopra, le subterfuge est le même. La femme derrière leur secret n’est autre que Kim Kardashian qui lançait en novembre dernier sa propre marque de shapewear baptisée « Skims« . Sous-vêtement gainant et bandes collantes pour soutenir la poitrine : un outillage usuel dans un marché américain du sous-vêtement, dit de « solution ». Au top de la liste, la marque Spandex lancée en 2000 par Sara Blakely. Prisée par la présentatrice Oprah Winfrey, Spandex expliquerait la ligne svelte post-baby de Gwyneth Paltrow. En 2012, sa créatrice devenait la plus jeune milliardaire du classement américain Forbes. De quoi donner des idées à Kim K. qui s’insère dans un marché qui prévoit une augmentation globale de 4 % par an, soit 1.1 milliard selon le rapport du Global Business Information for Textiles Intelligences.

Dans un monde qui intériorise l’exercice permanent du regard d’autrui sur son corps via notamment les médias, le succès du shapewear est-il la traduction d’une forme supplémentaire de contrôle ou une tentative de transgressions des performances classiques ? “La société contemporaine délivre un discours d’empowerment tout en échafaudant un dispositif de médiatisation constant qui pousse chacun à devenir la star de son propre film. La place prépondérante de la médiatisation normalise alors une garde-robe – telle que le shapewear – qui n’était pas au centre de l’attention. C’est un vêtement qui articule tabou et glamour puisqu’il est celui emprunté par les stars sur le tapis rouge”, explique l’historienne de mode Johanna Zanon.

Scènes en mouvements

Le shapewear est, à la base, un vêtement de théâtre, puisque c’est dans le cadre de performances sur des scènes artistiques qu’il va faire son apparition au milieu du XIXième siècle, remplaçant le corset. “Dans le cadre du cirque, le trapéziste français Jules Léotard introduit des justaucorps unisexes qui couvrent le corps tout en le maintenant et épousant ses contours. Le but était de créer des pièces qui laissent les acrobates libres de leurs mouvements. En particulier les femmes qui peuvent alors voler de trapèze en trapèze sans être engoncés dans des corsets, contrairement au ballet où le costume évoluera peu”, raconte Donatella Barbieri, chercheuse à l’université d’art de Londres.

Le shapewear, le sous-vêtement qui veut révolutionner les silhouettes

Ces silhouettes sportives font écho dans la mode puisqu’en 1916, Coco Chanel, à l’aide du Jersey, crée des robes légères, afin de libérer le corps féminin. Pour chaque décennie, la mode dessinera des nouveaux outils de tissus pour tour à tour enfermer et libérer les corps.

“Ces dernières années ont vu le règne du streetwear oversize qui cache le corps sous des couches de vêtements. Nos lignes, faites à partir de collants recyclés ne cherchent pas à cacher ou modifier ce corps qui existe, mais à s’y adapter. En habillant des skateuses, mais aussi les musiciens de Blood Orange ou les danseuses de Solange Knowles, ce sont des corps en mouvement avec lesquels nous travaillons”, explique Saveria Mendella doctorante en anthropolo-linguistique membre du collectif de mode Kits, ajoutant : “Accepter un vêtement moulant c’est accepter l’idée du vêtement porté – soit un vêtement avec lequel on lie une relation intime -, et non adhérer simplement à l’image d’un vêtement”. Dans un contexte d’évolution des identités, l’enjeu est de déconstruire les anciens vêtements tout en déconstruisant les anciens idéaux genrés.

Le sublime pour tous

Porter tel un vêtement, l’ancien shapewear, tabou, trouve une nouvelle vie. Pourtant il reste un outil de modification du corps.

“Dans la gamme de Kardashian chaque pièce apporte une « solution » pour une partie précise du corps, explique Johanna Zanon. De fait, le corps répond à une vision fragmentée. Chacun peu modifier à son gré une zone particulière et faire ses propres combinaisons. C’est un corps de Frankenstein mais attention, si le final doit obéir à un idéal homogène pour Instagram alors on reconstruit un nouveau trope.”

Le shapewear sur Kim Kardashian ? Une taille affinée, des fesses bombées et une poitrine soulignée. Soit une silhouette cartoonesque qui exploite le registre du grotesque selon Donatella Barbieri : “Le grotesque est une esthétique caricaturale qui permet de souligner l’aspect faux. Un corps grotesque est un corps qui s’explore par différents types de déformations. En somme, c’est un outil politique qui permet à chacun de se découvrir et de questionner comment briser les normes de beauté de la société à une époque donnée.”

En mettant à disposition de tous des outils pour modifier son corps, le retour du shapewear permet à chacun de performer un corps qui n’est pas celui de sa naissance. Le début d’une nouvelle liberté ?