Et si les corps se libéraient désormais… grâce au corset ?
(ETX Studio) - Difficile d'imaginer un retour du corset à une époque marquée par le mouvement #MeToo, le body positive, ou encore l'affirmation de soi. Et pourtant, cette pièce tout droit venue de la cour d'Espagne revient en force dans le dressing des femmes, mais sous des formes bien moins contraignantes qui subliment le corps sans jamais (plus) l'entraver.
Vous vous souvenez forcément de cette scène du film "Titanic" dans laquelle la mère de Rose (Kate Winslet) lace son corset avec agacement, semblant l'emprisonner encore plus qu'elle ne l'est déjà, au sens propre comme au figuré. Difficile après ça d'imaginer le corset autrement que comme une pièce contraignante. Elle l'a d'ailleurs toujours été. Apparu à la cour d'Espagne pour redresser le buste féminin, ce corps baleiné, comme on l'appelait, est quasiment devenu l'article de base de l'aristocratie, comme nous l'explique Catherine Örmen, historienne de la mode. Bien que contraignant, encore fallait-il que les femmes s'en rendent compte, le corset avait initialement une vocation de gestuelle; il donnait de la prestance.
Remis au goût du jour sur Netflix
Autant dire que les chances étaient infimes pour que cet élément du vestiaire de la femme refasse surface en 2021. C'était sans compter sur le pouvoir d'influence des séries télévisées actuelles, dont "La Chronique des Bridgerton" qui a clairement contribué à redorer son blason. Depuis le lancement du drama historique, le 25 décembre dernier sur Netflix, le corset semble faire l'unanimité. En janvier dernier, la plateforme de recherche de mode mondiale Lyst faisait état d'une hausse de 123% des recherches de corset depuis le début de la série. Etrange paradoxe à une époque où l'émancipation du corps fait couler autant d'encre, et alors que les femmes ont eu autant de mal à s'en débarrasser.
"Il y a eu une première offensive contre le corset à la fin du XVIIIe siècle avec des robes beaucoup plus fluides qui laissaient au corps sa liberté, mais c'est une éclipse dans l'histoire du corset qui dure une quarantaine d'années, pas plus. La véritable émancipation va venir avec le sport à la fin du XIXe siècle, ainsi qu'avec la Première Guerre mondiale qui va rendre les femmes actives, puis avec les années folles qui vont supprimer cet élément de construction du costume", précise Catherine Örmen.
Mais même à ce moment de l'histoire, le corset n'a pas dit son dernier mot. "Il revient dans les années 50 avec les guêpières, qui sont des corsets sans en porter le nom, et on va s'en libérer avec l'apparition du lycra dans les années 70/80 et la mode du sport où le muscle remplace le corset. On n'a plus besoin d'élément constructeur sur le corps puisque le corps tient tout seul", poursuit l'historienne.
Alors pourquoi se faire du mal ? Pourquoi redonner ses lettres de noblesse à une pièce si controversée ? Même les influenceurs, de Kim Kardashian à la nouvelle génération qui s'exprime essentiellement sur TikTok, ont contribué à relancer cette pièce étouffante; la portant tour à tour comme un costume d'époque, dans des versions ultra-futuristes, ou avec un simple jean. Ce qui a bien évidemment contribué à inspirer leurs millions d'abonnés en un temps record, et a signé le retour d'un élément qui n'a pourtant jamais fait office d'allié pour le corps de la femme.
Le corset, symbole de l'évolution des mentalités ?
Oui, le corset revient mais il ne fait pas son retour sous sa forme originelle… pour le plus grand bonheur de la gent féminine. Si les célébrités s'exposent en corset, il ne s'agit pas - on vous rassure - de comprimer sa cage thoracique à l'extrême pour se rendre au travail. Finalement le corset ne tient aujourd'hui que de source d'inspiration pour des pièces, souvent des accessoires, qui rappellent cet élément d'antan sans en faire subir les inconvénients.
"Le corset en tant que tel ne fait pas vraiment son retour. Il y a une inspiration, mais ce n'est pas un retour. C'est plus un ensemble de tout ce qui est emblématique du corset, à savoir la taille fine et les laçages ou les agrafes. Le corset d'origine est tellement contraignant que ça reste exceptionnel. La volonté est de respecter son corps, et de trouver peut-être des manières de l'embellir mais sans contrainte. On le voit même en lingerie, tout est 'sans armature'. La volonté c'est l'émancipation du corps et l'affirmation de soi en dehors d'un diktat de société", explique Pascale Briand, responsable du secteur lingerie chez Carlin International.
Symbolisant autrefois la soumission, le corset se veut aujourd'hui plus souple, plus flexible, et il prend des formes qui soulignent, voire qui sculptent, la silhouette sans l'entraver, bien au contraire. Le shapewear, qui fait notamment fureur en Chine et aux USA, n'est-il pas une forme détournée du corset ? Il s'agit à la base de gaines faites pour remodeler le corps, mais elles se déclinent désormais dans des versions ultra modernes et se portent avec un legging et un T-shirt; il est bien question de resculpter la ceinture abdominale mais de la façon la plus douce qui soit.
Pascale Briand précise que cela se traduit par un important travail autour de la taille avec de larges ceintures notamment, mais aussi des jeux de superposition, ou des jeux de laçages. On est finalement pile dans l'esprit casual du moment, à savoir agrémenter une pièce décontractée, comme la robe pull par exemple, d'un accessoire plus chic, plus élégant, comme la ceinture large.
"Dans les défilés, il y a énormément de travail autour d'un esprit de corset mais assez souple. Cela se traduit plutôt par une grande ceinture, ou un élément que l'on porte sur un t-shirt, un débardeur, ou même un costume d'homme. Ca correspond à un style de vie plus contemporain", précise-t-elle.
Le corset peut même être envisagé comme une pièce ludique, un jeu, qui viendrait d'une certaine façon pimenter un quotidien plutôt morose. A l'heure où le make-up n'est plus - ou presque - il pourrait ponctuellement apparaître comme un moyen de sentir mieux dans sa peau; une sorte d'embellissement éphémère.
"Qu'il réapparaisse aujourd'hui, c'est un jeu plus qu'autre chose. C'est un élément décoratif. On est habitué à n'avoir plus aucune entrave avec les vêtements, donc remettre un vêtement aussi contraignant apparaît comme une découverte, un jeu, qui fait qu'on a un autre rapport aux autres car on se sent maintenue, différente. Comme on met du rouge à lèvres, on peut mettre un corset car on se transfigure", souligne Catherine Örmen.
Impossible donc de ne pas voir la tendance perdurer dans le temps. Après tout, le corset a traversé les générations, sans - ou presque - une égratignure. Il n'a finalement fait que s'adapter à chaque époque, tel un symbole de la place donnée aux femmes - et à leur corps - dans la société.