"Je m'en rends compte, c'est totalement fou" : six musées parisiens rendent hommage au couturier Yves Saint Laurent

26/07/2022 Par acomputer 503 Vues

"Je m'en rends compte, c'est totalement fou" : six musées parisiens rendent hommage au couturier Yves Saint Laurent

Yves Saint Laurent, âgé de 26 ans, signe le 29 janvier 1962 sa première collection sous son propre nom. Il impose aussitôt un esprit mais aussi un style. À travers ses modèles, c’est toute une culture, un univers artistique qui s’exprime. L'exposition Yves Saint Laurent aux Musées, portée par la fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, célèbre le 60e anniversaire de ce premier défilé.

Six musées parisiens - le Centre Pompidou, le Musée d’Art Moderne de Paris, le Musée du Louvre, le Musée d’Orsay, le Musée National Picasso-Paris et le Musée Yves Saint Laurent Paris - y participent et mettent en exergue le dialogue entre les créations de mode d'Yves Saint Laurent et le monde de l'art.

Rencontre passionnante et indiscrétions sur la genèse de ce vaste projet un peu fou avec deux des commissaires d'exposition - Madison Cox, Président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, et Stephan Janson - quinze jours avant l'ouverture des six expositions, le 29 janvier 2022.

Franceinfo culture : quelle est la genèse de ce projet un peu fou ? Madison Cox, Président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent : l'idée est venue d'abord car on voulait absolument fêter ces 60 ans. C'était un moment dans l'histoire de la maison qu'il fallait marquer, tout comme la disparition de Pierre Bergé, il y a quatre ans. Il était important de pouvoir dire que la fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent existait et que l'on prenait soin de ce patrimoine. Il ne faut pas oublier qu'en 1983 à New York - pour l'exposition rétrospective d'Yves Saint Laurent au Metropolitan Museum of Art -, c'est la première fois que la mode d'un couturier vivant entrait dans un musée des Beaux-Arts et cela avait fait scandale. C'est là qu'a commencé ce dialogue mode et arts, mode et musée. Aujourd'hui, en 2022, la mode est vraiment devenue un art apprécié par le public, qui est même assoiffé par cet univers. La maison Saint Laurent a été exposée lors de rétrospectives à Pékin, Moscou, Saint Pétersbourg, New York... et cela continue, à Tokyo où une grande rétrospective est, à nouveau, prévue. Je voulais absolument marquer ces 60 ans mais je me suis dit qu'il devait y avoir d'autres moyens qu'une énorme rétrospective.

Comment avez-vous procédé ?Madison Cox : en discutant avec Mouna Mekouar (co-commissaire de l'exposition) de cette relation, de ce dialogue entre le couturier et l'art, je me suis dit pourquoi pas faire des espaces de pop-up de ces divers univers d'inspiration dans les installations permanentes des musées. Je voulais aussi inclure Stephan Janson (co-commissaire de l'exposition) qui a vraiment cette connaissance de l'oeuvre de Saint Laurent, un oeil de l'extérieur, c'est toujours intéressant.

Quelles ont été les difficultés ?Madison Cox : on a commencé fin 2019 à discuter. On avait fait une liste des musées, des lieux. C'était très ambitieux peut-être mais des fois il faut vraiment rêver et nous avons même eu l'idée de faire Paris et New York. L'Amérique a été très importante dans sa carrière, c'est là qu'il a trouvé les premiers financements pour sa maison de couture. On avait même entamé les discussions avec diverses institutions. Maintenant je m'en rends compte, c'était totalement fou. J'ai toujours gardé en souvenir cette phrase de Pierre Bergé : il faut transformer les rêves en réalité. Mais quand le monde a explosé (ndlr : avec l'apparition de la Covid-19), les frontières ont été fermées et tous les trois, nous nous sommes dit : il faut absolument que l'on ait les pieds sur terre, on va abandonner New York. Je me souviens que la directrice du Harlem Museum m'a dit : vous ne vous rendez pas compte de l'importance que cela a pour la communauté afro-américane, Yves Saint Laurent est le premier à avoir fait défiler les femmes de couleur. C'était très émouvant mais impossible.

Comment s'est mis en place le projet ? Madison Cox : du moment qu'on a cité le nom d'Yves Saint Laurent, toutes les institutions avaient une histoire à raconter : plus question de rivalité entre les institutions mais une espèce de solidarité. En pleine période de confinement, les institutions étaient fermées et en plus il y a eu des dirigeants de musées qui ont changé, ce qui a ajouté un certain niveau de complication.

Stephan Janson, co-commissaire : ce rêve qui fait partie du monde de Saint Laurent, qui était extrêmement cultivé, lui a permis de faire des choses qui faisaient rêver les gens... et la chose extraordinaire dans ce projet, c'est que les gens, à cause de ce maudit Covid ont rêvé pour penser au futur.

Madison Cox : dès le début, c'était un de nos principes de valoriser des collections permanentes mais il ne s'agissait pas d'occuper l'espace vide et de faire une scénographie temporaire mais de souligner l'importance des collections permanentes de ces institutions et d'y créer des dialogues. C'est assez intéressant ce jeu de mots croisés et même si c'est compliqué pour nous, parce que nous sommes une minuscule institution, c'est aussi une nouvelle façon innovative de représenter Saint Laurent, de réinterpréter les choses pour un regard nouveau.

Stephan Janson : Saint Laurent, contrairement à beaucoup de ses collègues, savait digérer toute cette vastité d'appréciation de l'art qu'il avait. Il y a certaines choses qui n'étaient plus exposées depuis longtemps et qui vont ressortir des réserves.

Justement, comment s'est faite la sélection des pièces au ceur des musées ?Stephan Janson : nous étions assez têtus, nous avions nos idées. Quand vous parlez d'Yves Saint Laurent au musée du Louvre, tous les départements peuvent répondre présents et là cela a été une décision du Louvre à la fin (ndlr : d'exposer dans la galerie d'Apollon). On peut imaginer un côté très baroque et romantique du couturier, pour le musée d'Orsay c'est parfait. Cela va être extraordinaire, c'est le rapport avec un autre art, la littérature et Proust. M. Saint Laurent a fait des collections dédiées à Picasso donc c'était facile pour le musée Picasso où il y a peu de pièces mais majestueuses. Pour les musées d'art moderne, comme le Centre Pompidou, là nous n'avions pas assez de vêtements. On a vingt pièces dans chaque musée mais ils étaient avides, ils en voulaient plus. Au seul musée qui est gratuit, au musée d'Art Moderne de Paris, il y a une sélection à tomber et pour un public qui n'a peut-être pas la chance d'avoir les moyens de faire le tour de tous les musées, cela vaut le coup.

Madison Cox : on faisait des propositions mais il y a eu des problèmes : de luminosité par exemple car les salles des musées des Beaux Arts ne sont pas du tout conformes à des espaces muséaux conçus pour les textiles. C'est 50 Lux, et on ne pouvait rien faire pour occulter la lumière. C'est une contrainte.

Quel choix de scénographie a été privilégié ? Stephan Janson : je n'ai jamais fait d'exposition mais il y a une chose qui m'a souvent dérangé quand je voyais les expositions consacrées à Saint Laurent, c'est que ce que j'avais vu en défilé, c'était imbattable, mais quand on recrée tout cela sur des mannequins, cela me donnait une idée de très beau mais il y manquait la vie ! Il y avait le look, il y avait une forme de respect de M. Saint Laurent et de ce qu'il avait voulu avec le vêtement accompagné par le chapeau, les boucles d'oreille, le bracelet, les bagues, les gants, les chaussures et le sac. Mais moi qui ai eu la chance de voir presque tous ses défilés, je me souvenais de tout cela et je trouvais que c'était dommage. Quand je suis arrivé, j'ai dit : j'aimerais bien montrer les vêtements sans accessoire. Comme je suis un technicien de couture, je savais que pour certaines robes, on ne voyait plus sa maestria avec la quantité d'accessoires. J'ai la prétention de montrer que Saint Laurent n'avait pas besoin d'artifice pour être sublime. C'était un pari, je suis content car c'est vraiment incroyable. Par exemple au Centre Pompidou, il y a une robe de 1965 on dirait qu'elle est faite demain, même pas hier ! Il n'y a plus de référence d'époque d'un coup, c'est juste la coupe, le tombé, la qualité et les proportions. Je suis sûr que cette exposition, montrée comme cela, va influencer énormément la mode à venir.