Juliette Armanet : «J’ai des envies de couple, d’enfants, que je dois concilier avec ma vie de saltimbanque »

07/10/2022 Par acomputer 387 Vues

Juliette Armanet : «J’ai des envies de couple, d’enfants, que je dois concilier avec ma vie de saltimbanque »

Elle déboule dans la chambre d'hôtel prévue pour la séance photo, petit oiseau fébrile emmitouflé dans un manteau XXL Isabel Marant. Un mot drôle ou amical pour chacun, Juliette Armanet, 33 ans, a l'art de se rendre immédiatement attachante et familière, comme si c'était notre « Petite Amie », - titre de son premier album - pour toujours. C'est un peu vrai, puisque ses chansons tendres, sincères, romantiques, accompagnent sans façon depuis un an notre quotidien et celui de ses nombreux fans qui plébiscitent ses concerts, concentré de joie pailletée et de douce mélancolie. Nommée aux Victoires de la musique dans la catégorie Album révélation, cette native de Lille a aussi chanté devant Barack Obama lors de sa visite en France une reprise sexy et olé olé du « I Feel It Coming », des Daft Punk et The Weeknd, rebaptisée par elle... « Je te sens venir ». Gonflée, Armanet. Entretien.

ELLE. Pour cette séance photo, vous n'avez choisi que des tenues assez sobres. Vade retro, imprimé ?

Juliette Armanet. Je ne suis pas très Lady Gaga stylistiquement parlant. Je suis trop complexée. Du coup, je ne mets que des trucs unis et unisexes.

ELLE. Complexée par quoi ?

Juliette Armanet. Ma taille : 1,58 mètre ou mes trois poils sur le caillou. Les vêtements trop féminins, ça me stresse. Aujourd'hui, j'ai des talons, mais, d'habitude, je n'en porte jamais. J'aime bien pouvoir courir, danser, marcher.

ELLE. Bon, Obama, on en parle ?

Juliette Armanet. Je l'ai trouvé incroyablement charismatique, je ne m'attendais pas à ce qu'il le soit autant. On s'est rencontrés, salués, embrassés. Enfin, embrassés avec les mains, sous le regard inquiet d'une dizaine de gardes du corps. C'était surtout triste de se dire que l'Amérique ne ressemble plus à ça. Mais voilà, Obama, c'est fait ! Vivement Poutine ! Je rigole, je ne vais pas me spécialiser dans les chefs d'État, ce n'est pas mon créneau.

ELLE. Comment vivez-vous votre succès ?

Juliette Armanet. Ça a pris du temps pour s'installer, c'est rassurant, ça ne fait pas trop feu de paille. Après, c'est absolument génial d'arriver en province, ou à l'étranger, et d'avoir des salles quasi complètes. Ça donne une force, tu ne te dis pas que tu as fait 3500 kilomètres pour rien. Car les tournées sont très fatigantes. Je suis une vieille dame, j'ai 33 ans, pas 20.

ELLE. Ça fait une différence ?

Juliette Armanet. Oui, à mon âge, tu n'attends pas la même chose d'une tournée que quand tu as 20 ans, que tu bois tous les soirs ou que tu sors avec plein de mecs. L'important est que ça reste léger, que ce succès ne soit pas trop écrasant. Moi j'ai une vie, une intimité, je n'ai pas envie de mettre ça en péril. Je ne suis pas une musicienne sacrificielle aux dents qui rayent le parquet.

ELLE. Vous n'êtes pas Céline Dion en somme.

Juliette Armanet. Il faut que ça reste à échelle humaine, simple, doux et drôle. La starisation me fait peur, c'est vite les montagnes russes. Un jour, adulée, le lendemain, mal accueillie. En tout cas, je vis hyper bien cette tournée, il y a eu des moments sublimes, de belles rencontres avec le public, et je me perfectionne grave.

ELLE. Sur scène, vous avez un vrai talent d'entertainer. C'est votre côté comédienne refoulée ?

Juliette Armanet : «J’ai des envies de couple, d’enfants, que je dois concilier avec ma vie de saltimbanque »

Juliette Armanet. Peut-être. J'adore, je m'éclate. Moi qui suis une grande mélancolique, une angoissée, c'est-à-dire à la fois amoureuse du passé et anxieuse du futur - un constat épouvantable - sur scène, je suis dans l'instant présent. C'est apaisant.

ELLE. Vous vous y attendiez ?

Juliette Armanet. Non, j'avais peur de perdre quelque chose de sensible et de profond en quittant le piano-voix. Une élégance aussi. Et maintenant, j'adore voyager à dix dans un van qui sent les pieds et où on enchaîne les blagues nulles. Il y a un côté roulotte, « mnouchkinien » à partir avec son rideau à paillettes conquérir les salles. Car rien n'est acquis, jamais. On ne vend plus des millions d'albums comme dans les 70s, en restant assis devant sa bière. On doit vraiment se battre à la sueur de son front. Et il faut être aussi bon, aussi brillant, aussi drôle dans une petite salle du fin fond de Mulhouse que devant le gratin parisien. Le désir de tout donner, de partager, chaque soir, avec le public doit être très fort, pour qu'en retour celui-ci ait du désir pour toi. Sinon, ça peut être très triste et très vide. Car tu vois à peine les villes où tu joues, tu erres dans des loges plus ou moins accueillantes. Il faut vraiment être habitée.

© Thomas Laisné

ELLE. Cette nouvelle vie vous a-t-elle changée ?

Juliette Armanet. On devient accro à l'adrénaline qu'on génère. On vit plusieurs journées en une, et ça change forcément son rapport à l'excitation, à sa gourmandise émotionnelle.

ELLE. Ça coupe de son entourage ?

Juliette Armanet. Non, mais il y a un équilibre, un feng shui perso à trouver entre la vie normale et la vie où il se passe dix mille trucs.

ELLE. À votre avis, pourquoi vos chansons ont une telle résonance ? La France serait-elle en « manque d'amour » ?

Juliette Armanet. Je n'aurais pas la prétention de dire ça. C'est mystérieux. Peut-être y a-t-il un peu de cette « Ultra moderne solitude » dont parlait Souchon. Les réseaux sociaux ont changé beaucoup de choses aux rapports humains. Et puis mes chansons sont à l'eau de rose. Leur thème est fédérateur : tout le monde a eu le cœur brisé ou a brisé le cœur de quelqu'un.

ELLE. Justement, elles sont assez premier degré alors que, dans la vie, vous êtes plutôt second degré...

Juliette Armanet. Ce sont des chansons sincères, romantiques, de vrais émois du cœur. Heureusement qu'il y a un truc premier degré ! Il y en avait même un chez Bashung, le roi de la blague cachée et du jeu de mots. Pour toucher, la chanson doit partir d'une émotion réelle.

ELLE. Vous reconnaissez-vous dans les nouvelles représentations de la féminité et de la masculinité que chantent Eddy de Pretto et Christine and the Queens ou êtes-vous plus tradi ?

Juliette Armanet. C'est une bonne question. J'espère représenter une féminité assez moderne dans le sens où je ne cherche pas à être féminine. Plutôt à être moi-même. Et je me reconnais dans leur refus d'une norme identitaire, une souffrance exprimée par rapport aux enjeux de l'amour, du couple, hétéro ou homo. Mais je l'exprime d'une façon plus classique. Christine and the Queens, elle, a apporté du jamais-vu. Ce n'est pas forcément mon cas, ce qui ne me gêne pas. Mais ces interrogations font tout mon tourment, même si je les évoque moins dans mes textes.

ELLE. Votre tourment, carrément ?

Juliette Armanet. Ce sont les enjeux d'une femme de 30 ans aujourd'hui. Grâce à nos mères et à nos grands-mères qui se sont battues pour l'émancipation des femmes, on se retrouve avec des acquis sociaux énormes. Mais aussi avec la sensation bizarre d'avoir hérité d'une liberté qu'on n'a pas conquise et qu'on nous rabâche. Qu'est-ce qu'on fait de cette liberté-là ? Est-ce que je suis féministe ? Sans doute. Mais j'ai des envies de couple, d'enfants, que je dois concilier avec ma vie de saltimbanque. Avec mes copines, on discute jusqu'à l'aube sur ce que ça signifie, de faire un enfant, d'avoir un homme dans sa vie... Qu'est-ce qui a encore du sens pour nous ?

ELLE. Vous êtes écartelée entre les nouveaux modèles et les anciens ?

Juliette Armanet. Oui, perdue entre le schéma tablier vichy-tarte aux pommes de Maman et celui de la femme guerrière que j'estime assez cliché. Il faut trouver un entre-deux qui nous ressemble, un champ libre pour s'inventer. On a aussi nos propres clichés sur nous-mêmes en tant que femmes. J'ai été célibataire pendant des années. Et je ne sais pas si j'ai plus souffert du regard des autres ou du fait d'être vraiment seule. Les dimanches chez les parents ou le regard social, je l'ai souvent vécu comme quelque chose de douloureux. Alors que j'étais comme plein de gens de 25-30 ans qui s'éclatent et n'ont pas encore trouvé la personne avec qui faire leur vie. Les femmes entre elles peuvent être assez dures. Je résous ce conflit en faisant de la musique. C'est pour moi un terrain de liberté absolue. C'est pour ça que je suis assez pénible sur ces histoires de stylisme car je n'ai pas envie d'être trop femme, ni trop homme, je veux porter quelque chose qui puisse me laisser rêver sur moi-même. Pour moi, Françoise Sagan est l'une des femmes qui avaient le plus réussi à se libérer de ces diktats, qui se pensait avant tout en tant qu'individu.

ELLE. Aujourd'hui avec le #MeeToo et #BalanceTonPorc, le débat s'est ouvert...

Juliette Armanet. De nombreuses femmes sont contre le #BalanceTonPorc, alors, si elles ne sont pas d'accord sur la manière de prendre la parole sur ces problèmes, ça devient très compliqué. Marina Foïs disait : c'est fou, on attend encore de l'élégance de la part de femmes victimes de harcèlement ! Face à la violence, il faut être un peu violent.

ELLE. Pensez-vous que les hommes soient mûrs pour changer ?

Juliette Armanet. En tout cas, la chanson d'Eddy de Pretto est belle pour cette raison : la libération des femmes doit être perçue par les hommes comme une chance de se réinventer. Cette nouvelle identité féminine est troublante, mais c'est l'occasion de créer une nouvelle façon de s'aimer, de se regarder, de s'écouter, d'habiter nos identités sexuelles. On est une génération cobaye, charnière et forcément, ce trouble est à la fois déroutant et exaltant. Mais il ne faut pas en avoir peur.

ELLE. D'où votre album placé sous le signe de l'amour, qui réconcilie tout le monde...

Juliette Armanet. À aucun moment, je ne ressens la guerre des sexes. Chez moi, il y a zéro haine des hommes. L'amour reste le truc le plus beau qui puisse arriver entre un homme et une femme, deux femmes ou deux hommes. On ne peut parler de rien d'autre que de l'amour...

ELLE. Ou de Barack Obama...

Juliette Armanet. Of course.

« PETITE AMIE » (Barclay). En concert les 6 et 7 mars à l'Olympia, Paris-9 e .

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 09 février 2018.Abonnez-vous ici.