Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire | HRW Human Rights Watch Human Rights Watch

17/07/2022 Par acomputer 502 Vues

Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire | HRW Human Rights Watch Human Rights Watch

Le 28 novembre 2010, le peuple ivoiriense rend aux urnes pour élire un Président dans l’espoir demettre fin à dix années de crise marquée par la divisionmilitaire et politique du pays entre le Nord et le Sud. Dans la semaine quisuit le deuxième tour de cette élection, et malgré unlarge consensus international quant à la victoire d’AlassaneOuattara, le Président sortant Laurent Gbagbo refuse de quitter lepouvoir. La crise post-électorale, prenant au départ la forme d’unecampagne de violence ciblée menée par les forces de LaurentGbagbo, se transforme en un conflit armé dans lequel les forcesarmées des deux camps se rendent coupables de crimes graves. Enl’espace de six mois, au moins 3 000 personnes sont tuéeset plus de 150 femmes violées, dans le cadre de ce conflit qui sedéroule en grande partie selon des critères politiques, ethniqueset religieux.

Les forces d’élite desécurité étroitement liées à Laurent Gbagboenlèvent des membres de la coalition d’Alassane Ouattara setrouvant au restaurant ou à leur domicile et les emmènent deforce dans des véhicules. Leurs proches retrouveront plus tard leurscorps criblés de balles à la morgue. Les femmes s’efforçantde mobiliser les électeurs ou portant tout simplement des tee-shirtspro-Ouattara sont pourchassées et, souvent, victimes de viols collectifscommis par les membres de forces armées et de milices sous lecontrôle de Laurent Gbagbo, lesquels disent à leurs victimes d’« allerraconter à Alassane » leurs problèmes. Les milicienspro-Gbagbo érigent des postes de contrôle et arrêtent descentaines de partisans réels ou présumés d’AlassaneOuattara ou les attaquent dans leur propre quartier, les battant à mort avecdes briques, les exécutant à bout portant, ou les brûlantvifs.

Les exactions des forces pro-Ouattara,baptisées Forces républicaines par décret du 17 mars,n’atteignent une intensité comparable qu’à partir dudébut du mois de mars, suite à l’offensive lancéepour prendre le pays. À Duékoué, Forcesrépublicaines et milices pro-Ouattara massacrent des centaines depersonnes, extrayant de leur domicile des membres présumés de milicespro-Gbagbo, puis les exécutant alors qu’ils sont sansdéfense. Au cours de l’offensive militaire destinéeà prendre le contrôle d’Abidjan et à consolider laville, les Forces républicaines exécutent un grand nombre depersonnes issues de groupes ethniques liés à Laurent Gbagbo,parfois sur les lieux mêmes de leur détention, et en torturent d’autres.

Au cours de six missions menées enCôte d’Ivoire, dont quatre à Abidjan et deux le long de lafrontière ivoiro-libérienne, Human Rights Watch a interrogéplus de 500 victimes ou témoins de la violence, ainsi que desmembres de forces armées des deux camps, des responsables dugouvernement Ouattara, des journalistes, des personnels de santé, desreprésentants d’organisations humanitaires et de défensedes droits humains, des membres des Nations Unies et des diplomates àAbidjan, New York, Washington et Paris. Human Rights Watch a ainsiconstaté que les deux camps avaient commis des crimes de guerre et,probablement, des crimes contre l’humanité, conclusion partagéepar la commission d’enquête internationale dans son rapport remisau Conseil des droits de l’homme le 15 juin.

Les violences post-électorales sont lepoint culminant d’une décennie d’impunité.Malgré les graves exactions commises en violation du droit internationaldurant la guerre civile de 2002-2003 et par la suite, personne n’aété tenu de rendre des comptes sur les violencesperpétrées. Ceux qui portaient des armes et ceux quiétaient membres des forces de sécurité qui se sont renduscoupables de crimes graves restent à l’abri de toutes poursuites.C’est à cette impunité que l’on doit la constitutionde groupes d’autodéfense dans tout le pays et, notamment, dans sapartie occidentale extrêmement instable, où le vigilantisme remplacela légalité.

La présidence de Laurent Gbagbo secaractérise également par la confiscation du pouvoir au profitdes groupes ethniques lui étant loyaux, ainsi que par la manipulation deplus en plus flagrante des concepts d’ethnicité et decitoyenneté dans le but de stigmatiser les Ivoiriens du Nord ou lesimmigrés d’Afrique de l’Ouest, considéréscomme des « étrangers » dangereux, alorsmême que ces personnes ont passé toute leur vie en Côte d’Ivoire,souvent dans des villes du Sud comme Abidjan, trèséloignées de leur région ethnique d’origine.Après le second tour des élections, la chaîne detélévision contrôlée par le gouvernement Gbagbo, laRadio télévision ivoirienne (RTI), incite à la violencecontre ces groupes, les désignant systématiquement comme des« rebelles » ou des indésirablesmenaçant la nation. Avec la montée des tensions post-électorales,les invectives de Laurent Gbagbo redoublent, comparant les supporters d’AlassaneOuattara à des « rats d’égouts » ouà des « oiseaux abattus », et exhortant sespartisans à ériger des barrages routiers et à « dénoncertout étranger », appel immédiatement suivi d’attaquesciblées d’une violence épouvantable.

Les exactions commises contre les partisansprésumés d’Alassane Ouattara sont effroyables. Entre lemois de décembre 2010 et le mois d’avril 2011, les miliciens pro-Gbagboérigent des barrages et arrêtent des centaines de personnes enfonction de leur tenue vestimentaire ou de leur nom sur une carte d’identité.Nombre d’entre elles sont sauvagement battues puis aspergées d’essence,avant d’être brûlées vives sur un tas de pneus et debois. La pratique est connue sous le nom d’« article 125 » :essence, 100 francs CFA (0,15 €), boîte d’allumettes,25 francs CFA (0,04 €). D’autres sontexécutées à bout portant, comme en témoigne un Burkinabéde quarante ans détenu à un poste de contrôle àAbidjan le 29 mars en compagnie de huit autres immigrés originairesd’Afrique de l’Ouest. La police a ordonné à ce groupede personnes de s’éloigner dans une certaine direction, avant d’ouvrirle feu sur elles. Touché de deux balles, le témoin a survécu,ce qui ne fut pas le cas de six autres personnes abattues à sescôtés.

Dans l’extrême ouest du pays, lesmiliciens de Laurent Gbagbo et des mercenaires libériens tuent descentaines de personnes, principalement sur la base de leur appartenanceethnique. Un événement particulièrement atroce a lieu le25 mars à Bloléquin, où des personnes se sontréfugiées dans le bâtiment de la préfecturesitué dans un secteur repris par la suite par les forces de LaurentGbagbo aux Forces républicaines. Lorsqu’elles pénètrentdans la préfecture, les partisans de Gbagbo leur demandent de parler guéré,la langue d’un groupe ethnique de l’extrême Ouest largement acquisà Laurent Gbagbo. Celles qui ne la parlent pas parfaitement sont abattues.Trois jours plus tard, les mêmes mercenaires et miliciens tuent au moins37 personnes, pour la plupart des immigrés ouest-africains, àBédi-Goazon, un village situé à proximité deBloléquin.

Lors de leur offensive, début mars, lesForces républicaines prennent elles aussi part à desopérations punitives contre des partisans réels ouprésumés de Laurent Gbagbo. Dans l’extrême ouest dupays, les Forces républicaines exécutent à bout portantdes vieillards guérés incapables de fuir leur villageattaqué. Une femme a déclaré que son père, son mariet son fils avaient été abattus sous ses yeux. Des membres des Forcesrépublicaines enlèvent des femmes et les violent dans les villesoù ils se trouvent entre les mouvements militaires. Ils brûlentdes villages entiers. Sans prendre une ampleur aussi considérable, lesForces républicaines commettent des atrocités similaires àcelles commises dans l’extrême Ouest lorsqu’elles prennent lecontrôle d’Abidjan.

À la fin du conflit, lesrésidents ont déclaré que certains puits dans l’ouestdu pays étaient remplis de restes humains. Les stigmates des violencesqui ont ravagé le territoire sont restés visibles dans plusieursquartiers d’Abidjan, où des fosses communes ont étécreusées à la hâte sur les terrains vagues où lesenfants jouaient au football. Les rues sont restées jonchées decadavres pendant plusieurs jours, en particulier aux postes de contrôlemis en place par les milices de Laurent Gbagbo. Les résidents ontaffirmé que l’odeur était devenue tellement insupportablequ’ils se sont mis eux-mêmes à brûler les corps. Dansles quartiers de Yopougon et Koumassi, en particulier, les chercheurs de HumanRights Watch ont pu constater, plusieurs semaines après la fin desaffrontements, que tout ce qui restait de certaines victimes étaient desfragments d’os et de larges tâches noires sur le bitume.Dans toute laCôte d’Ivoire, et tout particulièrement dans l’Ouest, surla côte Sud et à Abidjan, le conflit a étédévastateur. Presque tout le monde peut témoigner de l’assassinatd’un frère, du viol d’une sœur, de l’incendie d’unemaison ou du pillage de tous ses biens.

À l’issue des combats intenses dumois de mars dans l’extrême ouest du pays, les Forcesrépublicaines gagnent très rapidement Abidjan, la plupart despartisans de Laurent Gbagbo abandonnant leur position, à l’exceptionde quelques unités d’élite et quelques milices. Le conflitn’est cependant pas terminé, et Abidjan est lethéâtre de tirs à l’arme lourde faisant de nombreusesvictimes civiles, perpétrés vraisemblablement à l’aveuglepar les partisans de Laurent Gbagbo. Le Conseil de sécurité des NationsUnies autorise rapidement ses forces de maintien de la paix basées enCôte d’Ivoire à « utiliser tous les moyensnécessaires […] pour protéger les civils sous menaceimminente de violence physique […] y compris pour empêcherl’utilisation d’armes lourdes contre les populations civiles ».Durant la semaine du 4 avril, l’Opération des Nations Uniesen Côte d’Ivoire et les forces françaises de l’opérationLicorne attaquent les positions militaires de Laurent Gbagbo à Abidjanavec, pour point d’orgue, le bombardement de sa résidence le 11 avril.Le même jour, les Forces républicaines prennent d’assaut lebâtiment et y arrêtent Laurent Gbagbo ainsi que son épouse etplusieurs de ses partisans. Des groupes armés restés loyauxà Laurent Gbagbo ne s’avouent cependant pas vaincus et tuent, rienqu’à Abidjan, 100 personnes le lendemain de l’arrestationde leur chef. Les combats prennent définitivement fin à lami-mai.

L’ampleur et l’organisationméthodique des crimes commis par les deux camps, à savoirassassinats, viols, persécution d’individus et de groupes sur labase de critères politiques, ethniques et nationaux, laissent penser qu’ils’agissait d’une attaque généralisée etsystématique. D’après le Statut de Rome de la Courpénale internationale, de tels actes, lorsqu’ils entrent dans lecadre d’une « attaque contre toute population civile »,constituent des crimes contre l’humanité. Les deux camps ontégalement commis des crimes de guerre, notamment en dirigeantintentionnellement des attaques contre des civils et l’assassinat depersonnes ne participant pas directement aux hostilités. Les personnesexerçant des pouvoirs de commandement qui auraient dû avoirconnaissance de crimes aussi graves et qui ne les ont pasempêchés, ou qui n’ont pas ouvert d’enquête nilancé de poursuites à l’encontre de leurs auteursprésumés, doivent être amenées à rendre descomptes.

Au vu des preuves contenues dans ce rapport etde la gravité des crimes commis, une justice impartiale doit êtreimpérativement rendue en Côte d’Ivoire, pour réparerle préjudice des victimes, instaurer un État de droit etempêcher que d’autres atrocités semblables ne se produisent.Il faut noter à cet égard que le Président Ouattara ademandé à la Cour pénale internationale d’enquêtersur les crimes graves commis après le 28 novembre 2010. Le 3octobre 2011, la chambre préliminaire de la CPI a fait droit à larequête du 23 juin du procureur d’ouvrir une telle enquête.La Cour pénale internationale a un rôle important à jouerafin que ces actes odieux ne restent pas impunis. Des procès doiventégalement être tenus à l’échelle nationale,non seulement parce que la CPI n’a par le passé engagéqu’un faible nombre de poursuites dans le cadre de situations ayant faitl’objet d’enquêtes, mais aussi parce que de telsprocès, menés dans le respect des normes internationales, ont uneplus forte résonance parmi les populations concernées et que lesefforts visant à imposer au niveau local le devoir de rendre des comptesfavorisent le rétablissement de l’État de droit.

Jusqu’à présent, force estde constater que les autorités judiciaires nationales ne se sont pasmontrées impartiales. Au moment de la rédaction de ce rapport,des procureurs militaires et civils ont inculpé au moins 118 partisans de LaurentGbagbo. Plusieurs d’entre eux, parmi lesquels le généralDogbo Blé, de la Garde républicaine, et le généralGuiai Bi Poin, du Centre de commandement des opérations desécurité (CECOS), ont été mis en cause par HumanRights Watch pour leur rôle présumé dans la commission decrimes graves. Un procureur militaire a inculpé plusieurs anciens chefsmilitaires pro-Gbagbo pour meurtre, viol et dissimulation de corps. Les chefs d’accusationcitent plusieurs événements précis, documentés parHuman Rights Watch, comme celui du 3 mars au cours duquel sept femmesparticipant à un rassemblement pacifique en compagnie de milliers d’autresfurent assassinées. Laurent Gbagbo et son épouse, Simone, sontactuellement en détention provisoire. Ils ont été tousdeux inculpés de crimes économiques le 18 août 2011,après que le gouvernement ivoirien a annoncé sa demandeauprès de la CPI d’ouvrir une enquête sur leur possible implicationdans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.Human Rights Watch s’est toujours prononcé pour que des poursuitessoient engagées contre les forces de Laurent Gbagbo responsables decrimes graves, soulignant que toute immunité ou projet d’amnistiepour des crimes graves—y compris pour Laurent Gbagbo, étantdonné les preuves de son rôle dans de tels crimes—seraitcontraire non seulement aux principes et à la pratique du droitinternational mais au respect dû aux victimes. Human Rights Watch appelleégalement les États voisins à coopérer, enprocédant à l’arrestation et à l’extraditionde ceux qui, à l’instar du chef des Jeunes patriotes CharlesBlé Goudé, auraient commis de tels crimes et ont trouvérefuge ailleurs.

À la différence notable despoursuites engagées contre le camp Gbagbo, aucun membre des Forcesrépublicaines n’a été arrêté pour descrimes commis durant le conflit. Human Rights Watch, la commission d’enquêteinternationale, le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme,Amnesty International et la Fédération internationale des liguesdes droits de l’homme ont tous documenté des crimes graves commispar les Forces républicaines. Alors que le Président Ouattara etle ministre de la Justice Jeannot Kouadio Ahoussou ont toujours promis que tousles crimes seraient punis, le fossé qui sépare larhétorique de la réalité pourrait marquer le retour de l’impunité.Le gouvernement doit sans plus attendre envoyer un message indiquant que s’ouvreune nouvelle ère de justice impartiale et de respect des droits humains,et non pas une ère de justice du vainqueur qui serait de nature àgravement compromettre la réconciliation nationale. Human Rights Watchestime que la tâche la plus urgente du gouvernement Ouattara est derendre aux victimes des deux camps la justice qu’elles réclamentet méritent d’obtenir au terme d’une décennie d’exactions.

Human Rights Watch exhorte également legouvernement à veiller à ce que les auteurs de violations desdroits humains ne soient pas appelés à exercer des fonctions ausein de la nouvelle armée, gendarmerie et police ivoiriennes. Au lieu devoler et maltraiter la population, les forces de sécuritédevraient protéger les civils et enquêter de manièreimpartiale sur les crimes et délits. Les premiers signes sontextrêmement négatifs, Alassane Ouattara ayant promu le 3 aoûtplusieurs commandants fortement soupçonnés d’être lesauteurs de violations graves du droit international, notamment MartinFofié, qui figure depuis 2006 sur la liste des sanctions du Conseil desécurité des Nations Unies pour avoir commandé des troupesimpliquées dans des exécutions sommaires et engagé desenfants soldats. Cette nomination remet en cause les promesses de justice du Président,ainsi que ses engagements quant à la constitution de forces desécurité agissant dans le respect du droit.

Les partenaires internationaux de laCôte d’Ivoire devraient exiger que les auteursprésumés de crimes graves soient appelés, demanière impartiale, à rendre des comptes devant la justice, et devraientégalement aider le gouvernement à identifier et àsurmonter les obstacles contrariant la tenue de procès domestiques pourcrimes graves. Le procureur auprès de la Cour pénaleinternationale devrait réviser sa requête pour que l’enquêtecouvre l’ensemble des crimes commis avant la période post-électorale,ce qui permettrait de mettre fin au mieux à une décennie d’impunité.L’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire devraitorganiser des patrouilles communes avec les forces ivoiriennes au cours desprochaines élections législatives et participer activement auxefforts de désarmement. À cet égard, il faut saluer lesmesures fortes adoptées par l’opération de maintien de lapaix et, notamment, le déploiement de renforts dans l’ouest dupays à l’avance des élections législatives.

Enfin, Human Rights Watch appelle le Conseilde sécurité et le Secrétaire général des NationsUnies à publier dans les plus brefs délais le rapport 2004 de lacommission d’enquête internationale sur les allégations deviolations des droits de l’homme commises lors de la guerre civile de2002-2003. Nombre des personnes citées dans l’annexeconfidentielle du rapport 2004 comme étant les principaux auteurs decrimes graves sont restées au pouvoir et ont continué àinciter et à superviser des crimes graves durant le conflit de 2010-2011 ;il est possible que leurs noms apparaissent également dans l’annexeconfidentielle du rapport 2011 de la commission d’enquête. Ces deuxannexes devraient être publiées ou, à tout le moins,communiquées aux principaux responsables des efforts de justice enCôte d’Ivoire : le Président Alassane Ouattara, le ministrede la Justice Jeannot Ahoussou et le procureur d’Abidjan Simplice Koffi.

Des milliers de personnes en Côte d’Ivoireont perdu des êtres chers et ont énormément souffert aucours de la récente flambée de violences. La plupart d’entreelles ont été visées en raison de leur affiliationpolitique ou ethnique. Les discriminations et les phénomènes d’incitationà la haine doivent prendre fin, tout comme l’impunité qui alongtemps compromis la sécurité en Côte d’Ivoire.Pour retrouver le statut autrefois loué de stabilité et deprospérité de la Côte d’Ivoire, le gouvernementOuattara doit veiller et consentir à la poursuite d’une justiceimpartiale. Les conflits en Côte d’Ivoire illustrent lesconséquences graves qui s’ensuivent lorsque les forces desécurité, les milices et les chefs politiques agissent au-dessusde la loi. Si le gouvernement Ouattara n’en tire pas rapidement desenseignements et ne poursuit pas les membres des Forces républicaines responsablesde crimes durant la période post-électorale avec la mêmeferveur que celle dont il fait preuve à l’égard despartisans de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire pourrait sombrerà nouveau dans la violence et le vigilantisme. S’il peut s’avérerdifficile sur un plan politique de poursuivre certains commandants impliquésdans des crimes, il serait bien plus dommageable pour la stabilité dupays et le respect de la légalité d’ignorer encore une foisles appels clairs à la justice des victimes.

Au Président AlassaneOuattara, au ministre de la Justice Jeannot Kouadio Ahoussou et au ministre del’Intérieur Hamed Bakayoko

ÀCharles Konan Banny, président de la Commission dialogue,vérité et réconciliation

Àl’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI)

AuConseil de sécurité des Nations Unies

Au bureau du Haut-Commissariat auxdroits de l’homme

Au procureur de la Cour pénaleinternationale

À l’Union africaine età la Communauté économique des États del’Afrique de l’Ouest

Au gouvernement du Libéria

Aux pays voisins dans lesquels desauteurs présumés de crimes graves sont susceptibles d’avoirtrouvé refuge

Aux bailleursde fonds internationaux, notamment l’Union européenne, la Franceet les États-Unis

Ce rapport s’appuie essentiellement sursix missions de recherche effectuées entre décembre 2010 etjuillet 2011. Les chercheurs de Human Rights Watch ont mené leursinvestigations à Abidjan aux mois de janvier, mars, mai et juillet 2011,et le long de la frontière ivoiro-libérienne aux mois dedécembre 2010 et mars et avril 2011. Entre ces missions de recherche surle terrain, Human Rights Watch a réalisé des entretiens complémentairespar téléphone.

Au total, Human Rights Watch ainterrogé plus de 500 victimes et témoins directs deviolences post-électorales, parmi lesquels des partisans des deux campspolitiques, des personnes originaires des principaux groupes ethniquesivoiriens et de pays ouest-africains voisins, ainsi que des membres des forcesarmées des deux camps. Human Rights Watch s’est égalemententretenu avec des diplomates à Abidjan, New York, Washington et Paris ;des responsables du gouvernement Ouattara ; des personnels de santé ;des représentants de l’Opération des Nations Unies enCôte d’Ivoire ; des membres de la commission d’enquêteinternationale ; et des représentants d’organisations dedéfense des droits humains et humanitaires.

Certaines parties de ce rapport ontdéjà été rendues publiques dans des communiquésde presse détaillés publiés par Human Rights Watch auterme de quatre des six missions de recherche. Ces informations ontété publiées rapidement pour dénoncer sans tarderla situation au vu de l’évolution rapide de la crise. Ce rapportcontient l’intégralité de l’enquêtemenée par Human Rights Watch après les élections, ycompris de nouveaux éléments d’information qui n’avaientpas été publiés jusqu’à présent.

Compte tenu de la situation extrêmementtendue durant toute la crise, il était essentiel de prendre toutes lesprécautions nécessaires pour que les victimes acceptant de parlerà Human Rights Watch ne puissent faire l’objet dereprésailles. Human Rights Watch a souvent identifié les victimeset les témoins grâce à l’aide de nombreusesorganisations locales, de responsables locaux de la coalition politique du RHDPdu Président Ouattara, de journalistes et de représentants descommunautés d’immigrés.

Pendant toute la crise, Human Rights Watch s’estattaché à enquêter en toute impartialité etobjectivité sur les exactions commises par les deux camps et àmaintenir des contacts réguliers avec des groupes et des personnes bienintroduits dans chaque camp. La description des événements reposesur des informations vérifiées et corroborées par denombreuses sources directes, et en particulier par des victimes et destémoins oculaires, ainsi que par l’examen des blessures desvictimes et la visite des lieux où ces événements se sontproduits. Avant d’accuser un individu ou un groupe armé decertains crimes, Human Rights Watch a recoupé les informationsauprès d’autres sources et, notamment, des victimes, des témoinsoculaires et d’autres auteurs présumés des violences.

Les entretiens ont étéprincipalement réalisés en français ou, dans certains cas,dans l’une des langues usitées par les différents groupesethniques, avec traduction en français par un interprète.

Dans un souci de confidentialité et deprotection des témoins, Human Rights Watch s’est abstenu depublier les noms des témoins et toute information permettant de lesidentifier.

Depuis 1960, année de sonindépendance, jusqu’à la fin des années 1980,la Côte d’Ivoire est saluée pour sa prospéritééconomique et sa relative stabilité. Pourtant, derrière l’harmoniede façade, apparaissent dès les premières années d’indépendancedes fissures inquiétantes, le long de lignes de fracture politique,ethnique et géographique. Avec les trois mêmes acteurs au-devantde la scène politique depuis 1993—l’actuel PrésidentAlassane Ouattara et les ex-Présidents Laurent Gbagbo et Henri KonanBédié—, l’édifice vole en éclats avecle coup d’État de 1999, le conflit armé de 2002-2003 et, enpoint d’orgue, les violences post-électorales perpétréesde novembre 2010 à mai 2011. Les auteurs des crimes graves commis lorsde la décennie de violence qui a précédé lesélections de 2010 n’ont pas été traduits en justice,développant un sentiment d’impunité particulièrementprégnant au sein des forces de sécurité de Laurent Gbagboet des milices lui étant loyales, ainsi que parmi les rebelles desForces nouvelles devenus les Forces républicaines d’AlassaneOuattara.

De l’indépendanceaux élections de 2000

Sous le règne du Président etpère de la nation Félix Houphouët-Boigny, de 1960, annéede l’indépendance, aux années 1990, la Côte d’Ivoiredevient l’une des principales puissances économiques de l’Afriquede l’Ouest et l’un des plus grands producteurs mondiaux de cacao etde café. Durant toutes ces années, le pays poursuit une politiqued’immigration de la « porte ouverte » qui,compte tenu de sa relative stabilité et prospérité, attirede nombreux travailleurs originaires principalement des pays membres du blocéconomique régional de la CEDEAO, la Communauté économiquedes États de l’Afrique de l’Ouest. Ces travailleurs migrantsreprésenteront à un moment donné environ 26 pour centde la population. Félix Houphouët-Boigny, catholique issu de l’ethniebaoulé, dirige un gouvernement qui reflète en théorie lacomposition ethnique et religieuse du pays. Les tensions ethniques,plutôt rares, sont sévèrement réprimées.[1]

Durant ses 33 années de Présidence,Félix Houphouët-Boigny réduit au silence tous les partispolitiques d’opposition, ne permettant qu’à son seul Partidémocratique de la Côte d’Ivoire (le PDCI) d’exister,jusqu’en 1990. L’une de ses principales cibles est un jeuneprofesseur d’histoire et syndicaliste de premier plan nomméLaurent Gbagbo. Fervent militant du multipartisme, il est emprisonné de1971 à 1973 pour enseignement « subversif »et pour avoir fomenté l’insécurité.[2]Après avoir créé dans la clandestinité son partipolitique, le Front populaire ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo passe la plupartdes années 1980 en exil en France. Il rentre en Côte d’Ivoireen 1988 en tant que secrétaire général du FPI et seprésente contre Félix Houphouët-Boigny aux premièresélections multipartites que connaît le pays en 1990. FélixHouphouët-Boigny l’emporte largement, mais Laurent Gbagbo obtient unmois plus tard un siège à l’Assemblée nationale.[3]

Après sa réélection,Félix Houphouët-Boigny désigne comme Premier ministreAlassane Ouattara, économiste de formation qui a occupé despostes importants au sein du Fonds monétaire international (FMI) et dela Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest(BCEAO). Laurent Gbagbo fustige sans tarder ce gouvernement dirigé pardes « étrangers ».[4] Laprovocation qui vise tout particulièrement Alassane Ouattara marque ledébut d’une longue campagne de contestation à viséespolitiques de la citoyenneté d’Alassane Ouattara.[5] Le6 mars 1992, Laurent Gbagbo est arrêté en raison de sonrôle de meneur lors d’importantes manifestations étudiantescontre le gouvernement du PDCI et condamné à deux ans de prison.Laurent Gbagbo aurait imputé la responsabilité de larépression et de son arrestation à Alassane Ouattara, ce quirenforcera l’animosité entre les deux hommes.[6]

Au décès de FélixHouphouët-Boigny en 1993, coïncidant avec ladétérioration constante de l’économie ivoirienne,les responsables politiques vont privilégier les thèmes de lanationalité et de l’ethnicité dans le but de rallier dessoutiens. Les élections présidentielles de 1995 sontcaractérisées par une véritable ruée pour lepouvoir après des décennies de parti unique et mettent en jeu lesmêmes acteurs principaux qui s’opposeront lors desprésidentielles de 2010 : Henri Konan Bédié, qui aexercé les fonctions de Président à la mort deFélix Houphouët-Boigny et dirigé le PDCI, Laurent Gbagbo,secrétaire général du FPI, et Alassane Ouattara,président du Rassemblement des républicains (RDR). En prenantpour cible Alassane Ouattara, son principal rival politique, Henri KonanBédié va développer le concept d’Ivoirité—ets’exprime dans un discours ultra-nationaliste redéfinissant ce quesignifie « être ivoirien », marginalisantles Ivoiriens du Nord et accusant les immigrés de vouloircontrôler l’économie.[7] AlassaneOuattara, né à Dimbroko, ville du nord de la Côted’Ivoire, de mère ivoirienne, passe la majeure partie de sonenfance en Haute-Volta, qui est aujourd’hui le Burkina Faso. Dans lesannées 1960, il se rend aux États-Unis pour y poursuivre sesétudes muni d’un passeport voltaïque, qu’il conservedurant les années 1970 et au début desannées 1980, période durant laquelle il travaille au FMI età la BCEAO.[8] Henri Konan Bédié va s’efforcer de susciter dessentiments anti-nord-ivoiriens et anti-immigrés. Il parvient ainsià empêcher Alassane Ouattara, qu’il dit ne pas êtreivoirien de souche, de se présenter aux élections.[9] Le RDRboycotte alors les élections, tout comme le FPI de Laurent Gbagbo. HenriKonan Bédié l’emporte aisément.

Le 24 décembre 1999, des militairesse plaignant d’être mal payés renversent le PrésidentBédié et demandent au général Robert Guei, chef d’État-majorde Bédié, de diriger un gouvernement. Une fois au pouvoir, RobertGuei forme une junte de rassemblement accueillant des ministres des principauxpartis d’opposition, comme le RDR et le FPI, et s’engage àmettre fin à la corruption et à rédiger une nouvelle constitution.En juillet 2000, avant les élections prévues pour le moisd’octobre, il apparaît clairement que le général Gueinourrit des ambitions politiques et qu’il est lui aussi prêtà agiter le spectre de l’ethnicité pour éliminer sesrivaux politiques. Un référendum constitutionnel largementcritiqué est organisé, lequel débouche sur une nouvelleconstitution fixant des conditions beaucoup plus strictes d’accession auxmandats publics—les deux parents de tout candidat à l’électionprésidentielle doivent être nés en Côte d’Ivoire.[10]Alassane Ouattara et d’autres candidats contestent, en vain, cesnouvelles dispositions. Le 6 octobre 2000, la Cour suprême exclut dela course aux présidentielles 14 des 19 candidats, parmi lesquelsAlassane Ouattara pour des motifs de citoyenneté, et l’ex-PrésidentBédié pour ne pas avoir transmis un certificat médical enbonne et due forme.[11]

Les élections présidentielles setiennent le 22 octobre 2000. Les premiers résultats donnentvainqueur Laurent Gbagbo. Le général Guei décide alors dedissoudre la commission nationale électorale et s’autoproclame Président—préfigurantironiquement l’attitude de Laurent Gbagbo dix ans plus tard pour semaintenir au pouvoir. Le 24 octobre 2000, des dizaines de milliers demanifestants descendent dans les rues et se dirigent vers le centre-ville. Lagarde présidentielle du Président Robert Guei ouvre le feu,faisant de nombreuses victimes. Le 25 octobre 2000, abandonné par l’arméeet la police, le général Guei fuit le pays et Laurent Gbagbo sedéclare Président. Le lendemain, le RDR d’Alassane Ouattaraenvahit les rues pour demander la tenue de nouvelles élections, faisantvaloir qu’on l’a empêché de façon arbitraire àse présenter. Laurent Gbagbo refuse. Les affrontements meurtriers quis’ensuivent traduisent les dissensions religieuses et ethniques quitraversent le pays, les forces de sécurité et les partisans du PrésidentGbagbo affrontant les Ivoiriens du Nord majoritairement musulmans qui constituentle noyau dur des partisans du RDR.[12]

Lorsqu’Alassane Ouattara et le RDR sepréparent à participer aux élections parlementaires dumois de décembre, la Cour suprême lui barre une nouvelle fois laroute pour les mêmes motifs. Le RDR riposte en appelant au boycott desélections, en descendant dans la rue en signe de protestation, et enperturbant le vote dans de nombreuses régions du Nord. Les heurts semultiplient jusqu’au vote. Plus de 200 personnes sont tuéeset des centaines d’autres blessées lors d’affrontements enmarge des élections, d’octobre à décembre. Lesforces de sécurité ouvrent le feu sur des manifestants dans lesrues d’Abidjan. Elles prennent pour cible selon des critèresethniques et religieux des centaines d’Ivoiriens du Nord et de partisansdu RDR qui sont arrêtés de manière arbitraire,détenus et torturés. Les forces de sécurité commettenten outre des viols et d’autres violations des droits humains avec lacomplicité de partisans du FPI. Un charnier renfermant 57 corpssera plus tard découvert dans le quartier abidjanais de Yopougon. Lesenquêtes de Human Rights Watch et des Nations Unies imputeront laresponsabilité directe de ce massacre à des membres de lagendarmerie. Pourtant, les auteurs de ces crimes et des autres exactionsliées aux élections ne seront jamais jugés—préluded’une décennie d’impunité.[13]

Conflitarmé et impasse politico-militaire

Le 19 septembre 2002, les rebelles duMouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) attaquent plusieurscibles stratégiques à Abidjan ainsi que les villes deBouaké et Korhogo, au nord du pays.[14]Sans toutefois réussir à prendre Abidjan, le MPCI, bientôtrejoint par deux factions rebelles de l’ouest du pays,[15]parvient à rapidement contrôler la moitié nord de laCôte d’Ivoire. Les trois groupes rebelles forment une alliancepolitico-militaire appelée les Forces nouvelles, dont le but est demettre un terme à l’exclusion politique des Ivoiriens du Nord etaux discriminations à leur encontre, et de renverser Laurent Gbagbo,dont ils contestent la légitimité en raison des failles qui ont entachéle processus électoral.[16]

La première réponse dugouvernement de Laurent Gbagbo est de lancer une opération àAbidjan dans laquelle les forces de sécurité envahissent lesquartiers pauvres occupés principalement par des immigrés et des Ivoiriensdu Nord. Au prétexte de rechercher des armes et des rebelles, les forcesde sécurité font sortir les résidents de leurs habitationsqui sont ensuite brûlées ou détruites. Les raidsentraînent le déplacement de 12 000 personnes et sontaccompagnés de nombreuses arrestations et détentions arbitraires,exécutions sommaires, viols et disparitions. De plus, les actesd’extorsion sont systématiques et courants.[17] De soncôté, le groupe rebelle du MPCI tue dans le Nord au moins 40 gendarmesdésarmés et 30 membres de leur famille àBouaké entre les 6 et 8 octobre. Les exécutions sommaires deprisonniers membres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo sontsystématiques.[18]

Au cours des mois suivants, des affrontementsarmés opposent les deux camps. Les combats sont particulièrementintenses dans l’extrême ouest du pays où les deux campsrecrutent des mercenaires libériens et où des milices—souventdésignées comme des groupes locaux d’auto-défense—combattentaux côtés des forces de sécurité de Laurent Gbagbo.[19]La plupart des violences sont toutefois dirigées contre des civils et neprennent pas la forme d’affrontements directs entre les forces enopposition. Human Rights Watch a établi à l’époquel’existence de crimes graves commis par les deux camps :exécutions sommaires, massacres, violences sexuelles ciblées,tirs à l’aveugle d’hélicoptères, arrestationset détentions arbitraires par les forces gouvernementales de LaurentGbagbo ; exactions des milices soutenues par l’État,assassinats notamment ; et exécutions sommaires, massacres, violencessexuelles ciblées et actes de torture par les Forces nouvelles. Desgroupes libériens liés aux deux camps sont impliqués dansde nombreux massacres de civils, et les forces combattantes des deux camps engagentdes enfants soldats.[20]

En mai 2003, un accord de cessez-le-feu metofficiellement fin au conflit armé entre le gouvernement et les Forcesnouvelles, même si des violations sporadiques du cessez-le-feu sepoursuivent jusqu’en 2005. Le pays est divisé en deux—et ille restera jusqu’en 2010—, les Forces nouvelles contrôlant lenord du pays et le gouvernement, le Sud. De graves atteintes aux droits humainsciblant les populations civiles se poursuivent dans les deux parties du pays.Le 25 mars 2004, les forces de Laurent Gbagbo tuent sans distinction plusde 100 civils lors d’une manifestation organisée par lesgroupes d’opposition. Quelque 20 autres personnes sontenlevées et disparaissent.[21]Des milices violentes pro-Gbagbo, comme la FESCI et les Jeunes patriotes, sejoignent aux forces de sécurité pour intimider, voler et opprimerles Ivoiriens du Nord, les immigrés et toute personne suspectée d’êtredans l’opposition.[22]Dans le Nord contrôlé par les Forces nouvelles, les commandants s’enrichissentgrâce aux pillages et au racket. Zone de non-droit absolu,détentions arbitraires, tortures et exécutions sommaires contredes partisans supposés du gouvernement continuent.[23] Lesviolences sexuelles contre les femmes et les jeunes filles sontconsidérables dans tout le pays. Les forces armées et des civilsterrorisent les femmes qui ne bénéficient d’aucuneprotection étatique, compte tenu de l’impuissance des institutionsjudiciaires et policières qui sont incapables d’empêcher lesviolences, de poursuivre leurs auteurs et d’assister les victimes.[24]Personne ne sera jugé pour les crimes graves commis durant le conflitarmé de 2002-2003 et par la suite.

Accordsde paix et force de maintien de la paix

À la fin des hostilités, lesparties belligérantes signent plusieurs accords de paix contenant desdispositions sur le désarmement et la réunification du pays. LaFrance, la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations Unies sont à l’originede plusieurs initiatives visant à mettre fin à l’impasse.Elles échouent toutes.[25]

Le 27 février 2004, le Conseil desécurité des Nations Unies met sur pied une mission de maintiende la paix en Côte d’Ivoire, qui prend le nomd’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire(ONUCI). La force, déployée le 4 avril 2004, comprendquelque 8 000 Casques bleus des Nations Unies et près de1 000 officiers de police avec, en soutien, la force Licorne[26]composée de 5 000 militaires français plus lourdementarmés. L’opération a pour but de surveiller une zone tamponcoupant le pays d’est en ouest appelée « zone deconfiance », qui sépare les forces ivoiriennes hostiles.La mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire est chargéed’aider le gouvernement à mettre en œuvre le plan dedésarmement, de démobilisation et de réintégration,et de protéger les populations civiles qui se trouvent sous la menaceimminente de violences. Le Conseil de sécurité des Nations Uniesimpose par ailleurs un embargo sur les armes à destination de laCôte d’Ivoire en novembre 2004.

En mars 2007, le Président LaurentGbagbo et les Forces nouvelles de Guillaume Soro signent l’accordpolitique de Ouagadougou, lequel sera soutenu par la suite par l’Unionafricaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies.[27]Cet accord, le premier à être directement négociépar les principaux belligérants de leur propre initiative, aboutità la nomination de Guillaume Soro comme Premier ministre dans ungouvernement d’unité nationale, suscitant l’espoir que laCôte d’Ivoire en finisse définitivement avec cette situationde « ni paix ni guerre ». L’accord rappelleplusieurs objectifs préétablis en termes de désarmement, d’identificationdes citoyens, d’inscription des électeurs et deréunification du pays, et comprend des dispositions sur les forcesarmées unifiées et le retour des autorités de l’Étatdans le Nord. L’accord politique de Ouagadougou appelle égalementà l’organisation d’élections présidentiellesdébut 2008, lesquelles seront quasiment immédiatementreportées. Les opérations d’identification des citoyens etd’inscription des électeurs sont marquées par desémeutes et la fusillade de manifestants par les forces desécurité, les questions de nationalité et d’ethnicitécontinuant d’entretenir les ressentiments.[28] Laurent Gbagboreporte plusieurs fois les élections, prétextant que lesconditions prévues par l’accord politique de Ouagadougou ne sontpas remplies.[29] Il reste ainsi au pouvoir cinq années supplémentaires auterme de son mandat, reportant sept fois les élections. Les pressionsnationales et internationales de plus en plus fortes le forcent toutefoisà accepter de tenir des élections en octobre 2010.

Élections de 2010 et conséquencesimmédiates

Le premier tour des électionsprésidentielles en Côte d’Ivoire se tient le 31 octobre2010. Il oppose notamment, comme c’est le cas depuis ledécès de Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara,Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Ce premier tour sedéroule dans le calme avec une participation record—plus de85 pour cent. Laurent Gbagbo obtient 38,3 pour cent des votes,Alassane Ouattara 32,08 pour cent, et Henri Konan Bédiéarrive en troisième position avec 25,24 pour cent. Aucun descandidats n’obtenant la majorité, un second tour entre LaurentGbagbo et Alassane Ouattara est organisé le 28 novembre.[30]Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s’étaientjuré de soutenir au second tour celui qui resterait en course faceà Laurent Gbagbo, formant une coalition rassemblant d’autrespartis politiques minoritaires baptisée le Rassemblement desHouphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Ilétait cependant difficile de dire si cette coalition tiendrait bon,compte tenu des relations passées entre les deux hommes et de lamarginalisation de longue date des Ivoiriens du Nord par le PDCI de Henri KonanBédié et le FPI de Laurent Gbagbo.

Le 2 décembre, Youssouf Bakayoko,président de la commission électorale indépendante (CEI),annonce la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1 pour cent dessuffrages.[31]Les observateurs, notamment de l’Union européenne et du CentreCarter, estiment les élections libres et régulières, nerecensant que quelques irrégularités. Moins devingt-quatre heures après la décision de la CEI, Paul YaoN’Dre, président du Conseil constitutionnel et proche alliéde Laurent Gbagbo, annule au nom de l’institution les résultats dela commission et proclame Laurent Gbagbo vainqueur avec 51,45 pour centdes suffrages. Le Conseil constitutionnel fait valoir que la commissionélectorale n’a pas respecté le délai de trois jourspour annoncer les résultats, ne faisant aucun cas des tergiversationsdes alliés de Laurent Gbagbo au sein de la commission qui font tout pouren bloquer l’annonce et en viennent même à déchirerles feuilles de résultat devant les caméras.[32] Le Conseilconstitutionnel annule des centaines de milliers de suffrages desrégions nord du pays soutenant massivement Alassane Ouattara, sur labase de prétendues irrégularités.

Le 3 décembre, conformémentaux procédures fixées par la résolution 1765 duConseil de sécurité des Nations Unies et les accords politiquessignés par les protagonistes du conflit, le représentantspécial du Secrétaire général des Nations Uniespour la Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, confirme lesrésultats de la commission électorale donnant vainqueur AlassaneOuattara.[33]Il certifie par ailleurs que « la proclamation du Conseilconstitutionnel [donnant vainqueur Laurent Gbagbo] ne se fondait pas surles faits ».[34] Le Secrétaire général et le Conseil desécurité des Nations Unies avalisent la victoire d’AlassaneOuattara, également reconnue par l’Union africaine,[35]la CEDEAO,[36]l’Union européenne et les États-Unis.

Rapidement, Laurent Gbagbo est investi Présidentpar le Conseil constitutionnel le 4 décembre. De soncôté, Alassane Ouattara prête serment par lettreadressée au Conseil. Tous deux désignent un chef de gouvernementet des ministres. La confrontation commence. Laurent Gbagbo s’installedans les bâtiments gouvernementaux et Alassane Ouattara établitson quartier général au Golf Hôtel Abidjan. Les organismesinternationaux exhortent Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. Findécembre, la CEDEAO évoque la possibilité d’uneintervention militaire, mais l’Union africaine, dont certains membrescomme l’Angola et la Gambie soutiennent publiquement Laurent Gbagbo et d’autres,comme l’Afrique du Sud et le Ghana, expriment de la sympathie enverscelui-ci, s’empresse de riposter contre la volonté de la CEDEAO dejouer un rôle déterminant dans la résolution de la crise.Son président, Victor Gbeho, exprimera d’ailleurs ultérieurementsa frustration devant ces nations africaines « appelant àla marginalisation de la CEDEAO » et « compromettant» ses efforts pour faire partir Laurent Gbagbo.[37]

Le 28 janvier, l’Union africaineétablit un panel de haut niveau pour essayer de sortir de l’impasse.[38] Ayant initialement pour mission de présenter desrecommandations dans un délai d’un mois, son mandat estprolongé le 28 février.[39] Le 10 mars,l’Union africaine confirme une nouvelle fois la victoire d’AlassaneOuattara et invite Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir.[40] Le camp Gbagbo rejette la décision et les forces arméesdes deux camps menacent de déclencher une guerre civile.[41]

Face au refus persistant de Laurent Gbagbo decéder le pouvoir, la communauté internationale décide d’exercerdes pressions financières. L’Union européenne et lesÉtats-Unis instaurent des restrictions financières et dedéplacement visant Laurent Gbagbo et nombre de ses proches partisans. Parailleurs, l’Union européenne met en place des sanctions contre despersonnes morales dont plusieurs institutions financières et le port d’Abidjan,soupçonnés de financer le régime. La Banque centrale de l’Afriquede l’Ouest décide de saisir les comptes de la Côte d’Ivoiredans l’intention d’étrangler davantage financièrementLaurent Gbagbo. Celui-ci répond en prenant le contrôle des banques—pour,dit-on, faire main basse sur l’argent qui s’y trouve—, dontbeaucoup avaient décidé de fermer leurs portes.[42]

Laurent Gbagbo continue de braver lespressions diplomatiques et financières de plus en plus fortes. LesForces républicaines, menées par le Premier ministre d’AlassaneOuattara, Guillaume Soro, et composées essentiellement de militaires desForces nouvelles qui ont contrôlé pendant dix ans le nord de laCôte d’Ivoire, lancent une offensive militaire fin février.Moins de deux mois après, elles contrôlent la majeure partie dupays et arrêtent Laurent Gbagbo le 11 avril. Le coût humaindes violences post-électorales, résultat de 15 annéesd’impunité totale et d’agitation du spectre de l’ethnicité,est lourd. À la fin des hostilités en mai, on dénombreplus de 3 000 personnes tuées et plus de 150 femmesviolées au cours de cette seule période de six mois.

Lorsqu’il ne faisait plus aucun douteque Laurent Gbagbo n’avait aucune intention d’accepter lesrésultats des élections pourtant reconnus par lacommunauté internationale et donnant Alassane Ouattara vainqueur, lesforces de sécurité de Laurent Gbagbo sont passées àl’action dans le but de mater l’opposition. Chaque fois que lespartisans d’Alassane Ouattara sont descendus dans les ruesd’Abidjan pour protester, ceux-ci ont étésévèrement réprimés—et d’unemanière particulièrement brutale le 16 décembre lorsd’une marche sur la télévision contrôlée par Gbagbo,la RTI (Radio télévision ivoirienne). Les forces desécurité ont tiré à balles réelles etlancé des grenades à fragmentation, tuant de nombreux manifestantset en blessant davantage. La répression s’est intensifiéeavec l’enlèvement et la disparition de responsables locaux membresde la coalition d’Alassane Ouattara au sein de quartiers fidèlesà celui-ci. Les corps de nombre d’entre eux ont étéretrouvés plus tard par leurs proches à la morgue, criblésde balles. Les forces de sécurité ou les milices pro-Gbagbos’en sont également pris aux femmes, les violant en raison de leuractivisme politique en soutien à Alassane Ouattara ou de celui de leurmari, parfois abattu sous leurs yeux.

Pendant cette période, les principauxresponsables de ces crimes étaient des unitésd’élite étroitement liées à Laurent Gbagbo,dont la Garde républicaine, le CECOS (Centre de commandement desopérations de sécurité, une unitéd’intervention rapide), la BAE (Brigade anti-émeute) et la CRS(Compagnie républicaine de sécurité, une unité depolice d’élite). Dans certains cas, ces unités onttravaillé main dans la main avec les milices pro-Gbagbo, et notamment laFédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), association étudiante de tradition violente, et les Jeunespatriotes, mouvement de la jeunesse fondé et dirigé par CharlesBlé Goudé, nommé ministre de la Jeunesse par LaurentGbagbo en décembre 2010.

En face, les Forces nouvelles contrôlantla moitié nord du pays se sont livrées à des actesd’intimidation et de violence à l’encontre des partisans deLaurent Gbagbo et ont commis des violences sexuelles contre des femmes. Si lesviolences commises à cette époque par les Forces nouvellesn’ont pas atteint le niveau de celles commises par le camp Gbagbo, ellesprésageaient toutefois des crimes graves que les Forcesrépublicaines commettront à un stade plus avancé de lacrise.

Forcespro-Gbagbo

Recoursexcessif à la force contre les manifestants

Lorsque les partisans d’AlassaneOuattara sont descendus dans les rues pour manifester aux lendemains du secondtour des élections du 28 novembre, les forces desécurité de Laurent Gbagbo les ont contrés demanière brutale et souvent fatale. Les manifestations au cours de cettepériode ont principalement eu lieu en raison de la controverse des 2 et 3 décembresur les résultats des élections ainsi que de la marche sur laRadio télévision ivoirienne du 16 décembre.

Les forces de sécuritécommençaient souvent—mais pas systématiquement—pardes tirs de grenades lacrymogènes et des coups de feu en l’air. Aubout de quelques minutes, cependant, elles utilisaient des armes à feumortelles—telles que des fusils kalachnikov, des pistolets automatiqueset des grenades à fragmentation—sans que le comportement agressifou la violence excessive des manifestants ne nécessite de telles mesures.Les forces de sécurité ont continué de tirer sur lesmanifestants alors que ceux-ci fuyaient, en tuant des dizaines et en blessantbeaucoup d’autres. Les victimes interrogées par Human Rights Watchont témoigné de la dangerosité particulière desgrenades à fragmentation, notamment un jeune homme dont le petit frèrea été tué par une grenade :

Le tir de balles réelles et de grenadesà fragmentation lors de ces événements méconnaîtles exigences de nécessité absolue et de proportionnalitéconsacrées par les principes de base des Nations Unies sur le recoursà la force et à l’utilisation des armes à feu parles responsables de l’application des lois et le code de conduite desNations Unies pour les responsables de l’application des lois.[44]En effet, étant donné que les rassemblements étaient, dansl’ensemble, de nature pacifique, il convenait d’appliquer cesprincipes de base, qui disposent que « les responsables del’application des lois doivent s’efforcer de disperser lesrassemblements illégaux mais non violentssans recourir àla force et, lorsque cela n’est pas possible, limiter l’emploi dela force au minimum nécessaire ».[45] Dansplusieurs cas documentés par Human Rights Watch sur cette période,les forces de sécurité et les milices qui les soutenaient sontallées plus loin, en exécutant à bout portant desmanifestants capturés ou détenus.

4 décembre : Treichville/Koumassi

Le samedi 4 décembre, despartisans d’Alassane Ouattara sont descendus dans les rues des quartierspro-Ouattara de Treichville et de Koumassi du sud d’Abidjan pourfêter la reconnaissance par les Nations Unies de la victoired’Alassane Ouattara et protester contre la décision de LaurentGbagbo de ne pas quitter le pouvoir. Les forces de sécurité ontrapidement réprimé cette manifestation, faisant ainsi au moinsquatre morts, dont trois garçons, et des dizaines de blessés. Laplupart des blessés ont été frappés par desgrenades à fragmentation que les forces de sécurité onttirées ou lancées au sol dans la foule, selon destémoins interrogés par Human Rights Watch.[46] Aucune desvictimes ni aucun des manifestants qui se trouvaient autour ne semble pourtantavoir eu un comportement agressif à l’égard des forces desécurité susceptible de provoquer l’emploi d’uneforce même minimale.

Vers 9 heures du matin, un garçonde 14 ans du quartier de Koumassi a suivi son grand frèrejusqu’au carrefour Kahira, curieux de voir les jeunes s’yrassembler pour fêter la nouvelle. Selon plusieurs témoinsinterrogés par Human Rights Watch, un contingent du CECOS estarrivé environ une heure plus tard à bord de deuxvéhicules, numérotés 51 et 53, accompagné deplusieurs unités de la Garde républicaine.[47] L’aînédes deux frères a raconté ce qui s’est ensuite passéà Human Rights Watch :

Moins de 500 mètres plus loin, au carrefourSaint-Étienne, à proximité du grand marché deKoumassi, deux autres garçons ont été tués par destirs de grenade et un troisième très gravement blessé lorsd’un rassemblement d’une centaine de partisans d’AlassaneOuattara.[49]Selon trois témoins interrogés par Human Rights Watch, le CECOSétait également ici la principale force présente,accompagnée de quelques membres de la CRS et d’hommes en civilcagoulés. Un jeune homme qui a vu son jeune frère de 12 anstué sous ses yeux par une grenade à fragmentation adéclaré à Human Rights Watch : « C’étaientdes garçons. Pas des hommes armés. Des garçons quis’amusaient dans la rue lors de la manifestation. Qui donc peut tuer desgarçons désarmés ? »[50]

Une manifestation similaire rassemblant denombreux partisans d’Alassane Ouattara a eu lieu dans le quartier deTreichville le 4 décembre au matin, à l’intersectionde l’avenue 16 et de la rue 21. Human Rights Watch ainterrogé trois personnes présentes lors de cette manifestation.Deux d’entre elles ont été grièvement blesséespar des grenades à fragmentation, et la troisième par une ballel’atteignant à la main alors qu’elle fuyait, aprèsque des membres de la CRS et des forces militaires avaient ouvert le feu. Unmanifestant gravement blessé à la main et au dos par deséclats de grenade a vu son ami tué par un coup de feu tiréà bout portant.[51]Un autre manifestant a vu des membres de la CRS faire rouler des grenades dansla foule.[52]Dès les premières explosions, il a tenté de fuir, maisl’explosion d’une autre grenade l’a grièvementblessé, l’obligeant à marcher avec une canne. Plus de sixsemaines après, lors d’un entretien avec Human Rights Watch, ilmarchait toujours avec une canne.

Marche du 16 décembre sur la RTI

Le 14 décembre, le gouvernementOuattara a appelé ses partisans à participer le 16 décembreà une marche dans le but de prendre le contrôle de la Radio télévisionivoirienne—instrument de contrôle indispensable à LaurentGbagbo et d’appel à la violence contre les pro-Ouattara [voir Incitationsà la violence par le camp Gbagbo, ci-dessous]. Laurent Gbagbo arépondu en renforçant la présence militaire àAbidjan, notamment autour de la RTI. Les milliers de personnes qui ont envahiles rues le 16 décembre ont été une nouvelle foisrapidement et sévèrement réprimées par les forcesde sécurité de Laurent Gbagbo. Human Rights Watch adocumenté le meurtre d’au moins 32 manifestants, dontcertains des suites de tirs de grenades à fragmentation et de coups defeu tirés à bout portant. L’écrasante majoritédes manifestants semble avoir eu un comportement pacifique tout au long desévénements ; cependant, Human Rights Watch adocumenté le meurtre de plusieurs membres des forces desécurité de Laurent Gbagbo—dont un a ététué par une foule déchaînée après avoirtiré sur plusieurs manifestants depuis le toit d’unbâtiment.

Un homme de 24 ans, parvenu à 600 mètresde la RTI, a décrit la panique des manifestants confrontés auxtirs croisés de grenades et de carabine :

Un autre manifestant interrogé parHuman Rights Watch a été témoin de la mort par balles dedeux autres personnes. Les tireurs portaient dans ce cas un uniforme noir,comme en portent généralement les unités de police. Sixautres personnes, dont la personne interrogée, ont étéblessées par des tirs de grenades. L’homme, âgé de 29 ans,a décrit la scène après avoir étéblessé :

Assassinatsciblés et disparitions forcées d’activistes pro-Ouattara

Outre la répression des manifestations,les forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont assassiné etenlevé des responsables politiques locaux et leurs alliés activistesde la société civile. Human Rights Watch a documenté plusde dix cas de disparitions forcées ou d’exécutions sommairessurvenus autour de la marche du 16 décembre. Les preuvesréunies laissent fortement penser que ces exactions étaient lerésultat d’une campagne organisée visant àsélectionner, rechercher et enlever des personnes spécifiques liéesà la coalition politique d’Alassane Ouattara. Citons notamment lesfaits suivants :

Human Rights Watch a égalementdocumenté l’enlèvement et le meurtre ciblés deplusieurs personnes qui avaient surveillé les urnes dans un bureau devote d’Abobo pour le RHDP. Un membre de la famille de l’une desvictimes a déclaré :

Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire | HRW Human Rights Watch Human Rights Watch

En plus de ces disparitions et de cestentatives d’enlèvement documentées, Human Rights Watch areçu des déclarations de la part de plus d’une dizaine devoisins et de proches faisant état de véhicules 4x4 avec àleur bord des hommes armés en tenue de camouflage qui sont venus audomicile de dirigeants communautaires du RHDP, parfois à maintesreprises. De nombreux responsables du RHDP à Abidjan ont été contraints de vivre dans laclandestinité pendant plusieurs mois.

Assassinatsd’opposants présumés par les milices pro-Gbagbo

Des témoins ont raconté àHuman Rights Watch avoir vu des hommes battus à mort avec des briques,des gourdins et des rondins de bois, ou abattus par des membres des milicespro-Gbagbo à des postes de contrôle sauvages qu’ils avaientérigés. De tels délits, prenant pour cible les Ivoiriensdu Nord et les immigrés ouest-africains, ont étéconstatés pendant toute la crise post-électorale.

Les chercheurs de Human Rights Watch ontdocumenté le meurtre d’au moins 13 hommes à des postesde contrôle érigés par les milices pro-Gbagbo dans lesjours qui ont suivi la marche du 16 décembre. Dans de nombreux cas, destémoins ont indiqué que des policiers, des gendarmes etd’autres membres des forces de sécurité ont clairement prisle parti des milices en s’abstenant d’intervenir lorsque desexactions étaient commises, en les approuvant ouvertement pendant ouaprès, ou en tirant même sur le corps des victimes. Nombre de ces meurtresont été commis à quelques mètres d’uncommissariat de police. Dans le cadre de la répression par les forces depolice des manifestations organisées par les pro-Ouattara,des témoins ont raconté que les milices pro-Gbagbo ont aidéles forces de sécurité, tirant parfois avec leurs kalachnikovs, leurspistolets ou leurs fusils de chasse sur des manifestantsdésarmés.

La plupart des meurtres commis par les milicesont eu lieu en plein jour. Les victimes étaient généralementarrêtées à des postes de contrôle illicites etsommées de présenter leur carte d’identité. Si lesmiliciens considéraient que la tenue vestimentaire ou le nom despersonnes arrêtées était de type musulman ouétablissait leur appartenance à un groupe ethnique soutenantAlassane Ouattara, ils les entouraient, les accusaient d’être des« manifestants » ou des « rebelles »et les frappaient à mort avec des barres de fer, des rondins de bois etdes briques. Les victimes et les témoins ont dans la plupart des cas identifiéles agresseurs comme étant des membres de la FESCI ou des Jeunespatriotes, soit parce que ces victimes ou ces témoins les connaissaientpersonnellement, soit parce que les agresseurs s’étaientprésentés comme tels, soit encore parce que le lieu del’agression le laissait penser—à proximité d’unlieu de rassemblement des Jeunes patriotes ou d’une résidenceuniversitaire de la FESCI.[62]

Une femme qui vit dans le quartier de Riviera IIa décrit le meurtre d’un jeune par un groupe de membres de laFESCI qui habitent dans les résidences universitaires près dechez elle :

Un habitant d’Abobo a décrit lemeurtre de deux jeunes hommes commis le 13 janvier par des militants desJeunes patriotes qui tenaient un poste de contrôle juste devant leursiège dans le quartier. Ce même jour, cinqpoliciers avaient été tués dans ce quartier par desagresseurs non identifiés liés, d’après legouvernement Gbagbo, aux forces pro-Ouattara.L’habitant a déclaré :

Violencessexuelles

Human Rights Watch a documenté les violscollectifs de 14 femmes à Abobo par des membres des forces desécurité ou de milices pro-Gbagbo—agissant de concert dansplusieurs cas—dans les jours qui ont suivi la marche du 16 décembre.Parmi les victimes se trouvaient trois jeunes filles, dont deux de 16 anset une de 17 ans, et une femme enceinte de huit mois. Dans trois de ces cas,les époux des victimes ont été assassinés enmême temps. Les agresseurs donnaient souvent à leur geste unemotivation politique, disant à leurs victimes de faire part de leur« problème » àAlassane Ouattara.

Une femme de 25 ans, victime d’unviol collectif avec plusieurs autres femmes alors qu’elles rentraientchez elles après la marche du 16 décembre, apéniblement raconté à Human Rights Watch son agression :

Une autre femme de 25 ans qui aété violée par trois soldats et un civil a vu son mariexécuté devant elle le 17 décembre :

Les agressions se sont poursuivies dans lequartier pendant plusieurs jours après la marche du 16 décembre.Une femme de 20 ans a raconté avoir été violéechez elle avec deux membres de sa famille, dont une jeune filleâgée de 16 ans, le 19 décembre vers une heure dumatin. Les six agresseurs, dont cinq en tenue noire, ont frappé àla porte de leur appartement dans le quartier d’Abobo et exigé queles femmes ouvrent pour laisser entrer la police. Une fois la porte ouverte, leshommes « nous sont tombés dessus—deux d’entre euxse sont servis de moi ; je ne voulais pas ce qu’ils faisaient ;ils m’ont frappée jusqu’à ce que je n’aie plusle choix. […] Quand ils ont eu fini, ils ont pris notre sœur,et nous n’avons pas réussi à la retrouver. Ils m’ontviolée dans la chambre, ma sœur dans le salon, et l’autre [sœur] qui a disparu juste devant la cour ».[67]

Forces pro-Ouattara dans le nord du pays

Après les élections, les militairesdes Forces nouvelles ont intimidé, menacé et, dans quelques cas,tué ou violé des personnes liées au parti politique deLaurent Gbagbo dans le Nord, en plus de voler leurs biens. Human Rights Watch ainterrogé trois femmes qui ont été violées durantcette période. Les exactions furent de bien moins grande ampleur quecelles commises par les forces de Laurent Gbagbo à Abidjan.

Entre le second tour des élections etle 24 février, lorsque les affrontements ont éclatédans l’extrême ouest du pays entre les forces armées desdeux camps, près de 40 000 réfugiés ont franchila frontière avec le Libéria—la grande majoritéd’entre eux fuyant la région contrôlée par les Forcesnouvelles des Dix-Huit Montagnes pour trouver refuge dans le comté deNimba au Libéria.[68]Lorsque Human Rights Watch a mené sa première mission le long dela frontière ivoiro-libérienne fin décembre 2010, lenombre de réfugiés atteignait déjà 13 000.[69]

Des dizaines de réfugiésinterrogés à l’époque par Human Rights Watch ont déclaréêtre partis parce qu’ils avaient été harcelésou intimidés par les militaires des Forces nouvelles à la veilleet au lendemain du second tour des élections. Pour la plupart, cesréfugiés avaient participé activement ou affichéleur soutien à la campagne de Laurent Gbagbo. Un homme de 40 ans adéclaré à Human Rights Watch avoir été battupar des militaires des Forces nouvelles pour avoir été lereprésentant du parti de Laurent Gbagbo dans un bureau de vote del’extrême ouest du pays. Il a montré à Human RightsWatch ses cicatrices, toujours visibles un mois après, sur soncrâne et sa main droite. Il a fui au Libéria lorsqu’il aappris par des amis que les militaires des Forces nouvelles le recherchaientà nouveau.[70]

Lorsque la Cour constitutionnelle aproclamé Laurent Gbagbo vainqueur, des témoins ont racontéque des dizaines de militaires des Forces nouvelles ont quitté presqueimmédiatement leur bastion de Danané pour se déployer dansdes villages censés soutenir Laurent Gbagbo. Les réfugiésse sont enfuis dans la brousse à l’arrivée des militaires,dont un homme de 38 ans du village de Mahapleu :

Dans un cas particulièrement odieux,une femme a expliqué que son époux avait étéenlevé, qu’elle avait ensuite été passée àtabac, ainsi que son fils de 7 ans, qui était mort de sesblessures :

Human Rights Watch a égalementdocumenté les exactions commises dans au moins trois villages par lesForces nouvelles à l’encontre de partisans de Laurent Gbagbo, quise sont livrées au pillage des habitations et des commerces et ontemporté des motocyclettes, des marchandises, de l’argent et d’autresobjets de valeur. Un homme de 37 ans vivant dans l’un de cesvillages a raconté à Human Rights Watch :

La plupart des réfugiés ontdéclaré à Human Rights Watch avoir fui par crainte desexactions, le souvenir du conflit armé de 2002-2003 et de sesprolongements—et notamment des abus commis par les Forces nouvelles—étantresté particulièrement vif dans les mémoires. Unréfugié de 39 ans de Zouan-Hounien a indiqué :

Les militaires des Forces nouvelles s’ensont également pris à des femmes qu’ils ontagressées sexuellement pour leur soutien réel ouprésumé à Laurent Gbagbo. Human Rights Watch adocumenté sur cette période trois cas de viols survenusimmédiatement après le second tour des élections, dont leviol de l’épouse d’un responsable de la campagne de LaurentGbagbo par des militaires des Forces nouvelles venus chercher son mari.[75]Une femme de 36 ans a assisté depuis chez elle au viol de deuxautres femmes de son village, dont une femme enceinte violée par quatre militairesdes Forces nouvelles.[76]Plusieurs réfugiés au Libéria ont égalementdéclaré à Human Rights Watch que des militaires des Forcesnouvelles étaient venus dans leurs villages et avaient forcé lesfemmes à leur faire la cuisine et, dans certains cas, àêtre leurs « épouses » forcées.[77]

Fin janvier, le pays se dirigeait vers unconflit armé de grande ampleur. Le gouvernement Gbagbo et ses plusfervents partisans, principalement par l’intermédiaire de la RTI,la chaîne de télévision d’État, ontintensifié leurs incitations à la violence contre les sympathisantsd’Alassane Ouattara et le personnel des Nations Unies. Les « étrangers »,sous-entendu les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, ontété confrontés à un discours incendiaireparticulièrementintense. Par ailleurs, une attaque-surprise menée à Abobo par ungroupe se faisant appeler le « Commando invisible »a entraîné la perte du contrôle de certaines zones duquartier par les forces de Laurent Gbagbo. Ces deux événements—incitationà la xénophobie et premier signe de menace militaire—ontsuscité une plus grande violence de la part des milices de LaurentGbagbo qui, souvent, n’ont pas hésité à brûlervifs les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains qui avaientle malheur de passer par les points de contrôle de plus en plus nombreux.Lors d’un épisode qui a illustré de façonparticulièrement frappante le refus de Laurent Gbagbo de céder lepouvoir, les forces de sécurité sont alléesjusqu’à ouvrir le feu sur des femmes qui participaient à unrassemblement pacifique à Abobo, tuant sept d’entre elles.

Dans l’autre camp, le Commando invisiblea été le principal responsable des exactions documentéessur cette période, dont une attaque contre des civils dans un villagepro-Gbagbo et l’exécution sommaire de prisonniers membres desforces de sécurité de Laurent Gbagbo. Le Commando invisible,s’il comptait des militants pro-Ouattara, n’affichait aucunechaîne de commande claire avec le gouvernement Ouattara. Celui quiapparaissait être à la tête du Commando invisible, connusous le nom d’IB Coulibaly, était un ex-commandantsupérieur des Forces nouvelles qui s’était violemmentopposé à Guillaume Soro sur le contrôle du groupe rebelleen 2003.[78] Cette lutte intestine aboutira à la mort d’IB Coulibaly,tué par les Forces républicaines de Guillaume Soro le27 avril 2011. Mais la séparation entre les forces d’IBCoulibaly et celles de Guillaume Soro n’a pas toujoursété totale lorsque les opérations visant àévincer Laurent Gbagbo se sont poursuivies ; de nombreux habitantsd’Abobo et des sources proches des Forces nouvelles ontdéclaré à Human Rights Watch que certainséléments sous le commandement ultime de Guillaume Soro setrouvaient à Abobo à ce moment-là et avaientégalement été impliqués dans des exécutionssommaires.

Les forces pro-Gbagbo

Incitations à la violence par le campGbagbo

Pendant toute la période post-électorale,le camp Gbagbo a fait de la Radio télévision ivoirienne (RTI),la chaîne d’État, ce que l’on pourrait qualifier demachine de propagande perpétuelle. Les chercheurs de Human Rights Watchont pu visionner de nombreuses émissions qui dénonçaientles « étrangers » et les Nations Unies, etappelaient les partisans de Laurent Gbagbo à s’élevercontre eux. Le terme « étranger »était en permanence utilisé par les militants pro-Gbagbo pourdésigner les immigrés ouest-africains et les groupes ethniques duNord. Souvent, de telles déclarations émanaient de sourcesofficielles du gouvernement. En réponse aux discussions de la CEDEAO,fin décembre, sur une éventuelle intervention militaire, parexemple, Laurent Gbagbo et son porte-parole ont émis des menacesvoilées à l’égard des immigrésouest-africains en cas d’une telle intervention.[79]

Le 10 janvier, le Conseil desécurité des Nations Unies a exigé « unarrêt immédiat de l’utilisation des médias,spécialement par l’intermédiaire de la RTI, pour propagerde fausses informations et inciter à la haine et à la violence, ycompris contre l’ONU ».[80] Dans unarticle du 13 janvier, Reporters sans frontières adéclaré que les journalistes supposés prochesd’Alassane Ouattara avaient été « misà l’index » par « la chaîned’État, en particulier Radio-Télévision Ivoirienne(RTI), et [le quotidien] Fraternité Matin »—tousdeux étant devenus de plus en plus virulents.[81] Le 19 janvier, les Conseillers spéciaux duSecrétaire général des Nations Unies pour la préventiondu génocide et pour la responsabilité de protéger se sontdéclarés très inquiets « d’apprendreque des propos haineux visant à inciter à des attaques violentescontre certains groupes ethniques et nationaux [continuaient]d’être tenus ».[82]

Les incitations à la violence se sontcependant faites de plus en plus fréquentes et virulentes. Le25 février, lors d’une réunion retransmise ensuiteà la télévision, Charles Blé Goudé a tenules propos suivants à ces partisans :

Dans la même retransmission, un membredes Jeunes patriotes déclarait : « Si vous êtesivoirien, vous devez dénoncer les [étrangers] àtout moment, et si vous ne les dénoncez pas, c’est que vousêtes un rebelle, vous êtes l’ennemi de la Côted’Ivoire, et vous devez être traité comme tel. »En effet, comme illustré en détail un peu plus loin, Human RightsWatch a documenté une hausse sensible du nombre de points decontrôle—et du nombre d’attaques ciblées, y comprisdes meurtres, à l’encontre des groupes supposéspro-Ouattara—au cours des jours qui ont suivi la retransmissiontélévisée. Certains témoins des exactions ontaffirmé avoir entendu des miliciens faire référenceà « l’ordre » de Charles BléGoudé.

Les attaques au vitriol àl’encontre des groupes pro-Ouattara ont continué de prendre del’ampleur lorsque les combats entre les forces pro-Ouattara et les forcespro-Gbagbo ont ouvertement commencé. À la mi-mars, ces attaquesétaient souvent devenues extrêmement déshumanisantes,consistant à comparer ces groupes à des animaux et àencourager la croyance selon laquelle tous les partisans d’AlassaneOuattara étaient des « rebelles ». Dansl’édition du 9-15 mars du journal Le Temps, autrefoisdétenu par la deuxième épouse de Laurent Gbagbo, NadianaBemba, et encore proche du régime Gbagbo, un journaliste aécrit :

L’Associated Press a égalementrapporté que lors d’une transmission de la RTI à cetteépoque, « le présentateur souriait alorsqu’il relatait un incident au cours duquel une douzaine de rebellessupposés avaient été tués par des soldatspro-Gbagbo dans le centre d’Abidjan, disant d’eux qu’ilss’étaient fait abattre comme de faibles oiseaux. Des imagesdes corps ensanglantés ont été diffuséesparallèlement à des images de soldats se tapant dans la main etd’une foule les acclamant ».[85]

Le 18 mars, un jour après lelancement de tirs de mortier sur un marché d’Abobo par les forcesde Laurent Gbagbo, qui ont tué quelque 25 civils, le porte-parolede Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello, a déclaré sur la RTI :« Son Excellence […] Laurent Gbagbo demande auxIvoiriens de prendre leurs responsabilités et appelle les citoyens etles forces de sécurité à une plus forte collaboration [...]de façon à neutraliser toute présence suspecte dans notreenvironnement. »[86] Le lendemain, Charles Blé Goudé a appelé sesjeunes militants à « se faire enrôler dansl’armée afin de libérer la Côte d’Ivoire de cesbandits ».[87] Ces deux déclarations entérinent officiellement uneréalité de longue date concernant la présence des milicesviolentes pro-Gbagbo au centre des efforts de défense du régime.Ce faisant, comme durant toute la crise, aucune tentative n’aété faite pour distinguer les civils des cibles militaires. LesIvoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains, sans cessedéshumanisés, représentaient tous une « présencesuspecte » potentielle qu’il fallait « neutraliser »—carla « vermine » ne se distingue pas. Des centainesd’autres exactions ont suivi.

Violence ciblée contre lesimmigrés ouest-africains à Abidjan

Alors que les tensions s’intensifiaienten février, les immigrés issus du Burkina Faso, du Mali, de laGuinée, du Sénégal, du Niger et du Nigeria ontété soumis à un flux régulier et de plus en plusviolent d’exactions commises par des miliciens et des membres des forcesde sécurité de Laurent Gbagbo. Un grand nombred’immigrés ouest-africains interrogés par Human RightsWatch ont déclaré que la violence avait commencé findécembre après que l’organisme régional de la CEDEAOavait reconnu Alassane Ouattara comme Président et avait ouvertementabordé la possibilité d’une intervention militaire pourdémettre Laurent Gbagbo de ses fonctions. Toutefois,d’après eux, les attaques se sont largement intensifiéesaprès les affrontements du 24 février entre les deux forcesarmées à Abobo et dans la ville voisine d’Anyama, ainsiqu’après une réunion télévisée du25 février au cours de laquelle Charles Blé Goudé aappelé les jeunes pro-Gbagbo à mettre en place des barragesroutiers et à « dénoncer » lesétrangers. Human Rights Watch a documenté l’assassinatd’au moins 32 immigrés ouest-africains et Ivoiriens du Nordau cours de cette période ; 14 d’entre eux ontété passés à tabac ou brûlés vifs. Deplus, des pillages généralisés de nombreux magasins et demaisons dont ils étaient propriétaires ont étéperpétrés, ainsi que l’expulsion systématique des d’immigrésouest-africains d’au moins trois quartiers d’Abidjan aprèsle 25 février.

La majorité de ces attaques ont eu lieudans les quartiers de Yopougon, de Port-Bouët et de Cocody àAbidjan, où les milices pro-Gbagbo étaient trèsprésentes. De nombreuses victimes ont affirmé avoir entendu desmiliciens faire référence à « l’ordre» de Charles Blé Goudé alors qu’ils commettaient desexactions à leur encontre, notamment un commerçant qui, au coursd’une attaque du 1er mars, a entendu les miliciensdire : « Notre général [BléGoudé] nous a envoyés pour sécuriser ce quartier, cequi signifie que tous les [...] Mossis [un groupe ethnique du Burkina Faso],Maliens [...] doivent quitterce lieu. »[88] Le jourdu discours de Charles Blé Goudé, deux jeunes porteurs dumarché de Yopougon ont été ligotés, jetésdans leurs charrettes à bras et brûlés vifs.[89] Le 3 mars, un homme handicapé du Burkina Fasoaccusé par des miliciens de cacher des rebelles dans sa maison aété emmené dans un bâtiment abandonné dePort-Bouët et brûlé vif.[90]

Un jeune Malien de 21 ans qui aété détenu avec six autres hommes qu’il pensaitêtre des immigrés ouest-africains a décrit comment cinqd’entre eux ont été exécutés à boutportant par des miliciens pro-Gbagbo après avoir étéarrêtés le 6 mars dans les rues de Yopougon :

Outre les meurtres, les forces desécurité et les milices ont détruit les maisons et lescommerces des partisans d’Alassane Ouattara. Plusieurs commerçantsmaliens et nigérians qui vendaient de l’essence, du bois et despièces automobiles sur un marché du quartier de Sebroko, une zonedominée par les marchands ouest-africains, ont décrit comment, le24 février, des membres de la Garde républicaineétaient arrivés pour disperser une manifestation pacifique qui setenait à proximité et avaient ensuite ouvert le feu etjeté des grenades dans leurs magasins, provoquant un gigantesque incendieet détruisant au moins 35 magasins. Un Malien a racontéavoir entendu un soldat crier : « Dites adieu à vosmagasins ! » avant d’ouvrir le feu sur un standd’articles hautement inflammables.[92] Destémoins ont déclaré que, tandis qu’un groupe deMaliens essayait de sauver les articles de leurs magasins en feu, la Garderépublicaine leur avait tiré dessus, tuant deux personnes.[93]

Un homme âgé denationalité malienne qui avait vécu dans le quartier de Yopougonpendant 35 ans a également décrit comment le 10 février,des miliciens qui occupaient un point de contrôle près de samaison y ont mis le feu pendant que lui, ses trois femmes et leurs15 enfants dormaient—les forçant à fuir le quartier.Alors qu’ils s’en allaient, les Jeunes patriotes l’ont avertide ne jamais revenir, faute de quoi ils « le couperaient lui etsa famille en morceaux ».[94]

Human Rights Watch a documentéplusieurs attaques perpétrées par des groupes de miliciens et lesforces de sécurité agissant de concert. Un commerçantnigérian a ainsi décrit une attaque perpétrée le 1er marspar le CECOS et des miliciens au cours de laquelle les assaillants ontbrûlé vifs deux Nigériens, l’unvendeur de bois et l’autre chauffeur de taxi portant un habittraditionnel musulman :

Les Ivoiriens originaires du nord du paysétaient également ciblés, comme l’a racontéun témoin qui, fin février, a vu des miliciens brûler vifun homme et trancher la gorge à un autre, à un point decontrôle de Yopougon :

Attaques de mosquées, de musulmans etd’imams

À plusieurs reprises pendant la crise,les forces pro-Gbagbo, y compris les unités de force desécurité d’élite et les milices, ont attaquédes mosquées et exécuté des imams de manièreciblée. Ni l’ancien Président Gbagbo, ni ses militaires oudignitaires n’ont dénoncé ces attaques àl’encontre d’individus et d’institutions religieuses. Dans unpays divisé relativement équitablement entre musulmans etchrétiens, la base politique d’Alassane Ouattara des groupesethniques du nord du pays était essentiellement, mais assurémentpas exclusivement, musulmane,[98] tandis que les partisans et militants de Laurent Gbagbo étaientprincipalement chrétiens.[99] Comme pour l’ethnicité, toutefois, la religion estétroitement liée à la politique en Côted’Ivoire, et il est souvent difficile de démêler lamotivation première de certaines attaques. Pour la grandemajorité des Ivoiriens, il n’existe aucune division, nihostilité inter-religieuse, mais avec l’intensification de lacrise, l’association entre Alassane Ouattara et les partisans musulmans aentraîné un grand nombre d’attaques àl’encontre d’institutions et de leaders musulmans. De tellesattaques pourraient bel et bien être considérées comme descrimes de guerre en vertu du Statut de Rome et du droit internationalhumanitaire.[100]

Les premières attaques de ce genre sesont déroulées le 17 décembre. Deux mosquéesd’Abobo ont été la cible de grenades propulsées parlance-roquettes (RPG) à l’heure de la prière du vendredi,et une autre mosquée a été attaquée àBassam, une ville côtière à une vingtaine dekilomètres d’Abidjan.[101] Un témoin des attaques d’Abobo a raconté àHuman Rights Watch ce qu’il avait vu :

Fin février, avec l’escalade destensions et les combats fréquents dans Abobo et dansl’extrême Ouest, les mosquées sont devenues la cibled’un plus grand nombre d’attaques perpétrées par lesmiliciens pro-Gbagbo. L’Associated Press a fait état d’aumoins dix attaques de mosquées entre fin février et fin mars.[103] Selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, durantla seule journée du 25 février, encore un vendredi, le joursaint des musulmans, trois mosquées de Yopougon ont étéattaquées. Un imam a déclaré avoir reçu un appeltéléphonique la veille de l’attaque. Son interlocuteuraurait menacé de « brûler les mosquées parcenous savons que vous y cachez des armes. Ensuite nous irons chez l’imam ».[104] Trois 4x4 sont arrivés le lendemain avec à leur bord desjeunes masqués qui ont ouvert le feu à l’intérieurde la mosquée et ont volé ou détruit tout ce qu’il yavait. Aucune des 15 personnes présentes dans la mosquéen’a été blessée, même si les assaillantsrépétaient qu’ils allaient les tuer.[105]

Dans le sous-quartier de Doukouré,à Yopougon, une mosquée a été la cible d’uneattaque ce même jour. Un homme de 42 ans qui travaillait à lamosquée a assisté à sa destruction :

Un deuxième témoin araconté avoir vu une personne, qui était présente àla mosquée au moment de l’attaque, se faire tuer par balle alors qu’elletentait de s’enfuir.[107] Les habitants ont trouvé le lendemain les corps d’aumoins six partisans supposés d’Alassane Ouattara, dans la rue,devant la mosquée.[108] Un chercheur de Human Rights Watch s’est rendu à lamosquée le 9 mars ; la mosquée et les bâtimentsalentour étaient presque entièrement détruits. Le toits’était effondré suite à l’incendie, desimpacts de balles étaient visibles dans le sol, ainsi que des tracesd’incendie et des débris partout à l’intérieuret des corans brûlés qui avaient étérassemblés dans un carton.

Des musulmans ont déclaréà Human Rights Watch qu’il était devenu pratiquementimpossible de porter le boubou—vêtement traditionnel souventassocié aux musulmans en Côte d’Ivoire—en public. Lesmiliciens pro-Gbagbo occupant les points de contrôle ciblaient lespersonnes portant ce vêtement car ils les assimilaient à despartisans d’Alassane Ouattara. Imams et autres leaders musulmansétaient souvent la cible de violences. Human Rights Watch s’estentretenu avec un témoin qui avait assisté le 9 marsà l’enlèvement ciblé d’un imam et de son filsà Bloléquin par des miliciens pro-Gbagbo.[109] Selondes bulletins d’information, leurs corps avaient étéretrouvés le lendemain dans la rue, criblés de balles.[110] Un autre témoin a raconté l’assassinatciblé d’un imam chez lui, à Duékoué, le28 mars, par des miliciens pro-Gbagbo.[111] LeConseil supérieur des Imams, dont l’imam assassinéétait un porte-parole à Duékoué, a rapportéque son corps et sa maison avaient ensuite étébrûlés.[112] Les bulletins d’information ont fait état d’autresexécutions de leaders religieux musulmans à Abidjan, notamment le15 mars à Yopougon et le 19 mars à Adjamé.[113]

Malgré les attaquesrépétées, les leaders musulmans n’ont cesséd’exhorter les fidèles à ne pas laisser le conflit prendreune dimension religieuse, notamment dans un communiqué du 18 mars.[114] D’ailleurs, il n’y a eu, en comparaison, que peud’attaques dirigées contre les églises par les Forcesrépublicaines. Human Rights Watch a reçu des informations dignesde foi de la part d’une organisation internationale concernant le saccaged’une église de Cocody à la mi-avril, au cours duquel lesreprésentants de l’église présents ontété menacés parce qu’ils soutenaient Laurent Gbagbo.Human Rights Watch a également documenté la destructionpartielle, début mai, d’une église de Yopougon où denombreux partisans de Laurent Gbagbo étaient allés seréfugier—bien que les dégâts occasionnés aientété, selon le témoin, le résultat des combats entreles soldats et des supposés anciens miliciens de Laurent Gbagboprésents parmi la foule réfugiée dansl’église, et non pas motivés par des sentimentsanti-chrétiens.[115]

Viols ciblés et disparitionsforcées de partisans d’Alassane Ouattara

Après les combats sporadiques entre lesforces armées de Laurent Gbagbo et les forces pro-Ouattaraentamés à Abobo le 24 février, des miliciens et desmembres des forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont commis deconcert une autre série de viols ciblés et de disparitionsforcées. Human Rights Watch a documenté pour la seulejournée du 25 février le viol de neuf femmes d’Abobopar ces groupes ; toutes les victimes étaient des membres actifs etpublics du parti politique d’Alassane Ouattara.

Parmi ces neuf femmes, sept d’entreelles ont été emmenées de leurs maisons jusqu’àun bâtiment en construction, où elles ont étéviolées par un ou plusieurs hommes. Dans tous les cas, les assaillantsont clairement exprimé le motif politique de l’agression sexuelle.Une femme de 30 ans, l’une des trois qui ont étédétenues après avoir été enlevées dans lamême maison pour être ensuite violées collectivement par desmiliciens et des policiers, a décrit à Human Rights Watchl’attaque du 25 février :

Human Rights Watch a documenté septdisparitions forcées le 25 février d’hommesliés au parti politique d’Alassane Ouattara. Les témoinsont généralement désigné des membres du CECOS,ainsi que des miliciens pro-Gbagbo. Dans deux cas, des femmes ontété violées devant des membres de leur famille, et le mariet le père des victimes ont ensuite « disparu ».Une jeune femme a décrit comment son père, un responsable de lasection locale du parti d’Alassane Ouattara, a étéarrêté puis emmené par un groupe de policiers et demiliciens. Elle a déclaré avoir été violéeau cours de l'incident.[117] Quelques témoins, parmi lesquels une femme de 34 ans dontle mari a été enlevé le 25 février, ontindiqué que des hommes armés s’étaientprésentés chez eux avec une liste comportant les noms des membresde leur famille :

Un autre dirigeant du RHDP habitant lequartier de Riviera Palmière a été enlevé le10 février par trois hommes armés en tenue de camouflageverte. Un témoin a entendu l’un des hommes armés qui disait :« C’est toi qui es derrière Alassane, on nous aenvoyés te chercher », et il a indiqué que leshommes armés avaient tiré en l’air quand un groupe depersonnes s’était approché de la voiture pour tenter delibérer la victime.[119]

Violente répression desmanifestations

Les forces de sécurité deLaurent Gbagbo ont continué pendant cette période àréprimer violemment les manifestations, Human Rights Watch ayantdocumenté les meurtres de 25 manifestants perpétrésentre le 21 février et le 8 mars. De nombreuses autrespersonnes ont été grièvement blessées par balles,par des tirs de grenades à fragmentation, des grenades propulséespar lance-roquettes, et par une arme non identifiée tiréeà partir d’un char.

Le 21 février, dans le quartier deKoumassi, trois témoins ont raconté à Human Rights Watchque les forces de sécurité avaient tiré au moins deux grenadespropulsées par lance-roquettes dans une foule d’une centaine demanifestants, tuant au moins quatre personnes et en blessant de nombreusesautres. Les témoins ont ajouté que les forces desécurité, parmi lesquelles des membres du CECOS, avaientégalement tiré à balles réelles sur la foule etlancé des grenades à fragmentation.[120] Unmanifestant a raconté : « D’abord ils nous onttiré dessus, puis ils ont lancé des roquettes directement dans lafoule. J’ai vu plusieurs morts, dont un Malien dont le bras étaitcomplètement arraché. Ses intestins lui sortaientcomplètement du corps. »[121]

Le même jour, dans le quartier deTreichville, vers 9 heures du matin, des troupes de la Garderépublicaine sont arrivées dans un convoi de camions et ontouvert le feu sur des manifestants rassemblés au croisement del’avenue 16 et des rues 17 et 21. Un témoin arelaté les faits à Human Rights Watch : « Ilssont arrivés et ont ouvert le feu immédiatement à ballesréelles. Un jeune qui se trouvait non loin de moi a pris une balle dansla tête ; c’était comme si une partie de son visageavait été arrachée. C’est l’une des deuxpersonnes au moins que j’ai vues se faire tuer de mes propres yeux. »[122]

Le 3 mars, au cours d’un incidentqui est venu illustrer la brutalité avec laquelle Gbagbo tentait des’accrocher au pouvoir, les forces de sécurité onttué sept femmes qui manifestaient pacifiquement avec des milliersd’autres femmes dans le quartier d’Abobo. Alors que ces femmesparvenaient au lieu de rassemblement convenu, une camionnette verteéquipée d’une mitrailleuse, un camion de transport de lapolice, un char de l’armée portant un camouflage vert et un charbleu de la gendarmerie sont passés à proximité. Trois témoins ont indiqué à Human Rights Watch quele char de l’armée avait tiré avec une arme lourde de groscalibre. Presque simultanément, un individu en uniforme vert et portantun casque militaire a ouvert le feu avec une mitrailleuse installéeà l’arrière d’une camionnette.[123]Un médecin qui a soigné plusieurs des femmes quin’ont pas survécu a affirmé que leurs blessuresétaient manifestement causées par des armes lourdes, et non parde simples balles.[124] Le médecin, ainsi que deux témoins présents surles lieux, ont déclaré à Human Rights Watch que latête d’une des victimes avait été complètementséparée de son corps.[125] D’autres victimes, dont deux qui n’ont pas survécuà leurs graves blessures, portaient des blessures par balle demitrailleuse.[126]

Human Rights Watch a égalementdocumenté sept victimes tuées par des balles perdues entre le 4et le 15 mars à Abobo lors de mitraillages aveugles par les forcesde sécurité de Gbagbo. Plus d’une dizaine d’habitantsd’Abobo ont expliqué comment les véhicules des forces desécurité ont traversé à toute vitesse le territoirecontrôlé par les forces pro-Ouattara plusieursfois par jour, tirant en tous sens avec des kalachnikovs—parfois en l’air, d’autres fois en direction de personnesdans les rues. Les attaques quotidiennes ontentraîné un déplacement interne massif des habitantsd’Abobo.

Un médecin d’un hôpitalà Abobo a déclaré à Human Rights Watch qu’ilavait pratiqué des interventions chirurgicales sur 108 personnesentre le 28 février et le 8 mars à la suite des violencespost-électorales, dont toutes sauf quatre impliquaient des blessures parballe ou avaient été provoquées par des tirs àl’arme lourde des forces de sécurité de Gbagbo. Lemédecin n’a pas été en mesure de préciser lenombre de civils parmi les blessés.[127]

Forces pro-Ouattara

Meurtres de civils dans le village d’Anonkoua

Aux environs de 2 heures du matin le7 mars, plus de 60 combattants pro-Ouattara ont attaqué levillage d’Anonkoua-Kouté, situé tout près de leurfief militaire d’Abobo à Abidjan. Anonkoua est un villagehabité principalement par des membres de l’ethnie ébrié,qui soutenaient largement Gbagbo. Human Rights Watch pense,d’après les entretiens menés avec des témoins et deshabitants du quartier, que les assaillants appartenaient au Commando invisible.Selon les témoins, les assaillants descendaient d’Abobo PK-18, quiétait la base du Commando invisible de fin février à finavril. Comme il a été précisé, le Commandoinvisible luttait contre Laurent Gbagbo mais opérait probablement endehors de toute chaîne de commande d’Alassane Ouattara et deSoro ; pour de nombreuses personnes, leur commandant n’étaitautre qu’IB Coulibaly, rival de longue date de Soro, tué le27 avril au terme d’une lutte intestine aprèsl’arrestation de Laurent Gbagbo.[128]

Le 6 mars, des affrontements avaient eulieu dans cette zone entre les forces de Laurent Gbagbo et le Commandoinvisible. Des victimes de l’attaque du 7 mars, ainsi qu’uncombattant du Commando invisible, ont expliqué à Human RightsWatch que les forces pro-Ouattara pensaient que des armes avaientété laissées dans le village par les forces pro-Gbagbo.[129] Toutefois, il semblerait que les assaillants aient tué descivils au hasard et incendié une grande partie du village au lieu de semettre en quête d’armes. Human Rights Watch a interrogéquatre victimes d’Anonkoua-Kouté et a pu confirmer la mort de neufcivils, dont deux femmes qui ont été brûlées.L’une des victimes a déclaré à Human RightsWatch :

Un autre témoin a affirmé avoirvu les forces pro-Ouattara égorger son père de 72 ans.[131] Au moins 15 maisons ont été incendiées,selon plusieurs habitants, et le village entier a étéabandonné.

En outre, les forces pro-Ouattara—qui,selon des témoins, des victimes et des habitants du quartier, seraientcomposées du Commando invisible d’IB Coulibaly et de combattantsdes Forces nouvelles fidèles à Soro, d’aprèsl’emplacement précis des attaques—ont menacé etdéplacé des partisans supposés de Laurent Gbagbo àtravers tout Abobo et Anyama. Le 8 mars, un membre du groupe ethniqueBété a indiqué que des soldats pro-Ouattara avaientfracassé sa porte et saccagé sa maison à Abobo. Ils ontpointé leurs armes sur lui et dit qu’il était un« Patriote », menaçant de le tuer. Desvoisins sont intervenus en sa faveur, ce qui, selon la victime, lui asauvé la vie, mais les assaillants lui ont malgré toutvolé tous ses biens.[132] La victime, comme des milliers d’autres, a fui pour seréfugier dans une zone qui se trouvait toujours sous le contrôlede Gbagbo.

Exécutions sommaires de membresdétenus des forces de Gbagbo

Human Rights Watch a documenté lesexécutions sommaires de 11 membres des forces armées et desmilices fidèles à Gbagbo entre le 1er et le10 mars. Dans sept cas, selon des témoins, des véhicules oudes individus à pied ont été arrêtés àdes postes de contrôle des forces pro-Ouattara à Abobo afin dechercher des armes. Lorsque les combattants pro-Ouattara ont trouvé unearme et « jugé » que la personne était uncombattant pro-Gbagbo, ils ont tué le détenudésarmé. D’après Human Rights Watch, les auteurs decet acte auraient été des combattants de Coulibaly et de Soro,qui opéraient à cette période avec des milicescomposées de jeunes issus de la population locale. L’ancienporte-parole des Forces nouvelles a nié que des forces de Soro étaientprésentes à Abobo à ce moment-là.[133]

Un combattant pro-Ouattara à Abobo—quia déclaré appartenir au Commando invisible—amentionné à Human Rights Watch quatre exécutions auxquellesil avait pris part. Le 2 mars, une ambulance a étéstoppée et ses compagnons combattants ont indiqué qu’ilsavaient découvert des kalachnikovs lors de la fouille, le chauffeur aalors été arrêté. Le 5 mars, le combattantpro-Ouattara a expliqué qu’il avait trouvé trois personnesavec des armes qui passaient à pied un poste de contrôleprès d’Anonkoua, sous-quartier d’Abobo. Dans les deux cas,le combattant pro-Ouattara a assuré avoir amené les détenusà un officier supérieur, ce qui indique une organisation et unechaîne claire de commandement parmi les combattants. Après avoirété détenue, la personne a été soumiseà un « interrogatoire intense », puis« neutralisée », selon le combattant.[134]

Un témoin de l’exécutionde trois autres personnes soupçonnées d’appartenir auxforces fidèles à Gbagbo a expliqué à Human RightsWatch :

Lors d’un autre incident survenu le7 mars, des forces pro-Ouattara ont détenu quatre chefsprésumés des milices à Abobo et les ont sommairementexécutés. Des témoignages dignes de foi ont indiquéque deux personnes ont été capturées puis utiliséespour tendre un piège à des chefs plus importants. Les forcespro-Ouattara les ont ensuite tous exécutés.[137] Human Rights Watch a pu voir les images vidéo du corps de« Lamté », un chef de la milice dans cette zoneimpliqué dans des meurtres post-électoraux contre des partisansd’Alassane Ouattara. Il avait eu la gorge complètementtranchée. Dans la vidéo, une autre victime avaitété empalée avec un pieu.

Les mois de tensions et de violences enCôte d’Ivoire ont dégénéré en conflitarmé dès mars 2011, période à laquelle les Forcesrépublicaines ont lancé une offensive militaire dansl’extrême Ouest. Si les premières villes ontété prises dès fin février, le combat intense entreles forces armées a commencé mi-mars dans l’extrême Ouestet fin mars à Abidjan. De graves exactions ont continuéd’être commises dans les deux camps, jusqu’aux derniers joursdes combats début mai, soit près d’un mois aprèsl’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril.

Dans l’extrême ouest du pays,alors qu’ils battaient en retraite, des groupes de miliciens et demercenaires fidèles à Laurent Gbagbo ont perpétrédes massacres et des meurtres généralisés dans un dernierélan de violence à l’encontre des Ivoiriens du Nord et desimmigrés ouest-africains. À Abidjan, les forces de sécuritéralliées à Laurent Gbagbo ont bombardé aveuglémentdes zones civiles, tirant avec des armes lourdes sur des marchés et desquartiers. Les groupes de milices pro-Gbagbo ont attaqué des habitationset monté des points de contrôle rapprochés, tuant des centainesde partisans supposés d’Alassane Ouattara d’unemanière effroyablement brutale. Ces événements ontmarqué l’acte ultime de ce qui pourrait être qualifiéde crimes contre l’humanité perpétrés par les forcesplacées sous le contrôle de Laurent Gbagbo, de Charles BléGoudé et de leurs proches alliés.

Quant aux Forces républicaines qui s’emparaientdu pays, elles ont laissé dans leur sillage des morts, des femmesviolées et des villages en cendres. Dans l’extrême Ouest,les forces d’Alassane Ouattara ont abattu des vieillards incapables defuir les combats. Des femmes de Duékoué ont dû regarder lessoldats d’Alassane Ouattara traîner leurs maris, leursfrères et leurs fils hors de leurs maisons et les exécuter.Après avoir pris le contrôle d’Abidjan, les Forcesrépublicaines ont tué au moins 149 individus ettorturé ou traité de manière inhumaine un plus grandnombre encore de personnes en détention. Au minimum, ces actesconstituent des crimes de guerre aux termes du droit international. Maisétant donné l’étendue et la nature parfoisorganisée de ces actes, ceux-ci peuvent très certainementêtre qualifiés de crimes contre l’humanité.

Forces pro-Gbagbo

Meurtres et massacres dansl’extrême ouest du pays

Alors que les Forces républicainesavançaient dans leur offensive militaire, les forces arméesrégulières jusque-là fidèles à LaurentGbagbo ont rapidement battu en retraite. Toutefois, d’autres forcespro-Gbagbo, essentiellement composées de miliciens ivoiriens et demercenaires libériens [voir encart ci-après], sont souventrestées en arrière. Beaucoup semblent ainsi avoir voulu profiterd’une dernière occasion de commettre des atrocités àl’encontre des partisans présumés d’AlassaneOuattara, avant de battre à leur tour en retraite. Human Rights Watch arecueilli des informations sur des massacres perpétrés par lesmiliciens et mercenaires pro-Gbagbo dans deux villes de l’ouest de laCôte d’Ivoire et sur des tueries commises dans quatre autresvilles.

Mercenaireslibériens : guerriers régionaux, acte deux

Les deux camps ontrecruté des mercenaires libériens durant la période post-électorale,exploitant des réseaux remontant au premier conflit arméivoirien composés d’ex-combattants qui avaient pris partà la guerre civile brutale qui a ravagé le Libéria.[138]Le travail mené sur le terrain par Human Rights Watch le long de lafrontière entre le Libéria et la Côte d’Ivoire,avec notamment des entretiens réalisés avec des mercenairesayant été recrutés, révèle que les forcesde Laurent Gbagbo auraient recommencé à recruter et àentraîner d’anciens alliés libériens quelquessemaines avant le second tour des élections. Alors que le conflitarmé se profilait, les forces armées des deux camps ontcommencé à recruter, traitant parfois avec des individusaccusés de graves crimes commis pendant les guerres civiles quiavaient éclaté dans la région.[139] Les chefs de groupes d’ex-combattantsbasés à Monrovia ont déclaré à HumanRights Watch qu’au total, plus de 3 000 Libériens avaienttraversé la frontière ivoirienne pour aller se battre.Plusieurs mercenaires libériens ont dit avoir reçu entre 300 et500 dollars chacun. D’autres sont venus avec la promessed’être payés plus tard et l’autorisation expresse depiller.

Le 22 mars, des miliciens et mercenairespro-Gbagbo ont tué au moins 37 immigrés ouest-africainsà Bédi-Goazon, un village situé à32 kilomètres de la ville de Guiglo, où vivent,d’après les estimations, quelque 400 immigrésouest-africains, dont la plupart travaillent dans des plantations de cacao surdes terres appartenant à des Ivoiriens.[140] HumanRights Watch s’est entretenu avec six témoins qui ontaffirmé que beaucoup de ces assaillants, qui parlaient l’anglais,semblaient venir du Libéria, tandis que la grande majorité desvictimes étaient des immigrés du Mali et du Burkina Faso. Lestémoins ont affirmé que vers 13 heures, ce jour-là,les Forces républicaines avaient traversé Bédi-Goazon, enroute vers Guiglo. Vers 15h30, selon les témoins, au moins quatrevéhicules transportant des dizaines de miliciens pro-Gbagbo, certains enuniforme et d’autres en civil, ont attaqué la partie du villageoù habitaient les immigrés ouest-africains. Les témoinsont expliqué que les miliciens, armés d’armes automatiques,de grenades propulsées par lance-roquettes et de machettes, avaienttué les immigrés chez eux ou alors qu’ils tentaient des’échapper. Avant de partir, les agresseurs se sont livrésà des actes de pillage en s’emparant de tout objet de valeur—notammentdes motocyclettes, de l’argent, des téléviseurs, des matelaset des vêtements—et ont, dans certains cas, incendié lesmaisons.

Plusieurs témoins ont indiquéque la prise pour cible des victimes était clairement basée surdes critères ethniques. Un témoin de 36 ans adéclaré : « Ils sont venus en nous accusantd’être des rebelles et nous ont dit : ‘Si vousêtes dioulas [nord de la Côte d’Ivoire], fuyez si vousle pouvez, si vous êtes guérés [natifs de larégion et surtout partisans de Laurent Gbagbo], restez, nous nesommes pas venus pour vous. Mais si vous êtes maliens ou mossis [ungroupe ethnique du Burkina Faso], nous allons vous tuer.’ Et puis,ils ont commencé à tuer. »[141]

Une Malienne âgée de 18 ansa entendu les assaillants crier en anglais « Fire them ! »(« Tirez sur eux ! »), alors qu’ilsdescendaient de leurs véhicules et commençaient à tuer.Elle a dit qu’elle et plusieurs autres femmes et enfants ontété sauvés par une Libérienne qui s’estinterposée.[142] Quelques témoins, comme ce Malien de 28 ans, ont pusurvivre en donnant de l’argent à leurs agresseurs, mais ont vud’autres personnes se faire tuer sous leurs yeux :

Un homme de 34 ans originaire du BurkinaFaso a dit avoir vu vingt-cinq personnes tuées, et a noté cequ’il pense être un motif clair de l’attaque :

Quelques jours plus tard, le 25 mars, lesmiliciens et mercenaires pro-Gbagbo ont massacré une centaine depersonnes dans la ville de Bloléquin après avoirbrièvement repris la ville aux Forces républicaines. Descentaines de personnes avaient trouvé refuge dans la préfecturedurant les intenses combats entre les deux forces armées. Lorsque lesforces pro-Gbagbo ont pris le contrôle de la préfecture tôtle matin du 25 mars, elles ont séparé les Ivoiriens du Norddes immigrés ouest-africains et les ont exécutés, hommes,femmes et enfants. Un homme qui était détenu par les Forcesrépublicaines à la préfecture de Bloléquin àl’arrivée des forces de Laurent Gbagbo a décrit àHuman Rights Watch comment, contrairement aux nombreuses autres personnes quiavaient été abattues, il avait étéépargné :

Un autre homme entendu par Human Rights Watchest arrivé à Bloléquin quelques jours plus tard et adécouvert plus de 70 cadavres dans la préfecture, toustués par balles. Il y avait tellement de corps autour de lui qu’iln’a pas pu les compter. L’homme a confirmé que les victimesappartenaient à des groupes ethniques du nord de la Côted’Ivoire et de pays ouest-africains voisins.[146]

Human Rights Watch a égalementrecueilli des informations sur les meurtres de 10 Ivoiriens du Nord etautres ressortissants ouest-africains à Guiglo le 29 mars tôtle matin, lorsque la ville était sous le contrôle des milicienspro-Gbagbo et mercenaires libériens, reconnaissables à leursuniformes dépareillés, à leurs amulettes traditionnelleset au fait qu’ils communiquaient en guéré et en anglais.Des témoins ont déclaré que les auteurs des meurtresavaient attaché les victimes ensemble, puis les avaient égorgées.[147] Une autre personne interrogée par Human Rights Watch a vu lescorps le lendemain et, selon elle, deux de ces corps étaient ceux deressortissants maliens et, un troisième, celui d’unGuinéen.[148] Les forces pro-Gbagbo ont quitté Guiglo le 30 mars, desheures avant l’arrivée des Forces républicaines. HumanRights Watch a également recueilli des informations sur les meurtres,à la mi-mars, de huit ressortissants togolais vivant à Keibli,avant que les Forces républicaines ne s’emparent de ce villagesitué juste à l’extérieur de Bloléquin. Unhabitant de Bloléquin qui s’est entretenu avec Human Rights Watcha trouvé leurs corps mutilés dans un lac et aux alentours.[149]

Des témoins ont signalé àHuman Rights Watch que tant lors du massacre de Bloléquin que lors decelui de Bédi-Goazon, les attaquants étaient dirigés parun mercenaire libérien dont le nom de guerre était « BobMarley ».[150] Selon des témoins et plusieurs autres témoignages dignesde foi, dont certains émanant d’ex-combattants au Libéria,« Bob Marley » travaille pour Gbagbo depuis le conflitcivil de 2002, utilisant le village de Ziglo, juste àl’extérieur de Bloléquin, comme base pour recruter etentraîner des mercenaires libériens depuis les élections de2010.[151]

Selon les bulletins d’actualité,les autorités libériennes ont arrêté « BobMarley » en mai 2011 pour son implication dans la crise ivoirienne.[152] Au moment de la rédaction du présent document, ilétait détenu à Monrovia, accusé de « mercenarisme »aux termes de la loi du Libéria.[153]

Tirs aveugles d’obus à Abidjan

Au cours du mois de mars, les forces desécurité de Laurent Gbagbo ont procédé à destirs d’armes lourdes, dont des tirs de mortier, qui ont tué des civilsdans des quartiers pro-Ouattara d’Abidjan, ce que le droit humanitaireinternational qualifierait probablement d’attaques indiscriminées.La pire de ces attaques a été perpétrée dans lequartier d’Abobo par des soldats pro-Gbagbo restés dans la base degendarmerie connue sous le nom de Camp Commando—la seule partied’Abobo alors encore sous le contrôle des forces de Laurent Gbagbo.Human Rights Watch a documenté au moins 30 décèscausés par ces tirs aveugles, qui pourraient être constitutifs decrimes de guerre.

Le 17 mars, plusieurs témoinsentendus par Human Rights Watch ont vu des tirs de mortiers partir du CampCommando.[154] Les quatre premiers obus ont atterri dans une zone appeléeAbobo SOS pendant cinq minutes entre 12 et 13 heures, tuant6 personnes en tout, dont deux enfants de moins de 10 ans, et enblessant 34 autres.[155] Un témoin, qui porte encore des éclats d’obus dansla nuque et a été touché à plusieurs endroits lorsde l’attaque, a relaté les faits : « J’aientendu ‘BOOM’, puis je suis tombé. J’ai mismes mains sur ma tête et j’ai vu du sang couler le long de monbras. Un Sénégalais à mes côtés a reçudes éclats d’obus dans le ventre et il est mort. [...] Lorsquel’obus a explosé, j’ai senti souffler une énormerafale de vent—Vooom—très chaud. »

Peu après, deux obus ont atterri sur lemarché de Siaka Kone d’Abobo, tuant au moins 15 personnes eten blessant une dizaine de plus. Six hommes prenaient le thé enbavardant dans une étroite allée du marché lorsqu’unobus a explosé à quelques mètres d’eux ; ilssont tous morts.[156] Un homme de 50 ans blessé par des éclatsd’obus lors de cette même explosion a décrit lascène :

Quatre autres témoins ont décritla situation en des termes similaires, notamment un dont le jeune frèrea été blessé au ventre et est décédéplus tard à l’hôpital.[158] Tousles témoins ont clairement déclaré qu’il n’yavait sur place ni personnel, ni cible militaire. Lorsque Human Rights Watchs’est rendu sur place en juillet 2011, des centaines d’impactsétaient encore visibles dans les toits de tôle, les portesmétalliques, les murs en béton et tout ce qui se trouvait dans unrayon de 15 à 20 mètres du lieu de l’explosion.La division des droits de l’homme des Nations Unies aenquêté le jour de l’attaque ; son rapport indiquequ’au moins six obus de mortier de 81 mm ont ététirés, tuant au moins 25 personnes et en blessant 40 autres.[159]

Des attaques similaires sur des quartiersrésidentiels ont tué au moins neuf autres personnes entre le 11et le 24 mars ; une femme et son bébé ontété tués lors de l’une de ces attaques.[160] La commission d’enquête internationale a documentéd’autres bombardements d’obus effectués par les forces deLaurent Gbagbo dans les quartiers de Williamsville, de Yopougon etd’Adjamé, signalant au moins 40 morts et plus d’unecentaine de blessés si l’on inclut les attaques d’Abobo.[161]

Suite aux nombreux bombardements de zonesciviles, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adoptéle 30 mars la résolution 1975 demandant à l’UNOCI« d’utiliser tous les moyens nécessaires pour mettreen œuvre son mandat de protéger les civils (…) ycompris pour prévenir l’usage d’armes lourdes ».[162] Le 3 avril, le Secrétaire général desNations Unies Ban Ki-Moon a demandé au Président Sarkozy l’assistancede la force Licorne dans cet effort ; des attaques concertées de laforce de maintien de la paix des Nations Unies et de la force Licorne ontcommencé le lendemain dans les zones où les troupes de LaurentGbagbo étaient soupçonnées d’utiliser des armeslourdes contre les civils.[163] Ces interventions ont mené aux attaques de la résidencede Laurent Gbagbo le 11 avril, juste avant que les Forcesrépublicaines n’arrêtent l’ancien Président.[164] Un journaliste de l’Associated Press a dénombréplus de 500 missiles BM-21 pour lance-roquettes multiples de 122 mmquelques jours plus tard dans la résidence de Laurent Gbagbo ;mortier, grenades et munitions pour mitrailleuses ont égalementété trouvés, notamment chez Ake N’Gbo, le Premierministre de Laurent Gbagbo.[165]

Viols et meurtres ethniquesgénéralisés à Abidjan

Human Rights Watch a documenté plus de260 meurtres perpétrés par des miliciens, mercenaires etforces armées pro-Gbagbo à Abidjan, alors que les Forcesrépublicaines s’emparaient progressivement de la ville. Les forcesde Laurent Gbagbo ont établi des points de contrôle partout dansla ville, poursuivant leur campagne de ciblage à l’encontre desIvoiriens du Nord et des immigrés ouest-africains qui durait déjàdepuis plusieurs mois. Avant l’arrivée des Forcesrépublicaines dans tous les quartiers, les forces pro-Gbagbo ontlancé une dernière vague de violence contre les partisansd’Alassane Ouattara—tuant des hommes, essentiellement des jeunes,et faisant subir aux femmes des violences sexuelles. Les tueries se sontpoursuivies jusque dans les derniers jours de la présence des forces deLaurent Gbagbo dans certains quartiers. De nombreuses personnes ontété tuées dans le fief traditionnel de la milice deYopougon dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Laurent Gbagbo,laissant le quartier jonché d’une douzaine de charniers et,pendant de nombreux jours, des corps éparpillés dans les rues.

Les meurtres documentés par HumanRights Watch ont eu lieu dans les quartiers d’Adjamé, deWilliamsville, de Koumassi, de Port-Bouët et de Yopougon. Des sourcescrédibles, notamment des groupes locaux de défense des droitshumains et des chefs de quartier de communautés immigrées, ontrecueilli des informations sur des meurtres similaires dans d’autresquartiers, comme ceux de Treichville et de Plateau, ce qui laisse supposer quele nombre total de personnes tuées par les milices pro-Gbagbo pendantcette période est probablement plus élevé. Les corps ontsouvent été brûlés, parfois en masse, par les milicienspro-Gbagbo ou par des habitants qui ne supportaient plus l’odeur—nelaissant d’autres traces que de petits fragments d’os.

Adjamé et Williamsville

Le 14 mars, les forces pro-Ouattara—enparticulier le Commando invisible—ont brièvement étenduleur contrôle depuis Abobo jusque dans les quartiersd’Adjamé et de Williamsville. Après les avoirrepoussées au cours des jours suivants, les forces pro-Gbagbo ontciblé et tué des douzaines de partisans supposésd’Alassane Ouattara dans ces quartiers. Une femme de 52 ans,restée à Williamsville pendant presque toute la vague de violencecar ses parents étaient trop âgés pour s’enfuir, araconté ce qui suit à Human Rights Watch :

Les meurtres sont devenus de plus en plusfréquents au fur et à mesure que les Forces républicainesse rapprochaient d’Abidjan. Un chauffeur ivoirien a décrit lemeurtre, le 28 mars, de trois bouchers maliens par des miliciens, reconnaissablesà leur tee-shirt noir et leur brassard rouge. Les miliciens les ontabattus alors qu’ils allaient chercher une vache dans le quartier deWilliamsville.[167] Le 17 mars, un Sénégalais, blessé au brasdans le quartier d'Adjamé par un tir d’hommes armés enuniforme, a raconté comment deux de ses amis, également desSénégalais, ont été abattus cejour-là : « Les hommes armés ont visé leursarmes sur eux et ont tiré. […] Ils ne leur ont poséaucune question, ils les ont abattus comme ça, à bout portant. »[168] Un autre témoin a décrit le meurtre d’un civilarrêté le 30 mars à un barrage de miliciens àAdjamé :

Si les miliciens étaient souvent lesauteurs de crimes, des témoins ont également identifié lesforces de sécurité lors de certaines attaques. Un homme de40 ans, originaire du Burkina Faso, était l’un des neufimmigrés ouest-africains arrêtés par des hommes arméset en uniforme, qu’il pense être des policiers, à un barrageà Adjamé, le 29 mars. Le groupe a étéemmené dans un poste de police où les policiers leur onttiré dessus :

La violence à Adjamé aprovoqué un exode massif d’Abidjan des immigrésouest-africains et des Ivoiriens du Nord, qui sont allés seréfugier dans leurs ambassades respectives ou auprès de famillesrésidant en dehors d’Abidjan ou dans d’autres quartiers.

Koumassi/Port-Bouët

Human Rights Watch a égalementdocumenté de nombreux meurtres perpétrés dans lesquartiers de Koumassi et de Port-Bouët alors que les Forcesrépublicaines et les forces pro-Gbagbo s’affrontaient pour prendrele contrôle d’Abidjan entre le 31 mars et le 11 avril,date de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Étant situés toutau sud d’Abidjan—à l’autre bout de l’endroit parlequel les Forces républicaines étaient entrées dans laville—, ces quartiers ont été deux des trois derniersà tomber. En effet, les combats n’y ont pas étéparticulièrement intenses car les Forces républicainesn’ont pas eu besoin de les contrôler pour arrêter LaurentGbagbo ; la majorité des miliciens pro-Gbagbo avaient fui lequartier au moment de l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Cependant, tandis que les combats sepoursuivaient dans d’autres parties de la ville, les partisansréels ou présumés d’Alassane Ouattara dans cesquartiers ont été systématiquement ciblés par lessoldats des Jeunes patriotes, de la FESCI et du CECOS. Des miliciens onttué au moins 18 habitants de Port-Bouët, essentiellement desimmigrés ouest-africains, au cours des attaques des 2 et 4 avril.[171] D’autres encore ont été tués alorsqu’ils tentaient de fuir l’offensive pour aller se réfugierdans d’autres quartiers. Lors de l’attaque de la milice pro-Gbagbole 2 avril, des centaines de personnes sont parties en direction de labase de la force Licorne située non loin de là. Apprenant que labase Licorne ne pouvait pas les abriter, les habitants ont poursuivi leur routevers Koumassi. Un témoin a raconté ce qui s’est ensuitepassé :

Un autre témoin entendu par HumanRights Watch a assisté, le 7 avril, àl’exécution de quatre frères à un poste decontrôle de la milice, à proximité du même CampCommando, situé près d’un accès principal àKoumassi.[173] En fin d’après-midi ce jour-là, un résidentqui habitait à moins de 100 mètres de ce poste decontrôle a raconté à Human Rights Watch qu’ils’était discrètement approché du site et avaitfilmé 24 cadavres gisant dans la rue.[174] Denombreux témoins ont raconté qu’au bout de quelques jours,il y avait des zones entièrement noircies le long de la route oùla milice avait brûlé des corps.

Yopougon

En tant que base de longue date de la milicede Gbagbo et zone du combat final dans la lutte pour Abidjan, le quartier deYopougon a été le site de meurtres particulièrementviolents contre des groupes présumés pro-Ouattara. De nombreuxhomicides ont été commis dans les jours qui ont suivil’arrestation de Gbagbo tandis que les miliciens cherchaient ouvertementà se venger.

Dans le quartier de Mami-Faitai, une sectionen grande partie musulmane de Yopougon, Human Rights Watch a vu ce qui semblaitêtre huit fosses communes. Selon des personnes qui ont participéaux inhumations, chaque fosse contenait entre 2 et 18 cadavres.[175] Au moins 46 personnes ont été tuées danscette zone entre les 11 et 13 avril. Les habitants de Mami-Faitai avaientcréé un poste de contrôle à l’entrée deleur quartier où, selon plusieurs résidents, des jeunes nonarmés signalaient si des attaquants arrivaient en frappant sur descasseroles. Les résidents ont décrit comment sept attaquants enuniformes de la BAE (l’unité anti-émeute) ont fait unedescente sur le point de contrôle peu après minuit le11 avril et ont tué 18 personnes. Un rescapé qui afeint d’être mort après avoir reçu une balle adéclaré à Human Rights Watch :

Un homme de 65 ans qui vivait dans lemême quartier a perdu cinq fils quand des miliciens se sont introduits engrimpant dans sa résidence aux alentours de 9 heures du matin le12 avril. Voici ce qu’il a raconté :

Dans le sous-quartier de Doukouré,à Yopougon, les corps de 29 personnes reposent dans une fossecommune unique provenant de la tuerie du 12 avril, selon plusieurshabitants qui ont aidé à enterrer les corps le 13 avril.[178] Au moins sept autres fosses communes contenant de 1 à12 corps se trouvent à proximité dans le même parkingpoussiéreux de la mosquée de quartier, selon des personnes quiont aidé à les enterrer.[179]Alors qu’ils allaient de maison en maison en tuant, les miliciensont également violé des femmes, dont une de 23 ans :

Human Rights Watch a documenté21 viols commis par les forces pro-Gbagbo à Doukouré etMami-Faitai dans la semaine suivant l’arrestation de Laurent Gbagbo. Aumoins neuf, comme celui relaté ci-dessus, ont étéperpétrés durant les attaques du 12 avril. Les viols ontcontinué les jours suivants alors que des femmes tentaient de rentrerchez elles pour se procurer des affaires essentielles pour leurs familles quise tenaient cachées.

Les meurtres commis dans les zonescontrôlées par les milices se sont poursuivis jusque dans lesderniers jours de la bataille de Yopougon. Le25 avril, les milices pro-Gbagbo ont profité d’un brefmouvement des Forces républicaines hors de Yopougon Andokoi pour mettreen place un barrage routier. Deux frères maliens sont entrés dansle quartier aux environs de midi, en pensant qu’il n’y avait pas dedanger, et ont été arrêtés au poste decontrôle des milices. Le frère aîné, interrogépar Human Rights Watch, s’est échappé mais s’estretourné pour voir que son frère de 26 ans avaitété arrêté. Une fois que les Forces républicainesont repris le contrôle de la zone cette nuit-là, le frèreaîné est revenu pour trouver le corps à demicarbonisé de son frère empilé à côtéde cinq autres victimes, qui avait également étébrûlées au point d’être presqueméconnaissables.[181] Le 27 avril, le sous-quartier de Locodjoro, l’une desdernières zones à tomber aux mains des Forces républicaines,a été complètement brûlé par les miliciens enfuite. Ils ont détruit des centaines de maisons et, selon destémoins, arrêté, ligoté et exécutédeux Maliens. L’un d’eux était en chemin vers la zone poursauver sa mère qui avait été dans l’incapacitéde fuir les violences antérieures.[182]

Les résidents de Yopougon des deuxpartis politiques ont déclaré qu’ils avaient vu quelqueschefs de milice bien connus à l’intérieur et aux environsdes sous-quartiers de Yopougon où un grand nombre de meurtres ontété commis. Les témoins ont décrit àplusieurs reprises avoir vu le chef de milice Bah Dora dans la zone de ToitRouge. Des témoins ont également décrit la participationdes membres de la milice sous le commandement de Bah dans les multiplesmeurtres de civils d’appartenance présumée à desgroupes pro-Ouattara.[183] Plusieurs résidents du quartier ont déclaréà Human Rights Watch que Bah avait été capturé parles Forces républicaines et était détenu au 19ème arrondissement.[184] Deux témoins ont également indiqué avoir vu MahoGlofiei, chef de longue date d’une milice de la région del’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, à Yopougonjuste avant l’arrestation de Gbagbo.[185]

Offensive militaire des Forcesrépublicaines

Le 17 mars, Alassane Ouattara asigné un décret portant création des Forcesrépublicaines de Côte d’Ivoire, qui constituent les forcesarmées « officielles » du pays. Les Forcesrépublicaines étaient composées de combattants des Forcesnouvelles ainsi que de membres de l’armée nationale et des forcesde sécurité qui avaient rallié le camp d’AlassaneOuattara.[186] Le décret a été promulgué près detrois semaines après que les Forces nouvelles, sous le commandement duPremier ministre d’Alassane Ouattara, Guillaume Soro, avaientlancé une offensive à Zouan-Hounien, une ville à lafrontière libérienne. Le 29 mars, après un moisd’intenses combats essentiellement avec des miliciens et des mercenairespro-Gbagbo, les nouvelles Forces républicaines ont pris le contrôlede l’Ouest. Dans les deux jours qui ont suivi, les villes sonttombées dans le sud, le centre et l’est de la Côted’Ivoire, les unes après les autres, des brèchess’ouvrant sur les trois fronts. Le 31 mars, les Forcesrépublicaines convergeaient vers Abidjan et entamaient des combats quiallaient se conclure par l’arrestation de Laurent Gbagbo le11 avril. Les combats se sont cependant poursuivis jusqu’à lapremière semaine du mois de mai, les miliciens pro-Gbagbo continuant lecombat dans leur bastion du quartier de Yopougon.

Avant leur offensive militaire dansl’extrême ouest du pays, les éléments armésfidèles à Alassane Ouattara ont été peuimpliqués dans des exactions graves. Cependant, une fois le conflitarmé lancé, les soldats ont systématiquement pris pourcible des civils suspectés d’être des partisans de LaurentGbagbo à chaque fois qu’ils rencontraient une résistanceacharnée essentiellement dans l’Ouest et à Abidjan. Si leshommes et les jeunes étaient particulièrement visés pour leuraffiliation présumée avec les milices, des personnesâgées, des femmes et des enfants ont égalementété tués. Au total, des centaines de victimes ontété exécutées après avoir étéprises pour cible selon des critères ethniques, et des dizaines defemmes ont été violées. Parfois, des hauts gradésdes Forces républicaines ont été impliqués dans cesexactions, soit directement, soit au titre de leur responsabilité decommandement.

Meurtres, viols et pillages dansl’extrême ouest du pays

Les affrontements armés entre lesforces pro-Ouattara et pro-Gbagbo ont débuté le25 février autour de la ville de Zouan-Hounien, dans l’ouestdu pays. Après s’être emparées rapidement deZouan-Hounien et de Bin-Houyé le long de la frontièrelibérienne, les Forces républicaines ont fait face à uneplus grande résistance à Toulepleu, Doké, Bloléquinet Duékoué.[187] Le 10 mars, Soro a proclamé le commandant FofanaLosséni chef de la « pacification de l’ouest du pays »pour les Forces républicaines, avec pour mandat de « protéger les populationsau nom du gouvernement Ouattara ».[188] Destémoins et des journalistes ivoiriens ont égalementidentifié le capitaine Eddie Médi comme étant le chef del’offensive militaire menée de Zouan-Hounien à Guiglo.[189]

Alors que les combats faisaient rage pendanttout le mois de mars, les Forces républicaines ontsystématiquement pris pour cible les civils présuméspro-Gbagbo. Les visites effectuées par Soro aux Forces républicainesà Toulepleu les 9 et 10 mars ne semblent pas avoirréduit le nombre de leurs exactions.

Human Rights Watcha recueilli des informations sur les meurtres de civils commis par les forcespro-Ouattara dans une dizaine de villages au moins autour de Toulepleu etBloléquin, notamment des exécutions à bout portant, desactes de mutilation et des immolations. Bien que la majorité deshabitants guérés de la région aient fui enprévision de l’attaque menée par les Forcesrépublicaines, ceux qui sont restés ont été soumisà un châtiment collectif pour le soutien présumé deleur groupe à Gbagbo. La commission d’enquête internationalea par ailleurs découvert qu’« à leurarrivée dans les villes, les FRCI et leurs alliés ontégalement commis de nombreuses exactions contre les populations jugés[sic] favorables à l’ex président Gbagbo […] ».[190]

Un Guéré de 57 ansoriginaire de Zoguiné, village situé entre Toulepleu et leposte-frontière officiel ivoiro-libérien tout proche, aexpliqué à Human Rights Watch que les Forces républicainesavaient tué un agriculteur qui rentrait chez lui à pied,brûlé vive sa mère et détruit son village :

Dans quelques villes et villages, les Forcesrépublicaines sont arrivées plus tôt que prévu,avant que la plupart des habitants n’aient pu fuir, et elles ont ouvertle feu alors que la population en panique cherchait à se réfugierdans la brousse avoisinante. Human Rights Watch a recueilli des informationssur des dizaines de meurtres survenus dans ces circonstances àToulepleu, Diboké, Doké et Bloléquin.

Des témoins ont déclaréque les Forces républicaines allaient souvent de maison en maisonaprès s’être emparées d’un village, tuant bonnombre de ceux qui étaient restés. Une habitante de Dibokéâgée de 23 ans a déclaré à Human RightsWatch que des combattants des Forces républicaines étaiententrés chez elle et avaient tué sa mère, son pèreet son frère cadet. Elle s’était échappée parune fenêtre, trouvant finalement refuge au Libéria.[193] Une femme de 25 ans de Bloléquin s’est cachéesous son lit lorsque les forces pro-Ouattara ont pénétréchez elles et ont tué sa sœur âgée de 20 ans.[194] Dans aumoins quatre cas sur lesquels Human Rights Watch a recueilli des informations,les victimes ont eu des parties de leurs bras tranchés et ont ensuiteété éventrées à l’aide de longscouteaux—deux alors qu’elles étaient encore vivantes, deuxautres après avoir été abattues.[195]

Après avoir commis ces actes dansplusieurs villes et villages, certains soldats des Forces républicainesse sont déployés à pied sur les pistes dans des zonesoù les habitants travaillent dans leurs plantations de cacao—tuantd’autres personnes qui croyaient avoir trouvé refuge dans unendroit sûr. Une femme de 47 ans a décrit à HumanRights Watch ce qui s’est produit dans l’une de cescirconstances :

Des témoins ont expliquéqu’après avoir tué sommairement les civilsguérés trouvés dans un village, les Forcesrépublicaines se livraient souvent au pillage avant de mettre le feu auxmaisons. Human Rights Watch a recueilli des informations sur l’incendiepartiel d’au moins 10 villages guérés autour de Toulepleuet de Bloléquin. Plusieurs témoins ont signalé àHuman Rights Watch qu’alors qu’ils étaient cachésdans la brousse, ils avaient vu les forces pro-Ouattara allerjusqu’à mettre le feu aux bâtiments servant à stockerle riz et les semences de riz.[197]

Exécutions sommaires de civilsdétenus, essentiellement des personnes âgées

Lorsque les Forces républicainesdéferlaient sur un village, les personnes âgées ou malades,ainsi que leurs proches qui refusaient d’abandonner les êtres chersincapables de fuir, sont souvent restés dans leurs maisons. Dansplusieurs cas au moins, les Forces républicaines ont enfermé cespersonnes dans une ou plusieurs maisons du village et les ont tuées dansles jours qui ont suivi. Human Rights Watch a recueilli des informations surles meurtres d’une trentaine de Guérés qui n’avaientpas été en mesure de fuir avec leurs familles ; dans lavaste majorité des cas, les Forces républicaines ont abattu lesvictimes âgées à bout portant. Des dizaines d’autresréfugiés interrogés par Human Rights Watch ontdéclaré avoir laissé derrière eux des parents tropâgés dans d’autres villages autour de Toulepleu et deBloléquin, ce qui semble indiquer que ce bilan meurtrier pourraits’avérer plus lourd encore.

Une femme guéré de 21 ansoriginaire d’un village proche de Toulepleu a confié quedébut mars, elle, sa famille et cinq autres habitants avaientété maintenus en détention. Elle a étéviolée, son mari a été tué pour avoir essayéde la défendre, et d’autres ont étéexécutés :

Une femme de 67 ans originaire deDoké, où des combats entre les forces de Ouattara et celles deGbagbo ont eu lieu le 13 mars, a fourni à Human Rights Watch une descriptionanalogue de l’exécution de 20 civils guérés, enmajorité des hommes et femmes âgés :

Un homme de 84 ans détenu dans uneautre maison de Doké avec six autres Guérés aexpliqué que le cinquième jour de leur captivité, des soldatsen uniforme des Forces républicaines ont verrouillé la maisondans laquelle ils étaient détenus et qui ne comptait qu’uneseule pièce, ouvrant ensuite le feu à travers les murs. Cinq dessept captifs sont morts immédiatement, tous avaient plus de 50 ans,et le témoin a eu trois blessures par balle à la jambe gauche.[200] Les forces pro-Ouattara ont quitté le village—qui aété repris brièvement le jour même sans coup férirpar les forces pro-Gbagbo—, permettant à l’homme des’échapper avec l’autre survivant. Ils ont trouvé unevoiture qui les a emmenés à Guiglo, où la Croix-Rouge lesa soignés. Menacé par une autre attaque imminente des Forcesrépublicaines à Guiglo, l’homme de 84 ans a parcourupendant deux semaines plus de 100 kilomètres à pied pourrejoindre le Libéria et trouver refuge dans un village libérien.[201]

Viols et autres violencessexuelles

Human Rights Watch a recueilli desinformations sur 23 cas de viol et autres violences sexuelles commis parles Forces républicaines lors de leur progression dansl’extrême ouest du pays. Toutes les victimes étaientguérés. Dans plusieurs cas, les agresseurs ont fait allusionà l’origine ethnique de la victime avant ou pendant le viol. Desinformations dignes de foi émanant d’organisations humanitairestravaillant le long de la frontière ivoiro-libérienne semblentindiquer qu’il existe des dizaines d’autres cas analogues.

Dans quelques cas, les combattants ontcapturé des femmes et des filles lors de l’attaque initialed’un village, les ont forcées à aller dans la brousseavoisinante et les ont violées. Une femme de 31 ans originaire deBohobli, un village proche de Toulepleu, avait décidé de ne pass’enfuir lors de l’avancée des forces d’AlassaneOuattara car sa grand-mère ne pouvait pas partir et elle-mêmeétait handicapée du pied. Elle a confié à HumanRights Watch que trois hommes armés étaient entrés chezelle. Un combattant a tué la grand-mère à coups demachette, tandis que les deux autres ont traîné la femme dans labrousse, où ils l’ont violée.[202]

Dans la majorité des casdocumentés, les combattants ont enfermé les femmes dans desmaisons pendant un ou plusieurs jours, commettant des viols collectifsrépétés avant de partir pour la ville ou le villagevoisin. Aux alentours du 7 ou 8 mars, les Forces républicaines sontpassées par Basobli, à une dizaine de kilomètres deToulepleu en direction de la frontière libérienne. Bien que laplupart des habitants aient fui dès qu’ils ont appris la chute deToulepleu, une femme de 25 ans qui s’est entretenue avec HumanRights Watch est restée au village pour veiller sur ses jeunesfrères et soeurs :

Après que les forces pro-Ouattaraavaient pris Bloléquin le 20 mars, elles ont égalementenfermé les hommes et les femmes qu’elles avaient capturéspendant les combats et qui étaient dans l’impossibilité defuir. Dans une villa située non loin de la préfecture oùétaient installés plusieurs commandants des Forcesrépublicaines, des combattants ont violé à plusieursreprises huit jeunes femmes guérés, dont plusieurs filles, commel’a décrit un homme détenu avec elles :

Les crimes susmentionnés—meurtresà l’arrivée des Forces républicaines dans lesvillages, exécutions de vieillards incapables de fuir, violences sexuelleset destruction de villages par le feu—semblent avoir étéessentiellement commis par les forces sous le commandement direct du capitaineEddie Médi (voir l’encart ci-après pour plusd’informations à son sujet).[205] Anciencommandant des Forces nouvelles à Danané, EddieMédi a dirigé ses forces de Zouan-Hounien vers Toulepleu, puis deBloléquin vers Guiglo au cours de l’offensive du mois de mars.[206] Les forces d’Eddie Médi ont commis à leur passagede nombreux meurtres et viols qui ont été documentés. Lorsd’un entretien en date du 17 mars 2011, Dion Robert, le majorgénéral de Médi a déclaré que « lecapitaine Eddie est toujours au-devant des troupes »,[207] laissant supposer qu’il avait dû voir au minimumquelques-uns des crimes de guerre ayant étéperpétrés. L’Associated Press a signalé que lesexactions commises par les troupes de Médi se sont poursuivies au coursdes mois suivants, notamment avec l’effroyable massacre de47 Guérés près de la frontière libériennele lendemain de l’investiture d’Alassane Ouattara. EddieMédi a reconnu avoir envoyé ses troupes dans cette zone le jouren question, ajoutant cependant que c’était pour lutter contre lesactivités des mercenaires pro-Gbagbo.[208]

Des exactionsrécurrentes : deux chefs des Forces républicaines qui ont commandé des troupes à l’origine de crimes graves dans lepassé

Capitaine EddieMédi : Commenous l’avons indiqué un peu plus haut, Eddie Médi a commandédans l’extrême Ouest les forces armées qui ontassassiné, violé et brûlé des villages pour desraisons politiques et ethniques. Durant le conflit armé de 2002-2003,Eddie Médi était un commandant du Mouvement pour la justice etla paix (MJP), un groupe rebelle qui, en se joignant à deux autresgroupes, a donné les Forces nouvelles. Selon un article de Nord-Sud,à partir de novembre 2002, il aurait joué un rôle actifdans « différents combats pour le contrôle desvilles de l’Ouest que sont Man, Danané et Bangolo »puis « [mis] en déroute les mercenaires libériens »qui avaient commis des massacres à Bangolo.[209] Le 7 mars 2003, des mercenaireslibériens pro-Gbagbo ont en effet été impliquésdans le massacre de quelque 60 habitants de Bangolo, pour la plupart desDioulas, comme l’a documenté Human Rights Watch au moment desfaits.[210] Cependant, deux semaines plus tard, le22 mars, les forces rebelles ont commis un massacre contre des civilsguérés dans le village de Dah, juste en dehors de Bangolo, dansce qui constituait « probablement une attaque dereprésailles », selon le même rapport de HumanRights Watch de 2003.[211]Il n’est pas clair si EddieMédi a été personnellement impliqué dans cetteattaque, mais les informations publiées dans le quotidien Nord-Sudindiquent qu’à cette période, il était au moins lecommandant du MJP dans la région de Bangolo. Un rapport d’InternationalCrisis Group a relaté qu’en avril 2003, le MJP établi surplace avait « empêché l’accès[…] pendant quatre jours » aux troupes de la MICECI(la mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire en 2003)envoyées pour enquêter sur le massacre. Lorsque le MJP a finipar autoriser la MICECI à entrer, il ne restait plus aucune preuvephysique d’un massacre.[212]

Lors d’unentretien accordé au quotidien Fraternité-Matin, EddieMédi, alors à la tête des opérations militairesdes Forces nouvelles dans la zone,[213] a été interrogé surles accusations de massacres, de viols et d’autres actes criminelscommis par ses forces. Il a répondu qu’après la fuite desforces officielles de Laurent Gbagbo, des jeunes encore armés étaientrestés dans les villages et leur avaient opposé une« forte résistance », avant depoursuivre : « Il peut avoir des débordementsà certains endroits. Cependant, je crois que cela est dûà la résistance qui nous a été faite. […]Lesévénements de Bangolo ne sont pas imputables uniquementà notre mouvement. […].Beaucoup parmi ceux qui parlent,n’ont aucune preuve que les actes qu’ils décrivent sont denous. »[214] Les mêmes explications ont souventété avancées par les Forcesrépublicaines—souvent composées par les mêmescommandants—lorsqu’elles ont été accuséesd’exactions similaires en 2011.

CommandantOusmane Coulibaly (communément connu sous son ancien nom de guerre« Ben Laden ») : Comme cela est évoqué plus bas dans lapartie consacrée à la bataille finale pour la prised’Abidjan, Ousmane Coulibaly était en charge des troupesbasées à Yopougon, que des témoins et des victimes ontaccusées à plusieurs reprises d’êtreimpliquées dans des meurtres, des actes de torture et desdétentions arbitraires. Le rapport 2009 sur les droits de l’homme du départementd’État des États-Unis relatif à la Côte d’Ivoire souligne queCoulibaly pourrait être impliqué au titre de sesresponsabilités de commandant dans des crimes graves, soulignant que« le caporal Alpha Diabaté, proche collaborateur ducommandant Ousmane Coulibaly du secteur 8 des Forces nouvelles, aété identifié comme étant l’auteurd’actes de torture sur trois éleveurs à Odienne en mai2008. Fin 2008, les autorités des Forces nouvelles n’avaienttoujours pas pris de mesure à son encontre ».[215] De plus, au début et à lami-2003, Ousmane Coulibaly était un commandant du groupe rebelle MJPdans la ville de Man située à l’ouest du pays. Le MJP,qui a plus tard été intégré aux Forces nouvelles,entretenait des liens étroits avec Charles Taylor et les mercenaireslibériens.[216] Human Rights Watch,[217] International Crisis Group,[218] la commission d’enquêteinternationale de 2004[219] et Amnesty International[220] ont accusé les forces du MJPd’avoir commis de graves crimes internationaux à Man et dans lesenvirons. Ousmane Coulibaly n’a pas été cité commeayant ordonné ces crimes, mais il était le commandant desopérations supervisant les troupes qui ont perpétré detels actes.[221]

Massacre de Duékouéimpliquant les Forces républicaines

Après que les Forcesrépublicaines avaient pris le contrôle deDuékouéle 29 mars tôt le matin, elles et leurs milices alliées ontmassacré des centaines d’habitants guérés dans lequartier Carrefour de la ville. Human Rights Watch a interrogé huit femmesqui ont assisté aux événements, ainsi que plusieurspersonnes qui avaient aidé à compter ou à enterrer lescorps dans les jours qui ont suivi le massacre. Cinq témoins ontclairement identifié des Forces républicaines parmi lesattaquants, affirmant qu’ils étaient arrivés dans descamions, des 4x4 et à pied, en tenue militaire. D’autres ontexpliqué avoir vu deux milices pro-Ouattara opérer enétroite collaboration avec les Forces républicaines, commettantdes exactions contre la population civile : un groupe traditionnel dechasseurs et de défense civile dont les membres sont connus sous le nomde Dozos, généralement armés de fusils etidentifiés par leurs vêtements traditionnels ; et un groupede miliciens burkinabés qui vivent dans la région et sontdirigés par Amadé Ouérémi. La commissiond’enquête internationale,[222] Amnesty International[223] et la Fédération internationale des ligues des droits del’homme[224] s’accordent pour désigner les soldats des Forcesrépublicaines comme impliqués directement dans le massacre deDuékoué, aux côtés de groupes de miliciens comme lesDozos.[225]

Le quartier Carrefour est depuis longtemps unpoint de concentration des miliciens pro-Gbagbo et, aucours des jours précédant la prise de contrôle par lesForces républicaines, les miliciens et mercenaires se sont livrésà des meurtres de partisans d’Alassane Ouattara. Cependant, selondes témoins interrogés par Human Rights Watch, les forcespro-Ouattara y ont exécuté des hommes qui ne passaient pas pourêtre membres des milices, y compris des garçons et des vieillards.Selon les déclarations faites par des membres des forces pro-Ouattarapendant l’attaque, ils visaient la population du quartier en vued’infliger un châtiment collectif aux Guérés. Unefemme de 39 ans a décrit le meurtre de son mari ainsi que desdizaines d’autres meurtres, dans un récit qui en rappelle denombreux autres :

Une femme de Carrefour âgée de29 ans a également confié que son mari avaitété tué et que son frère de 15 ans avaitété recruté de force :

Un chef religieux de Duékoué quis’est rendu dans le quartier Carrefour le 31 mars a confiéà Human Rights Watch que des centaines de cadavres y gisaient encore,dont 13 dans une église appelée l’Église duChristianisme céleste. Parmi eux se trouvait le corps criblé deballes du pasteur, toujours en habits religieux.[228]

Bataille finale pour Abidjan et les semaines qui ont suivi

Le schéma d’exactionsobservé tout d’abord lors de l’offensive militaire desForces républicaines dans l’Ouest s’est poursuivi lorsquecelles-ci ont pris le contrôle d’Abidjan en avril et se sont lancéesà la recherche d’armes et de miliciens. Des combats actifs contreles miliciens et les mercenaires pro-Gbagbo ont en effet continué bienaprès l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril, les dernièresenclaves de Yopougon étant libérées—et les derniersgroupes de miliciens ayant pris la fuite—aux alentours du 8 mai.Comme dans l’Ouest, en prenant le contrôle des zones, les Forcesrépublicaines ont pu constater que nombre des personnes issues de leursgroupes ethniques avaient été assassinées par les miliciensde Laurent Gbagbo en fuite. Parfois lors d’opérationssystématiques et organisées, parfois par simple revanche, lesForces républicaines ont entamé des représaillescollectives à l’encontre de jeunes hommes appartenant à desgroupes ethniques associés à Laurent Gbagbo—commettant desexécutions extrajudiciaires dans les quartiers et les sites dedétention, et faisant subir à de très nombreuses personnesun traitement inhumain parfois assimilable à de la torture.

Au cours des mois suivant les enquêtesde Human Rights Watch, la division des droits de l’homme de l’ONUCIa continué à documenter des meurtres et d’autres exactionsperpétrés par les Forces républicaines, notamment huitmeurtres et d’autres cas de torture et de traitement inhumain entre les17 et 23 juin[229], ainsi que 26 exécutions extrajudiciaires et 85 casd’arrestation et de détention arbitraires entre le 11 juilletet le 10 août.[230]

Meurtres et autres exactions commises lors de patrouilles etd’opérations de recherche

Human Rights Watch adocumenté 95 meurtres commis par des soldats des Forcesrépublicaines contre des habitants non armés lors desopérations de recherche qui ont suivi la fin de la lutte active contreles forces pro-Gbagbo. Deuxmeurtres ont été commis les 23 et 24 mai, aprèsl’investiture d’Alassane Ouattara le 21 mai. La grande majorité des meurtres documentésont été commis à Yopougon, une commune habitée parun grand nombre de partisans de Laurent Gbagbo et d’anciennes bases desgroupes de miliciens. La commune de Yopougon semble avoirété prise pour cible de manièredisproportionnée pour les meurtres commis en représailles alorsque les Forces républicaines infligeaient une punition collectivemeurtrière à de jeunes hommes des groupes ethniques bété,attié, guéré et goro. De nombreux résidents ontdéclaré à Human Rights Watch que les milices et lesmercenaires, qui avaient pendant des mois pris pour cible et tué desgroupes pro-Ouattara, avaient pour la plupart pris la fuite avant la prise decontrôle des Forces républicaines, de sorte que ceux quiétaient restés étaient des civils, présumésêtre des partisans de Laurent Gbagbo. Yopougon, qui compte environ unmillion d’habitants, est divisée en dizaines de quartiers. Bienque les Forces républicaines aient commis des violences dans toutYopougon—et dans une moindre mesure à Koumassi et Port-Bouët—,plus de 70 des meurtres documentés par Human Rights Watch se sontproduits dans les sous-quartiers de Koweit et Yaosseh.

Koweit

Koweit a été l’une desdernières zones d’Abidjan à tomber, avec des combats seterminant aux alentours du 3 mai. Dans les jours et les semaines qui ontsuivi, les Forces républicaines ont procédé à desfouilles maison par maison. Les hommes de groupes pro-Gbagbo semblent avoirété la cible d’exactions. Human Rights Watch aégalement documenté un cas de viol. Une femme de 34 ansoriginaire de Yopougon Koweit a décrit comment elle a étébrutalement violée par un soldat des Forces républicaines le 8 mai,et a ensuite vu les Forces républicaines tuer 18 jeunes :

Human Rights Watch a documenté sixautres meurtres à Koweit commis par les Forces républicaines lemême jour. Un témoin a décrit cinq hommes se faisantdépouiller, aligner et mitrailler par un soldat. Quatre victimes sontmortes instantanément ; la cinquième, touchéeà la cuisse, a feint d’être morte et a rampé plustard jusqu’à une maison voisine. Le témoin, un ami quihabitait à proximité, est allé vers lui, et l’hommea demandé de l’eau. Alors que le témoin étaitallé chercher de l’eau, il a entendu plusieurs coups de feu. Il atrouvé son ami mort—avec un impact de balle dans le bras qui avaitlaissé des fragments d’os sur le sol et un autre à lapoitrine qui était ressorti par le dos de la victime.[232]

Les meurtres à Koweit ontcommencé immédiatement après que les Forcesrépublicaines ont pris le contrôle du quartier. Le 3 mai, untémoin a vu des soldats exécuter un homme de 63 ans àbout portant après l’avoir accusé de louer une chambreà un milicien pro-Gbagbo.[233] Un homme a décrit le meurtre de son frère :

Un autre témoin a dit avoir vu lesForces républicaines égorger un jeune sous les yeux de sonpère après avoir découvert une kalachnikov et une grenadedans sa chambre pendant une fouille de maison en maison à 4 heuresdu matin. Le témoin a été déshabillé etforcé de remettre son ordinateur portable, ses téléphonescellulaires et son argent.[235] Human Rights Watch a documenté les pillages similaires dedizaines de maisons à Koweit. Le témoin, comme beaucoupd’autres interrogés par Human Rights Watch, voulait fuir Abidjanpour aller dans son village familial, mais n’avait pas d’argentpour le transport puisque que les Forces républicaines avaient toutpris.

Un membre des Forces républicaines deYopougon a déclaré à Human Rights Watch que les hommessous le contrôle d’Ousmane Coulibaly—un ancien commandant desForces Nouvelles dans la zone d’Odienné—avaientété responsables de l’offensive et del’opération de « nettoyage » dans le quartierde Koweit à Yopougon.[236] Plusieurs journalistes ivoiriens et sources proches des Forcesnouvelles ont également identifié Coulibaly comme étant lecommandant en charge des opérations dans cette zone (pour plusd’informations sur Coulibaly, voir l’encart « Des exactionsrécurrentes » un peu plus haut).[237]

Yaosseh

Un commandant des Forces républicainesa déclaré à Human Rights Watch qu’après deviolents combats du 12 au 19 avril, ses forces ont pris le contrôlede Yaosseh autour du 20 avril.[238]Après s’être emparés de cette zone, denombreux soldats se sont installés dans le poste de police local—le 16ème arrondissement—qui avait autrefois abrité des miliciens pro-Gbagbo. Quelques jours plus tard, les Forces républicaines ontcommencé les opérations de recherche dans Yaosseh, où denombreux miliciens de la région avaient vécu auparavant. Onzetémoins interrogés par Human Rights Watch ont décritcomment, entre les 25 et 26 avril, les soldats ont tué aumoins 30 hommes non armés, principalement des jeunes de groupesethniques pro-Gbagbo. La plupart des témoins ont indiqué que lamajorité des victimes n’avaient pas été des membresactifs de la milice, qui avait fui vers le 19 avril.

Un garçon de 16 ans a vu soncousin de 25 ans se faire tuer par balle par des soldats alors que tousdeux étaient assis à l’extérieur d’un centrede santé à 14 heures le 25 avril. Le témoin aété épargné en raison d’un graveproblème de santé dont les soldats ont dit qu’ildémontrait qu’il n’avait jamais été unmilicien.[239] Une femme de 42 ans a vu les Forces républicaines tuer sonjeune frère ainsi que plusieurs autres le même soir :

Un autre témoin a décrit commentles soldats sont entrés et ont ouvert le feu dans un restaurant duquartier, tuant huit hommes à l’intérieur.[241] Une femme de 34 ans a été témoin de troisautres exécutions, le 26 avril, dont celle du mari de sa sœur, à la suite d’unaffrontement entre les Forces républicaines et des mercenaireslibériens :

Les résidents témoins despillages qui étaient revenus pour trouver leurs maisons vidées dela quasi-totalité de leurs objets de valeur ont raconté que,comme à Koweit, les maisons de Yaosseh avaient étésystématiquement pillées.

Les témoins ont décrit quelquescas dans lesquels des officiers supérieurs sont intervenus pourempêcher les exécutions extrajudiciaires, notamment un cas dans lequartier Gesco de Yopougon à la fin avril. Alors qu’un soldatsemblait être sur le point d’exécuter un jeune quiétait détenu pour son appartenance à un groupe ethniquesupposé avoir soutenu Gbagbo—« parce que tous lesGuérés, Bétés et Goros doivent êtreéliminés »—, un militaire plus hautgradé est intervenu et leur a dit de laisser les jeunes s’ilsn’avaient aucune preuve qu’il s’agissait de miliciens.[243] Le plus souvent, cependant, les soldats qui se sont opposésà l’exécution de civils ont été incapables deconvaincre leurs camarades qui avaient l’intention d’infliger unepunition collective. Une femme de 38 ans a décrit ce quis’est passé le 26 avril :

Exécutions extrajudiciaires de détenus

Human Rights Watch a égalementdocumenté les exécutions extrajudiciaires de54 détenus par les Forces républicaines dans troisdifférents lieux de détention à Yopougon—les 16èmeet 37ème arrondissements et le bâtiment de lacompagnie de gaz et de pétrole GESCO—ainsi que dans les quartiersde Koumassi et de Port-Bouët. Certains de ces prisonniers avaientété identifiés par des résidents locaux comme desmiliciens pro-Gbagbo ayant commis des crimes contre des membres descommunautés pro-Ouattara, mais les soldats semblaient dans la plupartdes cas n’avoir eu aucune information impliquant les personnesexécutées dans quelque crime que ce soit.

Un membre des Forces républicaines sousle commandement de Chérif Ousmane a décritl’exécution au début du mois de mai de29 détenus à l’extérieur du bâtimentGESCO :

Deux anciens détenus au 16ème arrondissement ont également décrit l’exécution d’aumoins quatre jeunes hommes au cours de la première nuit de leurdétention, autour du 5 mai.[246] Un homme de 25 ans, qui avait étéarrêté après avoir fui les combats à Koweit, adéclaré :

Le 15 mai, un chercheur de Human RightsWatch a vu un corps qui brûlait à moins de 30 mètresdu 16ème arrondissement, toujours contrôlépar les FRCI, et de nombreux témoins sur les lieux lui ont dit quec’était un milicien pro-Gbagbo qui avait étécapturé et tué. Le lendemain, deux personnes qui avaientparticipé à la capture et avaient ététémoins de l’exécution ont décrit lesévénements.[248] Le récit fait état d’une relation entre les FRCIet les jeunesses pro-Ouattara locales que Human Rights Watch a observéeet qui a été décrite à plusieurs reprises par destémoins. Un témoin a dit :

Un chercheur de Human Rights Watch aprésenté au commissaire Lezou (un membre des Forcesrépublicaines alors en charge de l’enceinte) des preuves relativesaux exécutions sommaires à l’intérieur et auxenvirons du 16ème arrondissement. Le commissaire Lezou anié catégoriquement que de telles exécutions avaient eulieu, affirmant que tous les corps retrouvés dans les rues provenaientde la lutte acharnée livrée dans la zone entre le 14 et18 avril. Il a également nié catégoriquementqu’un corps avait été brûlé dans la rue enface du poste de police le 15 mai, bien que le chercheur de Human RightsWatch ait affirmé l’avoir vu de ses propres yeux.[250]

Human Rights Watch a aussi documentécinq exécutions extrajudiciaires de personnes détenues dansl’enceinte du 37ème arrondissement de Yopougon entre les 12 et19 mai. Les victimes ont été sorties de la station pendantla nuit sur deux jours et exécutées sur des terrains voisins, ontdéclaré plusieurs détenus et des résidents duquartier.[251]

Parmi les personnes exécutées setrouvaient plusieurs chefs de quartier des milices pro-Gbagbo, notamment lesdirigeants bien connus des Jeunes patriotes « Andy » et« Constant » à Koweit entre les 5 et 6 mai.Un témoin de la mort de Constant a indiqué comment les proches depersonnes locales tuées par Constant et sa milice ont décrit auxForces républicaines les crimes dans lesquels il a étéimpliqué, après quoi quatre soldats l’ont tué.[252] Un témoin a déclaré qu’avant que lessoldats n’exécutent Constant, il leur a montré une cached’armes dans sa maison.[253] Deux témoins ont dit avoir vu Chérif Ousmane dans unconvoi de six véhicules 4x4 se débarrassant du corps d’Andyle 6 mai.[254] Un témoin qui a aidé à déplacer le corps adéclaré qu’il avait été mutilé, avecde nombreuses blessures au couteau et par balle, ce qui signifie qu’ilavait probablement été torturé.[255]

Bien que les meurtres n’aient pasété de la même ampleur que dans Yopougon, Human RightsWatch a également documenté des exécutionsextrajudiciaires à Koumassi et Port-Bouët entre les 13 et15 avril, juste après que les Forces républicaines avaientpris le contrôle de ces zones. Plusieurs des personnesexécutées étaient des miliciens soupçonnésd’être impliqués dans des dizaines de meurtres et, aux diresdes résidents du quartier, en possession d’importantes cachesd’armes. Comme à Yopougon, les jeunes du quartier ont jouéun rôle dans l’identification, la dénonciation et lepiégeage de miliciens présumés, avant de les apporter auxForces républicaines, selon les mots de l’un de ces jeunes,« pour faire leur travail ».[256]

Tortures et traitements inhumains en détention

Human Rights Watch a documenté desdizaines de cas de tortures et de traitements inhumains de détenus de lapart des Forces républicaines. Durant et après l’offensivemilitaire à Abidjan, des centaines de jeunes appartenant à desgroupes ethniques pro-Gbagbo ont été arrêtés etdétenus—souvent dans des arrondissements et des bases militairesabandonnés ainsi que dans des prisons de fortune telles que des stationsessence et le complexe de GESCO. Presque tous les anciens détenusinterrogés par Human Rights Watch ont indiqué avoirété régulièrement battus, le plus souvent au moyende fusils, de ceintures, de bâtons, à coups de poings et debottes, tandis que les militaires des Forces républicaines leurordonnaient de révéler l’emplacement d’armes ou dechefs des milices.

La plupart avaient étéarrêtés et détenus simplement du fait de leur âge, deleur appartenance ethnique ou de leur quartier d’origine. Unétudiant universitaire de Port-Bouët a raconté comment ilavait été arrêté, détenu et battu le21 avril parce qu’il vivait dans l’une des résidencesuniversitaires du quartier—sites qui étaient depuis longtemps desbastions de la FESCI pro-Gbagbo :

Dans plusieurs cas, letraitement infligé par les Forces républicaines atteignaitmanifestement le niveau de la torture, définie selon la Conventioncontre la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou dessouffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellementinfligées à une personne » par un acteurétatique dans des buts incluant l’obtention d’informationsou la sanction d’une personne pour un acte commis ou supposéêtre commis.[258]Un jeune homme de 20 ans détenupendant une semaine au 37ème arrondissement àAbobo-Doumé a fait le récit du traitement qu’il asubi:

Un autre détenu atémoigné de la façon dont les Forces républicaineslui avaient arraché plusieurs dents au cours d’un interrogatoireaprès s’être emparé de lui sur une petite routeà Yopougon Wassakara à la mi-avril :

L’interdiction des crimes de guerre etdes crimes contre l’humanité fait partie des proscriptions lesplus fondamentales du droit pénal international. Selon le Statut de Romede la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contrel’humanité peuvent être commis en période de paix ou deconflit armé et consistent en des actes spécifiques commis defaçon généralisée ou systématique dans lecadre d’une « attaque contre une population civile »,ce qui signifie qu’il existe un certain degré de planification oude politique de la part des autorités. De tels actes incluent lemeurtre, le viol et la persécution d’un groupe pour des motifsd’ordre politique, ethnique ou national.[261] Lescrimes de guerre dans un conflit armé qui n’est pas de natureinternationale comprennent le fait de tuer des personnes ne prenant pas de partactive aux hostilités, y compris des membres des forces armées quiont été détenus, et de mener intentionnellement desattaques contre des civils qui ne participent pas directement auxhostilités.[262]Lorsque des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sontcommis, les personnes ayant une autorité de commandement qui auraientdû avoir connaissance du crime et ne l’ont pas empêchéou n’ont pas lancé d’enquêtes ni de poursuitesà l’encontre de leurs auteurs présumés peuventêtre tenues pénalement responsables.[263]

Sur la base de ses recherches sur le terrain,Human Rights Watch a identifié les personnes suivantes commeétant responsables—soit au titre de leur participation directe,soit au titre de leur responsabilité de commandement—de certainscrimes graves commis durant la période post-électorale :

Camp Gbagbo

Laurent Gbagbo –L’ex-Président était le commandant en chef des forcesarmées, lesquelles ont commis des crimes de guerre et, probablement, descrimes contre l’humanité. Il a désigné commeministre de la Jeunesse son allié de longue date Charles BléGoudé, instaurant un lien direct avec le mouvement des Jeunes patriotes,responsable de nombreux meurtres perpétrés sur la base decritères ethniques. Bien qu’il soit clairement établi queses forces armées et ses milices ont commis des crimes graves, LaurentGbagbo n’a ni dénoncé ni pris de mesures pourprévenir de tels crimes ou ouvrir des enquêtes. Lorsque les Forcesrépublicaines ont pris son palais présidentiel, elles ontdécouvert un arsenal impressionnant d’armes lourdes—dontbeaucoup étaient du même type que celles utilisées dans desattaques à l’aveugle qui ont occasionné de nombreusesvictimes civiles. Laurent Gbagbo a été arrêté le 11 avrilpar les Forces républicaines ; il a étéinculpé le 18 août par le procureur Simplice Koffi pourcrimes économiques, dont détournement de fonds, volaggravé et concussion.[264] Il se trouve actuellement en détention préventive dansle nord du pays.

Charles Blé Goudé – Il a longtemps été secrétairegénéral des Jeunes patriotes, une milice impliquée dansdes centaines de meurtres rien qu’à Abidjan. Ses miliciens ontsouvent travaillé étroitement avec les forces d’élitede sécurité en prenant pour cible les partisans d’AlassaneOuattara. Plutôt que de dissuader ses partisans de recourir à laviolence, Charles Blé Goudé a prononcé des discourspouvant constituer des incitations à la violence. Le 25 février,par exemple, dans un discours largement diffusé, il a appelé sespartisans à ériger des barrages routiers dans leur quartier età « dénoncer » les étrangers—unterme explosif employé par le camp Gbagbo pour désigner les Ivoiriensdu Nord et les immigrés ouest-africains. Immédiatementaprès cet appel, Human Rights Watch a documenté une netteaugmentation des violences commises par les Jeunes patriotes, le plus souventselon des critères ethniques ou religieux. Selon Human Rights Watch,Charles Blé Goudé est vraisemblablement impliqué dans descrimes contre l’humanité. Selon certaines sources, il se cacheraitau Ghana, mais sa présence a auparavant étésignalée au Bénin et en Gambie.[265] Le 1er juillet,le procureur Simplice Koffi a annoncé que les autoritésdemandaient un mandat d’arrêt international contre CharlesBlé Goudé pour ses crimes post-électoraux.[266]

Général Philippe Mangou – En tant que chef d’état-major des forcesarmées sous le régime de l’ex-Président LaurentGbagbo, Philippe Mangou était à la tête de troupes quiauraient commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contrel’humanité. La presse internationale et ivoirienne s’estlargement fait l’écho de ces crimes. Pourtant, Philippe Mangoun’a pris aucune mesure concrète pour les empêcher, ni ouvertd’enquêtes contre ceux qui ciblaient systématiquement lespartisans d’Alassane Ouattara. Le 21 mars, Philippe Mangou setrouvait au siège de l’état-major aux côtés deCharles Blé Goudé venu s’adresser à des milliers deJeunes patriotes—ayant déjà pris part dans de nombreuxmeurtres et viols—venus entendre son appel à défendre lepays. D’après de nombreuses sources médiatiques, PhilippeMangou aurait promis—alors que les jeunes scandaient : « Onveut des kalachnikovs »—que l’armée prendrait« tout le monde sans tenir compte ni du diplôme, ni del’âge », ajoutant que « [c]e quicompte ici, c’est la volonté et la détermination de chacun.[…] Nous vous convoquerons au moment opportun pour le combat ».[267]Les Jeunes patriotes ont continué à commettre desatrocités au cours des semaines suivantes. Le généralPhilippe Mangou, maintenu un temps chef d’état-major par AlassaneOuattara, a été rapidement remplacé par legénéral Soumaïla Bakayoko le 7 juillet.

Général Guiai Bi Poin – Guiai Bi Poin a été le chef du CECOS (Centre decommandement des opérations de sécurité), responsable de disparitionsforcées, de violences sexuelles, de tirs à armes lourdes àl’aveugle tuant des civils et de la répression brutale desmanifestations. Dans l’ensemble, compte tenu à la fois de leurampleur et de leur caractère systématique, les crimes commis sousson commandement constituent, probablement, des crimes contrel’humanité. Guiai Bi Poin n’a jamais dénoncé cescrimes, et encore moins ouvert d’enquêtes contre des soldatssuspectés de les avoir commis—, malgré le rôleimportant que le CECOS a joué dans les attaques contre des partisansd’Alassane Ouattara, rôle maintes fois dénoncé pardes organisations de défense des droits humains ainsi que par la presseinternationale et ivoirienne. Les membres de cette unitéd’élite étaient facilement identifiables grâceà leurs véhicules marqués « CECOS ».Les quartiers d’Abobo et de Koumassi où se trouvaient des bases de« Camp Commando » dans lesquelles étaientstationnées les forces du CECOS ont particulièrement souffert.Alliées de longue date de Laurent Gbagbo, les forces de Guiai Bi Poinont été l’une des dernières à se rendre. Unprocureur militaire a entendu le général Bi Poin le 13 mai,le libérant à condition qu’il promette de répondreà une convocation ultérieure.[268]Le général Bi Poin ne faisait toutefois pas partie des 57 militairesinculpés au début du mois d’août, prenant mêmepart le 22 juin à un rassemblement d’officiers chargésde désigner la nouvelle armée ivoirienne.[269]Toutefois, après la découverte présumée d’uncharnier dans l’école de gendarmerie dont il était lecommandant, le général Bi Poin a étéarrêté le 20 août. Cinq jours plus tard, un procureurl’a inculpé pour « crimes économiques »et placé en détention préventive à Abidjan.[270]

Général Bruno DogboBlé – Bruno Dogbo Blé aété le commandant de la Garde républicaine,impliquée dans des cas de disparitions forcées, larépression brutale des manifestations et la persécutiond’immigrés ouest-africains. Pris globalement, les crimes commissous son commandement constituent, probablement, des crimes contrel’humanité. Le quartier de Treichville à Abidjan, oùse trouve le camp de la Garde républicaine, a particulièrementsouffert. Tout comme le général Guiai Bi Poin, bien que desgroupes de défense des droits humains et la presse se soient faitl’écho des crimes commis par ses forces, Bruno Dogbo Blé neles a jamais dénoncés, et a encore moins ouvert desenquêtes contre les soldats qui en étaient responsables. BrunoDogbo Blé a été arrêté par les Forcesrépublicaines le 15 avril. Au moment de la rédaction de cerapport, il était détenu dans un camp militaire à Korhogo.Un procureur militaire l’a inculpé le 11 août pour sonrôle dans certains crimes de sang commis durant les violences post-électorales.[271]

« Bob Marley » – Ce chef mercenaire libérien qui a combattu pour LaurentGbagbo dans l’ouest du pays est impliqué dans deux massacres etd’autres meurtres ayant fait au moins 120 morts, dont des hommes,des femmes et des enfants. D’après des victimes et destémoins, il a pris part et aidé à orchestrer des attaquesdans lesquelles des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du Nordont été pris pour cible sur la base de critères ethniques.Il a été arrêté au Libéria en mai 2011. Aumoment de la rédaction de ce rapport, il était détenu àMonrovia dans l’attente de son inculpation pour « mercenarisme ».[272]

Général Pierre Brou Amessan,directeur de la RTI – En tant que directeur dela chaîne de télévision RTI contrôlée parLaurent Gbagbo, il a régulièrement supervisé desémissions qui incitaient à la violence contre les partisansd’Alassane Ouattara et les étrangers, appelant les vrais Ivoiriensà les « dénoncer » et à« nettoyer » le pays. Des violences de grandeampleur contre des partisans de Laurent Gbagbo s’en sont souvent suivies.La chaîne a également encouragé l’attaque depersonnels et de véhicules des Nations Unies, attaques qui se sontrépétées durant toute la crise. D’après leStatut de Rome, les crimes de guerre comprennent « [l]e fait dediriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations,le matériel, les unités ou les véhicules employésdans le cadre d’une mission […] de maintien de la paix […]pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droitinternational des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractèrecivil ».[273]

Denis Maho Glofiéhi – Connu sous le nom de « Maho », ila longtemps été le chef des milices pro-Gbagbo présentesdans l’ouest du pays. En juillet 2010, il a indiqué à HumanRights Watch avoir commandé 25 000 combattants sous labannière du Front de libération du Grand Ouest (FLGO).[274]Les milices qui auraient été sous le commandement de Maho ontparticipé à des massacres dans l’ouest du pays et àAbidjan—où il a été aperçu lors des derniersmois de la crise, souvent en compagnie de Charles Blé Goudé. Mahoaurait fui Yopougon avant l’arrivée des Forcesrépublicaines. Le lieu où il se trouve actuellement n’estpas connu publiquement.

Camp Ouattara

Capitaine Eddie Médi (ou EddyMédy, variante orthographique utilisée par certains médiasivoiriens) – Eddie Médi était lecommandant des Forces républicaines chargé de menerl’offensive de mars de Toulepleu à Guiglo. Le long de cet axe, denombreux hommes, femmes et enfants guérés ont ététués, au moins 20 femmes ont été violées, etplus de 10 villages réduits en cendres. Des rapports fiablesindiquent que les forces sous son commandement ont perpétréd’autres massacres après avoir pris le contrôle de larégion, Eddie Médi menant depuis sa base àBloléquin des opérations de « nettoyage ».[275] Eddie Médi ne semble avoir pris aucune action sérieusepour empêcher les crimes ni punir ceux qui en étaient responsablesdans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, EddieMédi était toujours commandant à Bloléquin.

Commandant Fofana Losséni – Le 10 mars, Guillaume Soro l’a affublé dutitre de chef de la « pacification de l’extrême ouest »,l’identifiant comme le supérieur du capitaine Eddie Médi etle commandant en chef de l’offensive des Forces républicaines dansl’ouest du pays. Également connu sous le diminutif de« Loss », il a été le commandant desecteur des Forces nouvelles à Man. Des soldats sous son commandementont pris le contrôle de Duékoué le 29 mars au matin etjoué un rôle important dans le massacre de centaines de personnesdans le quartier Carrefour. Aucune action sérieuse ne semble avoirété prise par Loss pour empêcher ces crimes ou punir ceuxqui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de larédaction de ce rapport, il était toujours commandant des Forcesrépublicaines. D’après la presse ivoirienne, il aété nommé vice-commandant d’une forced’élite ivoirienne appelée à suivre une formation enFrance.[276]

Commandant Chérif Ousmane – Durant l’assaut final sur Abidjan, il était lechef des opérations des Forces républicaines à Yopougon,où de nombreux partisans présumés de Laurent Gbagbo ontété sommairement exécutés. D’après unsoldat de sa « compagnie Guépard », ChérifOusmane aurait lui-même ordonné l’exécution de 29 prisonniersdébut mai. Longtemps commandant des Forces nouvelles àBouaké, un rapport de l’IRIN—service de nouvelles etd’analyses humanitaires—de 2004 indique que celui-ci asupervisé des forces impliquées dans l’exécutionsommaire de mercenaires libériens et sierra-léonais.[277]Le 3 août 2011, le PrésidentOuattara a promu Chérif Ousmane au rang de commandant-en-second duGroupe de sécurité de la présidence de laRépublique.[278]

Commandant Ousmane Coulibaly – Longtemps commandant de secteur des Forces nouvelles àOdienné, Ousmane Coulibaly a dirigé des soldats des Forcesrépublicaines impliqués dans des actes de torture et desexécutions sommaires dans le secteur Koweit de Yopougon. Cesévénements se sont déroulés sur plusieurs semaines,et aucune action ne semble avoir été prise par Ousmane Coulibalypour prévenir les crimes ou en punir les responsables. Àl’époque, Ousmane Coulibaly avait comme nom de guerre« Ben Laden ». Il en changera le 20 juin 2011 pourdevenir « Ben le sage ». Au moment de larédaction de ce rapport, il était toujours officier de commandementdes Forces républicaines.

Forcesnon officiellement alignées

Amadé Ouérémi(couramment appelé « Amadé ») – Chef d’un groupe burkinabé puissammentarmé dans la région du Mont Péko dansl’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, AmadéOuérémi et ses hommes ont été identifiés parde nombreux témoins comme figurant parmi les principaux auteurs dumassacre survenu à Duékoué le 29 mars dans lequartier Carrefour. Des témoins et des habitants de ce quartier ontindiqué à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin,le quotidien contrôlé par l’État, qu’AmadéOuérémi avait combattu aux côtés des Forcesrépublicaines à Duékoué,[279] sansqu’il n’existe toutefois de chaîne de commandement claireentre les deux forces. Le 10 août, la mission de maintien de la paixdes Nations Unies a recueilli les armes et les munitions de « prèsde 90 membres » du groupe d’AmadéOuérémi.[280] Les habitants du quartier ont cependant confié à HumanRights Watch et à Fraternité-Matin que les hommesd’Amadé Ouérémi ne s’étaient défaitsque d’une petite partie de leur arsenal.[281]

Plusieurs initiatives sont en cours dans lebut de contribuer à l’obligation de rendre des comptes pour lescrimes graves qui ont été commis durant la période post-électorale.Au niveau international, une commission d’enquête a impliquéles forces armées des deux camps dans des crimes de guerre et,probablement, des crimes contre l’humanité. Elle a dresséune annexe confidentielle des principaux responsables de ces crimes à l’intentiondu procureur de la CPI, qui a reçu de la chambre préliminaire dela Cour l’autorisation d’ouvrir une enquête sur les crimesgraves commis dans le cadre des violences post-électorales.

Au niveau national, les procureurs ontinculpé une centaine de militaires et civils du camp Gbagbo pour leursrôles présumés dans la crise. Des responsables militairesont été accusés de crimes, et notamment de meurtres et deviols, lesquels pourraient être invoqués à titre de crimesconstitutifs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Laplupart des responsables civils ont été inculpés de crimeséconomiques et de crimes contre l’État. Alors qued’importants efforts avaient été déployéspour poursuivre Laurent Gbagbo et ses alliés, aucun membre des Forcesrépublicaines n’avait été arrêté niinculpé au moment de la rédaction de ce rapport.

Commissionsd’enquête

Le 25 mars 2011, le Conseil des droits del’homme des Nations Unies a adopté une résolutioninstaurant une commission d’enquête internationale indépendantechargée d’enquêter sur les violations des droits humainscommises après le second tour des élections, et d’enidentifier les principaux auteurs afin qu’ils soient traduits en justice.[282]Dans un délai extrêmement bref, la commission a rendu son rapportpublic autour du 10 juin et l’a présenté lors de la 17ème sessiondu Conseil des droits de l’homme du 15 juin. Dans sonrésumé, la commission a conclu :

Parmi ses principales recommandations, lacommission appelle le gouvernement à ratifier le Statut de Rome de laCour pénale internationale ; à s’attaquer aux causesprofondes du conflit, y compris à la discrimination ; et àrestaurer la sécurité en entreprenant rapidement ledésarmement.[284]Dans sa première recommandation au gouvernement Ouattara, la commissionsouligne tout particulièrement le besoin de justice :

À cette fin, la commission apréparé une annexe contenant le nom de personnes contrelesquelles il existe des motifs raisonnables de présumer uneresponsabilité pénale individuelle. Le rapport de la commission indiqueque la « liste confidentielle […] pourra êtretransmise aux autorités compétentes dans le cadre d’uneenquête judiciaire ».[286]Human Rights Watch a appris par l’intermédiaire d’unepersonne au sein de la commission que l’annexe avait étécommuniquée au procureur de la Cour pénale internationale età la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme NavanethemPillay. Toutefois, l’annexe n’a été transmise nià Alassane Ouattara, ni au ministre de la Justice, ni au procureurd’Abidjan. Cela est difficilement conciliable avec la promesse de lacommission de la transmettre aux « autoritéscompétentes » aux fins de leurs enquêtes, dans lamesure où des poursuites relatives aux violences post-électoralesont été engagées par les autorités nationales.

Le fait de ne pas rendre publiquel’annexe ou de ne pas la communiquer au gouvernement et auxautorités judiciaires rappelle le précédent d’uneancienne commission d’enquête internationale : en 2004, unecommission similaire avait été chargéed’enquêter sur les crimes graves commis pendant la guerre civile de2002-2003. Son rapport détaillé, qui contenait des preuvesrelatives à l’existence de crimes contre l’humanitécommis par les deux camps, a été remis au Conseil desécurité des Nations Unies en novembre 2004. Il n’atoujours pas été rendu public.[287]Ce rapport était accompagné d’une annexe confidentiellerenfermant, d’après les informations disponibles, la liste des 95 personnalitésdont la responsabilité était la plus grande et qui méritaientune enquête pénale. Un journaliste a affirmé àl’époque que Simone Gbagbo, Charles Blé Goudé etGuillaume Soro figuraient parmi les personnes citées.[288] Lacommission 2011 a expressément recommandé que le Conseil desdroits de l’homme publie le rapport 2004 pour lutter contre l’impunité.[289]Le 30 juin, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme NavanethemPillay, s’est montrée favorable à ces demandes, tout enrestant ambigüe sur le point de savoir s’il appartenait au Conseildes droits de l’homme ou au Secrétaire général des NationsUnies d’autoriser la publication du rapport.[290] HumanRights Watch demande depuis 2004 la publication de ce rapport et de son annexe.[291]

Immédiatement après lapublication par la commission d’enquête internationale 2011 de sonrapport, le gouvernement Ouattara a annoncé la créationd’une commission d’enquête nationale.[292] Dans lamesure où le gouvernement Ouattara avait expressémentdemandé la mise en place d’une commission internationale, laquelleavait couvert les mêmes événements et émis desconclusions et des recommandations dénonçant les crimes gravescommis par les forces d’Alassane Ouattara appelant l’ouvertured’une enquête, le moment choisi pouvait traduire la volonté du gouvernement deblanchir les responsables. Le 20 juillet, Alassane Ouattara a signéle décret portant création de la commission, donnant àl’instance six mois pour présenter ses conclusions et« aider à comprendre comment et pourquoi »des violations aussi importantes des droits humains avaient eu lieu.[293]Un journaliste de l’Associated Press a indiqué que « lestermes utilisés dans le décret donnaient à penser que lacommission réfuterait les accusations [portées par lesorganisations internationales de défense des droits humains] etchercherait à exonérer les forces d’Alassane Ouattara ».[294]Il était difficile de dire si le gouvernement Ouattara avaitl’intention d’attendre les conclusions de la commissiond’enquête nationale avant d’ouvrir des enquêtes et depoursuivre les Forces républicaines, mais Alassane Ouattara ainformé l’Associated Press fin juillet que le rapport de lacommission serait remis aux procureurs avant la fin de l’année2011.[295] Il est toutefois très vite apparu que ce délai ne seraitvraisemblablement pas respecté, la commission ne s’étantmise au travail que le 13 septembre. Le 10 août, undécret du ministre des Droits de l’homme a nommé17 commissaires avec, pour président, le juge Matto LomaCissé.[296]Plusieurs membres de la société civile ivoirienne ontexprimé à Human Rights Watch leurs préoccupations quantà l’indépendance et l’impartialité de lacommission, indiquant que Matto Loma Cissé était trèsproche d’Alassane Ouattara.[297]

Poursuites nationales contre lecamp Gbagbo

Après avoir capturé LaurentGbagbo dans sa résidence le 11 avril, les Forcesrépublicaines l’ont emmené au Golf Hôtel.[298]Deux jours plus tard, il a été transféré àKorhogo, une ville située dans le nord de la Côte d’Ivoire,et placé en résidence surveillée. Sa femme, Simone, aégalement été arrêtée le 11 avril ettransférée par la suite à Odienné, une autre villedu nord du pays.[299]Dans les jours qui ont suivi ces arrestations, les forces d’AlassaneOuattara ont arrêté des dizaines de soldats et depersonnalités civiles liés à Laurent Gbagbo.

Pendant deux mois, aucune inculpationn’a été prononcée contre les personnesdétenues, amenant des organisations, dont Human Rights Watch, àdemander au gouvernement Ouattara de mettre fin à une violation àla fois du droit ivoirien et du droit international.[300] Leministre de la Justice Jeannot Ahoussou Kouadio a fait valoir en guise deréponse le 22 juin qu’aucune inculpation n’étaitnécessaire dans la mesure où les personnes concernées setrouvaient en résidence surveillée et non en détention. Ila également invoqué une loi de 1963 qui autorise le chef del’État à prendre des décrets pour mettre enrésidence surveillée « des personnes qui en ont leprofil », relative à la promotion du bien-êtreéconomique et social du pays.[301]Bien qu’il soit difficile de dire si les explications du ministre sontjustes au regard du droit ivoirien, les personnes considéréessont manifestement détenues au sens du droit international—ellessont privées de leur droit à la liberté, qu’elles setrouvent dans une prison proprement dite, dans un ancien hôtel, ouqu’elles soient assignées à résidence.

Plusieurs jours après, lesautorités ont prononcé des inculpations. Le 26 juin, leprocureur d’Abidjan Simplice Koffi a annoncé l’inculpationde 15 responsables politiques sous le régime de Laurent Gbagbo pourcrimes contre l’autorité de l’État, créationde gangs armés et crimes économiques.[302] Troisjours plus tard, un procureur militaire, le colonel Ange Kessy, aannoncé l’inculpation de 49 officiers de l’arméeivoirienne de Laurent Gbagbo, dont 42 se trouvaient déjà endétention.[303]La cour militaire les aurait inculpés « dedétournement de deniers et matériels publics […] decessions illicites d’armes et de munitions ; d’arrestationsillégales et de séquestrations ; [et] de meurtres etrecels de cadavres ».[304]Puis, le 1er juillet, le procureur Koffi a indiquéqu’il demandait la délivrance de mandats d’arrêtinternationaux contre plusieurs partisans de Laurent Gbagbo qui se trouveraientà l’étranger, dont Charles Blé Goudé. Lescrimes allégués seraient principalement des crimes contrel’État et des crimes économiques.[305]

D’autres inculpations ontété prononcées par des procureurs civils et militaires auxmois d’août et de septembre. Au 12 août,58 responsables militaires et 37 personnalités civiles aumoins—dont le propre fils de Laurent Gbagbo, Michel Gbagbo—avaientété inculpés.[306] Comme auparavant, le procureur militaire a retenu comme chefsd’inculpation les crimes d’arrestation et de détentionarbitraires, de recel de cadavres et de viol, le procureur civil ne retenantpresque exclusivement que des crimes contre l’État et des crimeséconomiques.[307] Un porte-parole du gouvernement a déclaré le10 août que les « crimes de sang »commis durant la période post-électorale seraient jugéspar la CPI, estimant que les tribunaux civils domestiquesn’étaient « pas encore outillé[s] pour jugerce genre de crime ».[308] Enfin, le 18 août, le procureur Koffi a annoncél’inculpation de Laurent Gbagbo et de sa femme Simone pour « crimeséconomiques », notamment pour détournement defonds, vols et concussion.[309]

Au moment de la rédaction de cerapport, au moins 118 personnes liées au camp Gbagbo ontété inculpées pour crimes commis durant la périodepost-électorale.

Aucune poursuite au niveau nationalvisant des soldats des Forcesrépublicaines

Au jour de la rédaction de ce rapport,aucun membre des Forces républicaines n’a étéinculpé pour des crimes graves commis durant les violences post-électorales.Plusieurs mesures judiciaires ont été prises en ce qui concerneles massacres perpétrés dans l’ouest du pays—crimesdocumentés par Human Rights Watch, Amnesty International, la commissiond’enquête internationale, la division des droits de l’hommede l’ONUCI et la Fédération internationale des ligues desdroits de l’homme. Le 2 avril, le ministre de la Justice s’enest pris à la division des droits de l’homme de l’ONUCI pouravoir impliqué les Forces républicaines et les Dozos dans lemassacre de Duékoué, instruisant toutefois le procureur de Daload’ouvrir une enquête criminelle sur les crimes commis dansl’ouest du pays.[310]Human Rights Watch a appris auprès de plusieurs personnes qui ont pus’entretenir avec le procureur que l’enquête de celui-ciavait pris beaucoup de retard en raison d’un manque de personnel et demoyens—quasiment rien n’a été entrepris avant la findu mois de juillet.[311]Le directeur de cabinet du ministre de la Justice a informé Human RightsWatch au mois de septembre qu’une équipe de policiers et deprocureurs avait mené une enquête préliminaire pendanttrois mois et constitué un important dossier sur la based’éléments fournis par des témoins de crimes commispar les deux camps. Il a ajouté disposer de suffisamment d’élémentsconcernant les crimes commis par les milices pro-Gbagbo, mais que lesenquêtes concernant les Forces républicaines rencontraient des« difficultés »—faisantexpressément référence au fait que les organisationsinternationales présentes à Duékoué lors dumassacre et ayant assisté aux enterrements étaientréticentes à témoigner. Il a par ailleurs soulignéque les enquêtes n’en étaient qu’au stadepréliminaire et que des vérifications devaient êtreeffectuées avant que des inculpations ne soient prononcées. Il aégalement déclaré que le gouvernement attendait que la CPIagisse avant de lancer des poursuites au niveau national—bien que la CPIne se soit saisie par le passé que de quelques affaires dans dessituations ayant fait l’objet d’une enquête.[312]

Les enquêtes sur les crimes commisdurant l’offensive d’Abidjan et les semaines qui ont suivin’avancent manifestement pas. Lorsque Human Rights Watch a pour lapremière fois publié des informations faisant état de149 meurtres – impliquant Chérif Ousmane et Ousmane Coulibalyparmi les responsables—, le ministre de l’Intérieur HamedBakayoko a promis que des enquêtes sérieuses seraientmenées, tout en exprimant des « doutes »sur les observations qui avaient été faites et lafiabilité des témoignages des victimes recueillis.[313]Aucune véritable enquête ne semble avoir étéouverte.

Le procureur militaire Ange KessiKouamé a déclaré début juillet qu’il avaitreçu de nombreuses plaintes concernant les Forces républicaines,mais qu’il lui était impossible d’ouvrir des enquêtesdès lors que le statut civil ou militaire des combattants étaitincertain au regard du droit ivoirien. Ange Kessi Kouamé attend deséclaircissements sur ce point dans la mesure où, si lescombattants sont considérés être des civils, seul unprocureur civil est compétent pour les poursuivre.[314] Au moment de la rédaction de ce rapport, le gouvernement nesemblait pas avoir répondu à la question de savoir si les membresdes Forces républicaines étaient des civils ou des militaires oucomprenaient des personnes des deux catégories pendant la crise post-électorale.

Le fait qu’aucune enquêtesérieuse n’ait été ouverte contre des membres desForces républicaines pourrait illustrer une justice des vainqueurs,comme le craint un membre de la commission d’enquête internationaleet militant influent des droits humains en Côte d’Ivoire.[315]Le gouvernement Ouattara a continué de promettre que les personnesimpliquées dans des crimes seraient poursuivies, que celles-ci fassentpartie de son camp ou de celui de Laurent Gbagbo.[316]

Cour pénale internationale

La Côte d’Ivoire n’est pasun État partie au Statut de Rome. Le pays a toutefois acceptésous les présidences de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara lacompétence de la CPI pour enquêter sur les crimes visés parledit Statut, à savoir les crimes de génocide, les crimes deguerre, les crimes contre l’humanité et les autres violationsgraves du droit humanitaire international. Depuis sa prise de pouvoir, AlassaneOuattara a expressément invité le procureur de la CPI àenquêter sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Il aégalement fait part de son accord et de son désir de voir la CPIjuger les crimes commis par les deux camps. Cependant, Alassane Ouattara aégalement demandé à la Cour de restreindre lapériode sur laquelle la Cour peut enquêter.

La Côte d’Ivoire a acceptépour la première fois la compétence de la CPI dans unedéclaration datée du 18 avril 2003. Conformémentà l’article 12, paragraphe 3, du Statut de Rome, leministre des Affaires étrangères du gouvernement Gbagbo del’époque, Mamadou Bamba, a déclaré que « legouvernement ivoirien reconnaît la compétence de la Cour aux finsd’identifier, de poursuivre, de juger les auteurs et complices des actescommis sur le territoire ivoirien depuis les événements du 19 septembre2002 ».[317]La déclaration précisait être « faite pourune durée indéterminée »,[318] fondant apriori la compétence continue de la CPI pour enquêter sur lescrimes graves commis pendant et après le conflit armé de2002-2003. Le 14 décembre 2010, puis le 3 mai 2011, lePrésident Ouattara a renouvelé par lettre la déclarationde la Côte d’Ivoire au titre de l’article 12, paragraphe 3.Toutefois, dans les deux lettres adressées à la CPI, les datesmentionnées ne sont pas les mêmes. Dans sa lettre datée dumois de décembre, Alassane Ouattara s’engage à coopéreravec la CPI « en ce qui concerne tous les crimes et exactionscommis depuis mars 2004 ».[319]Cinq mois plus tard, dans sa lettre de confirmation, Alassane Ouattara invitela Cour à n’enquêter que sur « les crimes lesplus graves commis depuis le 28 novembre 2010 ».[320][Voir l’annexe pour consulter les trois lettres à la CPI.]

Le procureur a tenu compte de cettedernière lettre en demandant le 23 juin à la deuxièmechambre préliminaire l’autorisation d’ouvrir uneenquête—en limitant la période proposée de laditeenquête à la période post-électorale.[321]La demande du procureur exprime la volonté de mettre l’accent surles crimes commis après l’élection de 2010 car« les violences […] ont atteint des niveaux sansprécédent » et « de nombreusesinformations sont disponibles sur ces crimes ».[322]

Cette limitation de durée inopportunerendrait impossible l’enquête internationale proposée surles crimes graves commis durant la décennie qui aprécédé la dernière flambée de violences etignore les appels lancés par de nombreuses personnalités de lasociété civile ivoirienne qui estiment qu’il est essentield’enquêter sur certains faits remontant jusqu’à 2002,étant donné leur gravité, leur ampleur et leur impunitétotale.[323] Des personnes travaillant auprès d’Alassane Ouattara surles questions de justice ont indiqué que cette limitation avaitété inscrite dans sa lettre à la Cour pénaleinternationale en partie sur la suggestion du bureau du procureur, afin quel’enquête ne prenne pas des proportions insurmontables.[324]Cependant, plusieurs diplomates interrogés par Human Rights Watch ontestimé que la demande d’Alassane Ouattara avait pour but deprotéger certaines personnes de son camp impliquées dans desmassacres, des viols et d’autres exactions systématiques commispendant le conflit de 2002-2003 et par la suite.[325]

Le Président Ouattara arégulièrement affirmé que la CPI devrait examiner lescrimes graves commis par les deux camps et qu’elle le ferait.[326]Une délégation d’enquête conduite par la vice-procureurFatou Bensouda a entamé les investigations de la CPI sur les violencespost-électorales lors d’une visite à Abidjaneffectuée entre le 27 juin et le 4 juillet. Le 28 juin,Fatou Bensouda et le ministre de la Justice Kouadio ont signé un accordformel dans lequel le gouvernement ivoirien s’est engagé àpleinement coopérer conformément au chapitre IX du Statut deRome.[327]

Le 3 octobre 2011, les juges de la CPI a fait droit à la requête du procureur d’ouvrir une enquête surla violence post-électorale. Ils lui ont également demandéde « fournir toute information supplémentaire à sadisposition sur des crimes qui pourraient relever potentiellement de lacompétence de la Cour et qui auraient été commis entre2002 et 2010 ».[328] Alassane Ouattara s’est engagé à ratifier leStatut de Rome « dans les meilleurs délais possibles ».[329]

Commission dialogue,vérité et réconciliation

Le 27 avril 2011, Alassane Ouattaras’est engagé à créer dans un délai de deuxsemaines une Commission dialogue, vérité et réconciliationsur le modèle de celle de l’Afrique du Sud, précisantqu’il s’agissait d’un « axe fort de [sa] présidence ».[330]Quelques jours plus tard, le 1er mai, Alassane Ouattara aindiqué que le président de cette Commission seraitl’ancien Premier ministre Charles Konan Banny—homme politiquemembre de longue date du PDCI.[331]Certains diplomates étrangers ainsi que des membres de lasociété civile ivoirienne, parmi lesquels figurent desorganisations pro-Ouattara, ont fait part de leur déception faceà cette nomination. Ils ont ainsi souligné que la décisionavait été prise sans consulter, ou presque, lasociété civile et que, compte tenu du passé partisan de CharlesKonan Banny, ils n’étaient pas certains que les deux camps puissentfaire confiance à la Commission.[332]

Le 13 juillet, le PrésidentOuattara a officiellement créé la Commission dialogue,vérité et réconciliation (CDVR) par l’ordonnance2011-176, dotant l’instance d’un mandat de deux ans.[333] La Commission est dirigée par son président, CharlesKonan Banny, ainsi que par trois vice-présidents et sept membres.[334] Elle est chargée, entre autres, « d’élaborerune typologie appropriée des violations des droits de l’homme »,« de rechercher la vérité et situer lesresponsabilités sur les événements sociopolitiquesnationaux passés et récents », « d’entendreles victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs desviolations incriminées et le pardon consécutif »et « d’identifier et faire des propositions visant àlutter contre l’injustice, les inégalités de toute nature,le tribalisme, le népotisme, l’exclusion ainsi que la haine sous toutesleurs formes ».[335] Les sessions de la Commission sont ouvertes au public, saufcirconstances particulières.[336] L’International Crisis Group s’est inquiétéque le texte de l’ordonnance 2011-176 « ne comporte aucunedisposition définissant clairement les pouvoirs de la commission et negarantit pas suffisamment son indépendance à l’égarddu pouvoir politique ».[337]

Le 5 septembre, le conseil des ministresa adopté un décret portant nomination des vice-présidentset des membres de la Commission. Les vice-présidents représententles autorités traditionnelles, musulmanes et chrétiennes ; lessept membres représentent quant à eux les différentesrégions de la Côte d’Ivoire, ainsi que la diasporaivoirienne et les ressortissants étrangers résidant en Côted’Ivoire.[338]Au moment de la rédaction de ce rapport, la Commission nedisposait d’aucune stratégie ni attribution claires par rapportaux efforts de justice du gouvernement.

La plupart des causes du conflit ivoirien leplus récent sont bien connues : la discrimination orchestréependant dix ans par l’État contre les Ivoiriens du Nord et lesimmigrés ouest-africains, basée sur la notion manipulée decitoyenneté ; l’incitation à la haine contre ces groupes ;la prolifération de milices violentes et leur étroitecollaboration avec les forces d’élite de sécurité deLaurent Gbagbo ; les défaillances du systèmejudiciaire ; et, plus directement, le refus de Laurent Gbagbo de quitterle pouvoir après avoir perdu le second tour des élections. Lesforces pro-Gbagbo ont déclenché les hostilités dèsle lendemain de l’élection, et étendu et intensifiéleurs attaques au fur et à mesure du développement de la crise.Au bout du compte, leurs actes comprennent des crimes de guerre et,probablement, des crimes contre l’humanité, dont laresponsabilité remonte jusque dans les plus hautes sphères del’armée et de la société civile.

Toutefois, si l’obsession de LaurentGbagbo de se maintenir au pouvoir a sans doute été àl’origine du dernier conflit armé, lorsque les combats se sontarrêtés à la mi-mai, les Forces républicainesd’Alassane Ouattara avaient commis des atrocités qui tombaientégalement sous le coup des crimes les plus graves sanctionnés parle droit pénal international. En discutant avec des responsables dugouvernement ou en lisant leurs déclarations—voire celles dediplomates représentant des pays soutenant le gouvernement Ouattara—,on a le sentiment que ces personnes, tout en admettant que les Forces républicainesont commis des actes regrettables, jugent ces actes moins condamnables dans lamesure où, si Laurent Gbagbo n’avait pas refusé de quitterle pouvoir, ces violences n’auraient jamais eu lieu. Tout en étantlogique sur le plan des responsabilités politiques, l’argument nesaurait prospérer sous l’angle des droits humains et du droithumanitaire international. Les civils membres de groupes pro-Gbagbo qui ont vules forces d’Alassane Ouattara tuer et violer des êtres chers ouréduire en cendres leurs villages ne sont pas plus des cibleslégitimes que les Ivoiriens du Nord et les immigrésouest-africains tués par les forces de Laurent Gbagbo. Du point de vuedes victimes—dont la plupart ne se souciaient guère que LaurentGbagbo reste ou non au pouvoir, même si elles avaient voté pourlui, mais aspiraient plutôt à retrouver la stabilité et laprospérité d’antan—, la punition collectiveinfligée par les deux camps est comparable et le prix à payertout aussi élevé.

Des officiers supérieurs des deux campssont impliqués dans des crimes de guerre et, probablement, des crimescontre l’humanité. Dans certains cas, les exactions auxquelles ilsont pris part ou qu’ils ont supervisées ont atteint un summum deperversité. À certains égards, la nature des violencesn’est pas vraiment surprenante : les forces de Laurent Gbagbo et lesForces républicaines (lorsqu’elles étaient les Forcesnouvelles) ont toujours pris pour cible leurs opposants et commis assassinats,viols et pillages. Quel que soit le nombre de victimes, les responsables del’un comme de l’autre camp n’ont jamais eu àrépondre de leurs actes. Cet ajournement de la justice a souventété soutenu par une partie de la communauté internationalequi estimait que la quête de justice était incompatible avec lesnégociations de paix en cours. Certains continuent de le croire,ignorant les enseignements du passé, lorsque cet ajournementétait synonyme de maintien au pouvoir de personnes responsables decrimes graves. Face à la remontée des tensions, ces personnes ontrecommencé à faire subir des violences aux civils, ayant apprisqu’il ne leur en coûtait quasiment rien.

Si une grande partie de la population commenceà retrouver une vie normale, notamment à Abidjan,l’insécurité demeure pour de nombreuses personnes quipassent pour des partisans de Laurent Gbagbo—en particulier les jeunesgens qui, en raison de leur âge et de leur origine ethnique, sontsoupçonnés d’être des miliciens. Plus de 150 000 réfugiésse trouvent encore au Libéria ou au Ghana, ayant peur de rentrer chezeux. La réconciliation paraît encore très lointaine.

Depuis sa prise de contrôle du pays, lespremières mesures adoptées par Alassane Ouattara pour luttercontre l’impunité ont été, dans le meilleur des cas,inégales. Malgré les promesses répétées dugouvernement de tenir responsables tous ceux qui ont commis des crimes gravesdurant le conflit, la réalité est celle d’une justice desvainqueurs—aucun membre des Forces républicaines n’avaitété inculpé au moment de la rédaction de ce rapport.Parfois, le ministre de la Justice, les porte-parole de la présidence,et Alassane Ouattara lui-même, ont nié catégoriquement queles violations dénoncées par plusieurs organisations dedéfense des droits humains puissent être fondées—bienque, dans certains cas, les enquêtes aient étéréalisées par des organismes indépendants comme lacommission d’enquête internationale, la division des droits del’homme de l’ONUCI, Human Rights Watch, la Fédérationinternationale des ligues des droits de l’homme et Amnesty International.Dans quelques cas, de hauts responsables du gouvernement sont allésjusqu’à dénigrer ces organisations, soit directement, soitpar l’intermédiaire de journaux que leur parti politique soutientouvertement, d’une manière qui n’est pas sans rappeler celledont Laurent Gbagbo dirigeait le pays.

Le pays se trouve à un moment crucialde son histoire, pouvant soit rompre avec son passé et redevenir unÉtat de droit, soit subir le rajout de nouvelles rancœurs àcelles qui ont alimenté les violences etl’insécurité durant dix ans. La Côte d’Ivoire amis à l’essai l’impunité. Elle a mis àl’essai le favoritisme politique et ethnique. Le bilan le plusrécent s’élève à au moins 3 000 personnestuées et plus de 150 femmes violées. Le 29 septembre,six mois s’étaient écoulés depuis le massacre deDuékoué—probablement le plus odieux, mais unévénement parmi d’autres pour ce qui est des crimes gravescommis par les Forces républicaines. Les femmes qui ont vu leursépoux et leurs fils traînés hors de chez eux etexécutés à bout portant n’ont pas obtenujustice ; leur quartier et leur village restent détruits, et leshabitants qui ont échappé à la mort vivent pour la plupartailleurs et le plus souvent dans des camps de réfugiés. Il estgrand temps qu’Alassane Ouattara se montre à la hauteur de sesdiscours sur une justice impartiale. Il est également grand temps quedes pressions réelles soient exercées par les gouvernementsfrançais et américain, ainsi que par le Conseil desécurité des Nations Unies et la CEDEAO, pour garantir unejustice impartiale. Tous ont légitimement soutenu Alassane Ouattaralorsque Laurent Gbagbo a refusé de céder le pouvoir. Mais aucunevoix ne s’élève aujourd’hui alors qu’unejustice sélective s’installe. À défaut de la volontérequise, aux niveaux national et international, pour garantir une justicecrédible et impartiale, la Côte d’Ivoire risqued’être incapable de mettre un terme aux cycles de violence, ce quiserait de mauvais augure pour le respect de l’État de droit et lastabilité du pays.

La rédaction de ce rapport aété faite par Matt Wells, chercheur pour l’Afrique del’Ouest, et Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique del’Ouest. Le rapport s’appuie sur des recherches menées parMatt Wells, Corinne Dufka, Tirana Hassan, chercheuse pour la division Urgences,Gerry Simpson, chercheur senior pour le programme Réfugiés, etLeslie Haskell, chercheuse pour la division Afrique. La révision et lamise en forme du rapport ont été assurées par RonaPeligal, directrice adjointe de la division Afrique, Elise Keppler,conseillère pour le programme Justice internationale, Agnes Odhiambo,chercheuse sur les droits des femmes en Afrique, Philippe Bolopion, directeurchargé du plaidoyer auprès des Nations Unies, Clive Baldwin,conseiller juridique senior, et Babatunde Olugboji, directeur adjoint au Bureaudu programme. Marianna Enamoneta, assistante à la division Afrique del’Ouest, Jamie Pleydell-Bouverie et Tess Borden ont fourni une assistancepour les recherches. Ce rapport a été traduit en françaispar horizons, agence-conseil en traduction basée àLondres. La révision de la traduction a étéeffectuée par Marianna Enamoneta et Peter Huvos, responsable de lasection française du site Internet de Human Rights Watch. John Emerson aréalisé les cartes. La publication du rapport a étépréparée par Grace Choi, directrice des publications, AnnaLopriore, responsable de la création, et Fitzroy Hepkins, responsable dela gestion du courrier.

Human Rights Watch tient à remercierles organisations et individus ivoiriens pour l’aide précieusequ’ils lui ont apportée durant la crise en contribuant àmettre ses chercheurs en relation avec des victimes à Abidjan et dansdifférentes régions du pays, souvent en s’exposant àun important risque personnel. Pour des questions de sécurité,nous ne pouvons les nommer dans le présent rapport mais tenons àsouligner que ces travaux de recherche ont en grande partie étépossibles grâce à leur courage et leur détermination.

Human Rights Watch souhaite plusparticulièrement exprimer sa gratitude aux victimes et témoinsoculaires des violences souvent effroyables qui ont accepté de fairepart de leurs récits. Ils ont parfois dû faire face à despoints de contrôle militaires et, souvent à des combats entreforces armées pour pouvoir témoigner sur le meurtre d’unenfant, d’un ami, d’un frère ou d’un conjoint.Malgré la situation oppressante, ils se sont adressés ànos chercheurs dans l’espoir que les horreurs de cette criserappelleraient à tout jamais aux Ivoiriens et à leurs dirigeantsle coût de la manipulation de l’ethnicité et del’incitation à la haine. Ils ont sans cesse insisté sur lanécessité d’exiger des comptes des responsables et demettre un terme à une décennie d’impunité. Nousespérons que ce rapport contribuera à la réalisation deces espérances.

BAE

Brigadeanti-émeute, une force de sécurité d’élitefidèle à Laurent Gbagbo pendant toute la durée de lacrise post-électorale.

BCEAO

Banque centrale desÉtats de l’Afriquede l’Ouest, réunissant huit pays d’Afrique del’Ouest, dont la Côte d’Ivoire.

CECOS

Centre decommandement des opérations de sécurité, une forced’élite d’intervention rapide proche de Laurent Gbagbopendant le conflit et dont les membres sont issus de l’armée, dela gendarmerie et de la police.

CEI

Commissionélectorale indépendante.

CRS

Compagnierépublicaine de sécurité, une force de policed’élite fidèle à Laurent Gbagbo pendant leconflit.

FAFN

Forcesarmées des Forces nouvelles, la branche militaire de l’allianceinstaurée entre les trois différents mouvements armés,qui contrôle la moitié nord du pays depuis 2002.

FDS

Forces dedéfense et de sécurité, terme désignantcollectivement l’armée, la gendarmerie et la police.

FESCI

Fédérationestudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, un grouped’étudiants violent, pro-Gbagbo, dont Charles BléGoudé et Guillaume Soro ont tous les deux été dirigeants.

FLGO

Front delibération du Grand Ouest, une milice pro-Gbagbo basée dansl’extrême ouest du pays et dirigée par MahoGlofiéi.

FPI

Front populaireivoirien, le parti politique de l’ancien Président LaurentGbagbo.

LMP

La Majoritéprésidentielle, coalition politique de Laurent Gbagbo et de plusieursautres petits partis politiques.

MFA

Mouvement desforces de l’avenir, petit parti politique qui faisait partie de lacoalition politique d’Alassane Ouattara.

MJP

Mouvement pour lajustice et la paix, mouvement rebelle armé apparu dans l’ouestde la Côte d’Ivoire en 2002, puis intégré auxForces nouvelles.

MPCI

Mouvementpatriotique de Côte d’Ivoire, groupe rebelle armé quis’est emparé du contrôle du nord de la Côted’Ivoire en 2002, constituant le plus important élémentdes Forces nouvelles.

MPIGO

Mouvement populaireivoirien du Grand Ouest, mouvement rebelle armé apparu dansl’ouest de la Côte d’Ivoire en 2002, puisintégré aux Forces nouvelles.

ONUCI

Opérationdes Nations Unies en Côte d’Ivoire, la mission de maintien de lapaix de l’ONU dans ce pays.

PDCI

Partidémocratique de la Côte d’Ivoire, parti politiquedirigé par l’ancien Président Henri KonanBédié, faisant partie de l’alliance politique du RHDP.

RDR

Rassemblement desrépublicains, le parti politique de l’actuel PrésidentAlassane Ouattara.

RPG

Grenadepropulsée par lance-roquettes (Rocket-Propelled Grenade enanglais).

RHDP

Rassemblement desHouphouétistes pour la démocratie et la paix, alliance politique de partiscomposée du PDCI, du RDR, de l’UDCI et du MFA.

RTI

Radiotélévision ivoirienne, la chaîne nationale,contrôlée par le gouvernement Gbagbo durant la crise.

UDCI

Uniondémocratique de Côte d’Ivoire, l’un des partis dontse compose la coalition politique du RHDP.