"Féminisme washing" : décodage d'une pratique commerciale Bangladesh: les victimes commémorent la tragédie du Rana Plaza

04/10/2022 Par acomputer 373 Vues

"Féminisme washing" : décodage d'une pratique commerciale Bangladesh: les victimes commémorent la tragédie du Rana Plaza

Fin août, plusieurs grandes marques du secteur de l’habillement se sont mises d’accord avec les syndicats pour prolonger de deux ans l’accord sur la santé et la sécurité dans l'industrie du textile et de l'habillement au Bangladesh, important fournisseur de l’Europe.

Le nombre de signataires de la nouvelle version de "l'accord Bangladesh" sur la sécurité des travailleurs et travailleuses du textile est cependant en forte diminution, passant de 200 en 2013 à environ 80 aujourd'hui. Parmi les soutiens figurent encore quelques grandes chaînes comme H&M, Inditex (Zara), C&A et Jack & Jones. En Belgique, JBC et Tex Alliance sont aussi de la partie, rapporte la plate-forme achACT. De grands acteurs présents au Bangladesh, comme Adidas, Mango et Primark se font, eux, attendre.

"Toutes les marques qui se soucient de la vie des travailleurs qui produisent leurs vêtements et de l’opinion de leurs consommateurs de plus en plus conscients des impacts de leurs achats doivent signer cet accord. Celles qui le refusent mettent sciemment en danger la vie de leurs ouvriers. Cette indifférence doit cesser !", a souligné à cette occasion l’eurodéputée belge Saskia Bricmont dans un communiqué.

Le texte préserve et étend le modèle de protection de la sécurité des travailleurs inauguré par un accord de 2013 qui avait été établi suite à l’effondrement du Rana Plaza. Le drame avait coûté la vie à plus de 1.100 travailleuses et travailleurs, et mis en lumière les conditions de sécurité dans lesquelles travaillent les personnes dans ce secteur, ainsi que le terrible coût humain de la fast fashion - un terme qui désigne les entreprises qui produisent beaucoup de collections chaque année qui alimentent nos magasins.

Précisons que les ouvriers dans l’industrie textile sont majoritairement des femmes, on estime que 70 à 80 % des travailleurs sont des travailleuses.


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Le cas du féminisme washing

Et pourtant, le féminisme peut être utilisé comme un argument marketing, c’est ce qu’on appelle le féminisme washing, sur le même modèle que le greenwashing, c’est-à-dire une technique marketing qui consiste, pour une entreprise, à se donner une image engagée, écoresponsable et éthique, alors même que ses pratiques sont en fait polluantes.

Le 4 mars dernier, Léa Lejeune, journaliste économique et présidente de l’association française Prenons la Une, publiait son premier essai aux éditions Seuil. Le titre, Féminisme washing, quand les entreprises récupèrent la cause des femmes, est on ne peut plus clair : son objectif est d’analyser les actions marketing des entreprises les plus célèbres du globe d’un point de vue féministe. Le mot est acerbe, vif et sourcé, et l’autrice pointe à quel point le féminisme est devenu, en quelques années, “bankable”.

Le féminisme washing, c’est le fait pour une entreprise, de créer des campagnes de publicité engagées sur la place des femmes, l’égalité entre les genres, grâce à des mots, des images, qui sont actuellement à la mode. Léa Lejeune définit cette pratique malhonnête comme l’“ensemble de pratiques marketing, de stratégies de communication et des ressources humaines qui vise à faire croire qu’une entreprise est féministe pour gagner des clientes ou attirer des candidates à des postes alors que l’entreprise en question n’agit pas réellement pour l’égalité”.

Son enquête cite des marques très connues telles que Dior, H&M, Amazon, Publicis ou McDonald's, avec des exemples de campagnes de "féminisme washing". Elle épingle notamment la marque Dior, qui a produit un tee-shirt "We should all be feminists" ("Nous devrions tous et toutes être féministes")... pour la modique somme de 620 euros

Pourquoi le féminisme washing est-il un problème ? Parce qu’il enlève toute sa substance aux mouvements féministes, qui sont révoltés, politisés, et qui mettent en avant une remise en question du système capitaliste. Parce que les entreprises surfent sur ce mot, devenu à la mode, et qu’elles occultent donc les préoccupations portées par les combats féministes, et parce que l’argent engendré par ces marques ne servent pas l’intérêt des femmes : c’est même parfois tout le contraire.


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Même chose pour le violet, couleur officielle des mouvements féministes depuis les années 1970 et déjà utilisée par les Suffragettes anglaises au début du 20ème siècle, est désormais largement repris par l’industrie de la mode, comme pour témoigner de son engagement vers une société plus égalitaire, alors même qu’aucune remise en question de leur modèle économique n’a lieu.

Pink washing, ou la réappropriation des combats LGBTQIA+

Le pink washing fonctionne lui aussi sur le même modèle : le concept fait référence aux pratiques marketing d’une entreprise, d’un parti politique ou d’une organisation ayant pour objectif de se donner une image engagée pour les droits des communautés LGBTQIA+.

En juin 2018, la BBC a publié une enquête choc sur plusieurs marques de fast fashion, qui avaient lancé, quelques mois plus tôt, des gammes pro-LGBTQIA+.

C’était notamment le cas de la collection Pride de Levi’s, une gamme soutenant les personnes LGBTQIA+ et dont le marketing faisait preuve d’inclusivité. Seulement, l’enquête soulève un point crucial : la gamme a été fabriquée en Inde, pays où l’homosexualité était à l’époque pénalisée (elle fut dépénalisée en septembre 2018). L’enquête pointe également du doigt Primark, qui lançait une collection similaire, fabriquée au Myanmar, pays où l’homosexualité est toujours illégale et passible d’une peine allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.

Pour une fashion révolution

"Beaucoup de tee-shirts à logo féministe sont en fait fabriqués par des femmes racisées, exploitées dans des pays paupérisés", précise Léa Lejeune au micro d’Europe1. "Ce sont donc des questions à se poser : où sont fabriqués les tee-shirts et dans quelles conditions sont payées et traitées les femmes qui les fabriquent ?"

Dans cette même interview, l’autrice propose des solutions, notamment "vérifier si les entreprises ont des objectifs chiffrés de lutte contre les inégalités salariales, mettre en place des plans, aménager les horaires pour permettre aux femmes de ne pas avoir de réunions après 18 heures pour qu'elles puissent rentrer chez elles et s'occuper de leurs enfants si elles le souhaitent, vérifier les écarts de salaire, promouvoir par des quotas les femmes à la direction".

A l’échelle des consommateurs et consommatrices, il est primordial de reconnaître ces techniques pour marquer notre désaccord et faire bouger collectivement les lignes.