Quand l'infiniment petit donne de grandes réponses

02/08/2022 Par acomputer 445 Vues

Quand l'infiniment petit donne de grandes réponses

Résoudre une affaire criminelle tient en premier lieu à la ténacité des enquêteurs, des gendarmes, des policiers ou d'un juge d'instruction, mais également à la persistance de l'ADN, qui continue de parler bien des années après qu'un assassinat a été commis.Quand l'infiniment petit donne de grandes réponses Quand l'infiniment petit donne de grandes réponses

- LES CRIMES DE MICHEL FOURNIRET -

"Je reconnais là un être qui n'est plus là par ma faute." C'est à demi-mot que Michel Fourniret finit par avouer, en mars 2020, le meurtre d'Estelle Mouzin, face à une photo de la fillette de 9 ans disparue le 9 janvier 2003 à Guermantes, en Seine-et-Marne, sur le chemin du retour de l'école.

Un peu plus d'un an auparavant, l'alibi qui avait permis de l'innocenter au moment des faits, alors qu'il n'était pas encore l'un des plus célèbres tueurs en série européens, a volé en éclat : son ex-épouse, Monique Olivier, raconte que c'est elle qui a passé un coup de fil depuis leur domicile le soir de la disparition, pas lui. Puis, en août 2020, un nouvel élément fait basculer l'enquête. L'ADN partiel de l'enfant est retrouvé à deux endroits sur un matelas saisi dans la maison de la sœur de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes, dans les Ardennes, où il est soupçonné d'avoir séquestré, violé et tué la petite fille. Et ce n'est pas tout. Grâce à la technique du quadrillage, l'analyse minutieuse, millimètre par millimètre, du matelas révèle également la présence d'une dizaine d'ADN inconnus. Des ADN fantômes qui sont en cours d'analyse pour savoir s'ils correspondent à d'autres victimes potentielles de l'ogre des Ardennes, dans le cadre d'une vingtaine d'affaires non élucidées.

Parmi elles, Marion Wagon, qui s'est évaporée après sa sortie de l'école, le 14 novembre 1996 à Agen, dans le Lot-et-Garonne. Le problème, c'est qu'en voulant faire les comparaisons dans cette affaire, les experts se sont rendu compte que l'ADN de la petite fille de 10 ans avait disparu. Il n'y a plus de bulbe sur les quelques cheveux placés sous scellés à l'époque. Des objets ayant appartenu à Marion ont été rassemblés dans l'espoir de pouvoir y récupérer la précieuse molécule. D'autres

cold cases pourraient ainsi être relancés par ces analyses : le meurtre de Nadège Desnoix, lycéenne de 17 ans dont le corps a été retrouvé le 25 mai 1994 lardé de coups de couteau à Château-Thierry, dans l'Aisne. Ou encore la disparition de Cécile Vallin, 17 ans, aperçue pour la dernière fois le 8 juin 1997 au bord d'une route en Savoie. Il faut dire que la décennie 1990 interroge tout particulièrement les enquêteurs dans le parcours du tueur en série.

Entre les meurtres de sept jeunes filles perpétrés à la fin des années 1980 et au début des années 2000, pour lesquels il a été déclaré coupable en 2008, une "période blanche" intrigue. Que s'est-il passé pendant ces dix années au cours desquelles il aurait cessé de tuer ? Reste à attendre que l'ADN parle, à nouveau. Car les réponses ne viendront plus de Michel Fourniret, mort le 10 mai 2021. L'homme de 79 ans, qui souffrait de problèmes cardiaques et de la maladie d'Alzheimer, emporte avec lui ses sombres secrets. On ne connaîtra probablement jamais le nombre de ses victimes. Ni où ont été dissimulés les corps. Une sixième campagne de recherche pour tenter de retrouver celui d'Estelle Mouzin, lancée début 2021 autour de la commune d'Issancourt-et-Rumel, s'est malheureusement soldée par un échec.

- L'AFFAIRE CHRISTELLE BLÉTRY -

Le 27 décembre 1996, Christelle Blétry passe la soirée chez un ami dans le centre de Blanzy, en Saône-et-Loire, avec quatre garçons et une fille. Ensemble, ils regardent une cassette vidéo. Peu avant minuit, l'étudiante de 20 ans les quitte pour regagner le domicile familial à pied, comme elle en a l'habitude. Mais elle ne rentrera jamais. Le lendemain midi, le facteur du village s'engage dans un petit chemin forestier qui conduit à une ferme isolée, près d'un étang, pour la dernière étape de sa tournée matinale, quand il aperçoit un corps en contrebas de la route, allongé dans le fossé gelé, face contre terre. Celui de cette jeune femme sans histoire qui vit à deux kilomètres de là. L'autopsie révèle qu'elle a été assassinée sauvagement de 123 coups de couteau avant d'être abandonnée sur le chemin, mais elle n'aurait pas subi d'agression sexuelle. Qu'est-il arrivé à Christelle, cette nuit-là, après avoir quitté ses copains ? Qui a croisé sa route ? C'est la question qui va longtemps hanter ses parents.

Trois mois après son arrestation pour le meurtre de Christelle Blétry (ci-dessus), le suspect Pascal Jardin est conduit sur les lieux du crime pour une reconstitution (à droite) . L'ADN a parlé, dix-huit ans après le crime./p

Quand l'infiniment petit donne de grandes réponses

Dès 1997, ils décident de créer une association au nom de leur fille pour faire en sorte que l'enquête avance et obtenir des réponses. Ils sont peu à peu rejoints par d'autres familles de victimes assassinées en Saône-et-Loire : celles que l'on appelle les "disparues de l'A6", l'autoroute qui traverse le département. Entre 1985 et 2005, quatorze jeunes femmes âgées de 13 ans à 23 ans ont été sauvagement tuées dans un périmètre de 200 kilomètres traversé par cette route. Et s'il s'agissait d'un tueur en série ? Alors que les enquêtes piétinent, l'association demande que des rapprochements soient effectués entre les affaires. En vain. Mais, grâce à l'obstination des parents, les dossiers restent ouverts des années durant. Les investigations donnent lieu à près de 1 000 procès-verbaux et 150 auditions, dont une quinzaine de suspects. Sans qu'aucune piste sérieuse ne se dégage. En 2014, à la suite d'analyses ADN réalisées sur ses vêtements, l'affaire Christelle Blétry connaît un incroyable rebondissement : une correspondance est trouvée au sein du fichier national des empreintes génétiques. Elle désigne Pascal Jardin, fiché en 2004 pour tentative d'agression sexuelle.

Le quinquagénaire est arrêté à Retjons, dans les Landes, où il avait refait sa vie depuis sa sortie de prison et menait une vie ordinaire. Le père de famille, qui vivait à l'époque à Blanzy, près de chez Christelle, passe aux aveux, décrivant un coup de folie. Il explique avoir passé la soirée avec des amis et consommé de l'alcool. Sur la route du retour, il a croisé le chemin de l'étudiante et l'a forcée à monter dans la voiture. Alors qu'elle prenait la fuite, il dit avoir perdu le contrôle, empoigné un couteau dans son véhicule pour la poursuivre et la poignarder à mort. Mais au moment de son procès en 2017, il revient sur ses confessions et livre une autre version : il aurait pris la jeune femme en stop sur la route et eu une relation sexuelle consentie avec elle, avant qu'elle ne parte précipitamment. Pas de quoi convaincre les jurés. Pascal Jardin est condamné à passer sa vie derrière les barreaux. Rien n'a permis d'établir un lien avec les autres affaires des "disparues de l'A6", qui restent pour la plupart non élucidées.

Après la mystérieuse disparition de la famille Flactif en avril 2003, la gendarmerie scientifique fouille leur chalet tandis que le voisin fait le show devant les caméras de télévision. Il sera dénoncé par son ADN.

- LA TUERIE DU GRAND-BORNAND -

Le 12 avril 2003, Mario arrive à la station de ski du Grand-Bornand, en Haute-Savoie. L'adolescent de 14 ans vient passer les vacances chez sa mère, Graziella, qui vit avec son beau-père, Xavier, et leurs trois enfants. Mais quand le garçon se présente devant leur luxueux chalet, il trouve porte close. Aucun signe de vie à l'intérieur. Il part à leur recherche dans la station, sans succès. La famille Flactif reste introuvable. Les gendarmes décident donc de fouiller leur maison, en quête d'indices. Le frigo est plein, tout semble en ordre, mais leur voiture n'est plus là. Dans le village, l'hypothèse d'une fuite à l'étranger circule. Car Xavier Flactif, promoteur immobilier mêlé par le passé à des affaires d'escroqueries, est criblé de dettes. Mais une nouvelle perquisition du chalet à l'aide d'un produit spécial, le Bluestar, révèle l'horreur : des traces de sang sur les murs, les meubles et le sol, qui ont été minutieusement nettoyées. Les lieux ont été le théâtre d'un massacre.

Les soupçons des enquêteurs se portent alors sur l'un des voisins des Flactif et locataire d'un de leurs chalets, David Hotyat, qui dénigre le couple devant les caméras de télévision, visiblement jaloux de leur train de vie, et alimente les rumeurs les plus folles. Son ADN est comparé à celui qui a pu être isolé sur la scène de crime : le résultat est positif. Le suspect passe aux aveux : il a tué toute la famille, avant de brûler les corps dans la forêt de Thônes, où il mène les enquêteurs qui retrouvent quelques morceaux de dents. Des écoutes téléphoniques démontrent la complicité de son épouse et d'un couple d'amis dans la terrible tuerie, semble-t-il motivée par la jalousie.

Mars 2018 au tribunal de Perpignan, Jacques Rançon dans le box des accusés, et la présentation des scellés dans l'affaire des disparues de la gare.

- LES DISPARUES DE PERPIGNAN -

Le 24 septembre 1995, Tatiana Andujar prend le train à Toulouse où elle a passé le week-end. Arrivée en gare de Perpignan, elle doit rejoindre le domicile de ses parents à quelques kilomètres de là. Mais la lycéenne de 17 ans ne rentrera jamais chez elle. Elle s'est volatilisée. Une fugue ? C'est une piste qui est envisagée. Deux ans plus tard, un fait divers laisse présager le pire. Le 21 décembre 1997, une autre jeune femme brune de 19 ans, Mokhtaria Chaïb, est retrouvée morte poignardée, le corps atrocement mutilé, sur un terrain vague, dans le quartier de la gare. La série noire continue quand, le 16 juin 1998, Marie-Hélène Gonzalez, 22 ans, disparaît elle aussi aux abords de la gare. Son cadavre est découvert dix jours plus tard, avec la tête et les mains sectionnées. En février 2001, Fatima Idrahou, caissière de 23 ans, s'évapore à son tour à Perpignan. Elle est retrouvée étranglée à Canet-en-Roussillon, près d'un étang, un mois plus tard. Cette fois, les enquêteurs ont un suspect : Marc Delpech, un gérant de bar. Il avoue avoir tué impulsivement Fatima qui a refusé ses avances. Mais son profil ne colle pas aux précédents meurtres. Le tueur des deux jeunes femmes mutilées court toujours.

Jusqu'en 2014, quand l'ADN retrouvé sur une chaussure de Mokhtaria finit par "matcher" avec un profil fiché au Fnaeg : celui de Jacques Rançon, un cariste magasinier déjà condamné pour agressions sexuelles. Placé en garde à vue, le quinquagénaire ne reconnaît pas tout de suite les crimes, mais finit par passer à table au bout de plusieurs auditions. Oui, il a bien violé et assassiné Mokhtaria. Quelques mois plus tard, en 2015, il avoue le meurtre de Marie-Hélène. D'autres affaires sont exhumées : Jacques Rançon confesse avoir tenté d'agresser deux autres femmes à Perpignan en 1997 et 1998, mais aussi un autre assassinat commis loin de là, dans la Somme en 1986. En revanche, pour Tatiana, la première des disparues, il était en prison au moment des faits. Le mystère reste entier…

- LA PETITE MARTYRE DE L'AUTOROUTE A10 -

Dans l'après-midi du 11 août 1987, des agents d'entretien s'affairent à débroussailler les abords de l'A10, près de Blois. Lorsqu'ils font une macabre découverte : un corps emmailloté dans une couverture. Celui d'une petite fille vêtue d'une robe de chambre, couvert d'hématomes, de marques de brûlures et de morsures. La victime, vraisemblablement battue à mort, a les cheveux bruns, courts et bouclés, les yeux marron foncé et doit avoir entre 3 ans et 5 ans. C'est alors tout ce que l'on sait de l'enfant, dont l'identité reste inconnue. La gendarmerie lance des recherches dans près de 65 000 écoles, en vain. Aucune trace de la fillette. Après son enterrement à Suèvres, le petit village où elle a été retrouvée, les enquêteurs se relaient au cimetière pour surveiller sa tombe, en espérant qu'un proche viendra se recueillir. Là encore sans succès.

Longtemps, les recherches ne donnent rien. Jusqu'à ce que de l'ADN soit prélevé sur la couverture et les vêtements de l'enfant en 2007. Malheureusement, les profils génétiques sont inconnus. Reste alors à espérer qu'une correspondance soit un jour trouvée au Fnaeg. Et c'est ce qui finit par se produire dix ans plus tard, en 2017, quand un homme est interpellé et fiché à la suite d'une bagarre : le petit frère de la victime, qui avait 3 ans au moment de la mort de sa sœur. Son ADN correspond aux traces relevées sur la couverture qui enveloppait l'enfant. Les enquêteurs remontent ainsi jusqu'aux parents, qui s'accusent mutuellement de violences. Toutes ces années, ils ont fait croire que leur fille, jamais scolarisée, était partie vivre chez sa grand-mère au Maroc. Celle que l'on a appelée la petite martyre de l'A10 durant trente ans a enfin un nom : Inass Touloub. Elle venait d'avoir 4 ans. Ses parents sont incarcérés en 2018.

Qui est-elle ? Inass Touloub, assassinée par ses parents en 1987, retrouvera une identité trente ans plus tard grâce à une analyse ADN.

- QUAND UN MOUSTIQUE TRAHIT LE TUEUR -

Au début des années 2000, sur une plage de Sicile, le corps d'un prostitué est retrouvé gisant sur le sable, recouvert en partie par des buissons. Il est visiblement mort étranglé. Un riverain confie aux policiers avoir aperçu une voiture noire, un modèle anglais de collection, ce qui les mène sur la piste d'un homme d'affaires habitant à quelques kilomètres de là. Il a un alibi : il aurait passé la soirée chez un ami. Malgré tout, sa maison est passée au peigne fin. Elle ne présente aucune trace suspecte, à un détail près : un moustique écrasé sur un mur. Son cadavre chargé de sang est délicatement prélevé pour être analysé en laboratoire.

Les experts parviennent à en extraire un ADN : le profil génétique correspond à celui de la victime. Peu de chances que l'insecte se soit retrouvé là par hasard après avoir piqué la victime sur la plage, pour connaître le même destin funeste. Non, le prostitué est bien passé chez le businessman. Et deux autres éléments convergent vers ce scénario. Des sédiments prélevés sur les baskets du suspect correspondent bien à ceux de la plage où le corps a été découvert, tout comme des morceaux de végétaux sur ses vêtements. De quoi faire condamner l'homme d'affaires, trahi par un banal geste d'impatience.