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09/02/2022 Par acomputer 746 Vues

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ReportageValentine Van Vyve

Il faut être un peu curieux pour le trouver : arrivé sur le site de See U, dans les anciennes casernes Fritz Toussaint d'Etterbeek, il faut pousser la porte du cinéma Le Kinograph, monter au premier étage et parcourir un dédale de couloirs… C'est là que le Repair Lab a – temporairement, comme toutes les initiatives présentes sur le lieu – pris ses quartiers.

La salle n’est pas encore bien remplie mais l’imprimante 3D fonctionne déjà (ou encore) à plein régime, façonnant un engrenage tout neuf pour remplacer le moteur d’un plateau de micro-onde dont les dents sont cassées. Sur des étagères, une série de machines à café semblent au garde à vous. Des lampes sont penchées sur de petites tables. Des outils pendent au mur.

Porté par Repair Together – association qui développe des initiatives durables dans le cadre de la réparation et de l’économie circulaire, la plus connue étant probablement le réseau de Repair Cafés -, ce lieu unique à ce jour propose aux personnes qui le souhaitent de venir réparer elles-mêmes leurs objets défectueux (petits électros, appareils mécaniques ou vêtements).

Les participants aux ateliers, organisés plusieurs fois par semaine, prennent place autour de la grande table centrale qui permet de faciliter les échanges ou aux différents postes dédiés à des pratiques précises et munis d'outils spécifiques à la réparation : couture, microsoudure, électronique de précision, informatique, impression 3D… "Nous avons aussi installé un studio de tutoriels de réparation qui enrichissent une large base de données à partager aux participants", explique Jonathan Vigne, chargé de projet chez Repair Together.

Développer la réparation en ville

S'il a quelque peu pris les devants (un subside lui a été accordé par Bruxelles Environnement), le Repair Lab fait partie du projet européen "Sharepair". Celui-ci entend "mettre les outils digitaux au service de la réparation et de son appropriation par le grand public", explique Simon Fremineur, chargé de mission pour le projet au sein de Repair Together. "Il entend développer des Urban Repair Centers et ainsi aider les villes à mieux réparer", précise Jonathan Vigne.

Le Repair Lab tente de concilier deux modèles : celui du FabLab – qui fait la part belle à la recherche, la fabrication et l'innovation– et le Repair Café dans lequel on co-répare avec un professionnel, pour en faire un modèle hybride unique : ici, on vient réparer surtout, et fabriquer au besoin. Mais surtout, on répare soi-même. "C'est un lieu pour apprendre à réparer et à tester la réparation", résume Jonathan Vigne. Chacun y vient avec un objet et a accès aux outils spécifiques mis à sa disposition. "Il existe un frein important à réparer : la peur de mal faire et de ne pas savoir comment faire. Pourtant, l'appareil est déjà cassé donc le risque n'est pas très élevé !", poursuit-il. "Aujourd'hui, quand un objet casse, on le remplace, déplore-t-il. Le Repair Lab permet d'expérimenter, de se lancer, d'oser, de chipoter !" Et par ce biais, de "se réapproprier des compétences techniques perdues et peu valorisées. C'est un peu réintroduire la culture de la débrouille !", sourit M. Vigne. Par ailleurs, "expérimenter permet de comprendre comment fonctionnent les appareils que nous utilisons tous les jours".

S'il répare lui-même, l'apprenti-réparateur peut toutefois compter sur des managers qui l'aiguillent dans un processus parfois complexe. "Cela dit, la plupart du temps, l'appareil défectueux l'est à cause d'une bête panne, commente Jonathan Vigne. On peut être novice et y arriver !"

À quatre mains

C'est le cas de Damien. Le jeune homme vient réparer un smartphone qui "traînait dans l'armoire". "Je garde tout, jusqu'à ce que je trouve une solution", commente-t-il. Au hasard de ses recherches, il tombe sur le Repair Lab et y voit – enfin ! – l'occasion de redonner vie à son vieux GSM. Essayer en tout cas, car la tâche semble ardue. Après avoir inspecté la machine, Jonathan Vigne conclut à une défection de l'écran et du clavier tactile. Il va falloir les retirer et les remplacer. "On fonctionne en Reverse Engineering, explique-t-il. Sans plan, on doit comprendre comment a été créé l'appareil et comment il fonctionne… C'est un défi stimulant !"

Damien s'installe alors à une petite table avec le matériel adéquat : une machine à air chaud, un onglet en plastique et une fine lame en métal choisie avec soin. "Ça fait longtemps que je n'ai plus bricolé !", concède-t-il en se saisissant des outils. À quatre mains, sous le néon d'une lumière dirigée, Jonathan et Damien tentent de faire fondre la colle et de retirer avec soin la fine couche de plastique. "Remets un coup de chaud, si tu sens que ça colle", conseille le premier. "Ça colle de partout : sur les bords et au milieu !", lui répond le second. "Il faut être persévérant !", glisse-t-il. Enfin, la première couche cède. La deuxième volera en éclats quelques minutes plus tard. "La colle rend la réparation compliquée", soulève Jonathan Vigne. Idéalement, il faudrait pouvoir démonter chaque pièce et remplacer celles qui sont défectueuses. Le modèle de fabrication est malheureusement loin d'être celui-là actuellement, que ce soit pour les smartphones ou les autres appareils électroménagers.

Le droit à la réparation

"Nous plaidons – et c'est notre côté militant – pour le droit à la réparation, explique Jonathan Vigne. On part du principe que l'objet nous appartient et qu'il doit pouvoir être facilement démontable et réparable." Une manière de contrer les mécanismes bien connus d'obsolescence programmée… Dans une économie circulaire, la réparation "est l'une des premières solutions pour prolonger la durée de vie des objets", poursuit-il. Bien davantage que le recyclage qui lui, arrive en bout de chaîne. En 2020, Recupel a d'ailleurs collecté 123 840 tonnes d'appareils électro.

Contrairement aux Repair Cafés, le Repair Lab s'est confectionné une petite réserve de pièces détachées, permettant de repartir avec des objets fonctionnels. Malheureusement pour Damien, il devra chercher sur Internet l'écran neuf dont il a besoin. Dans ce vaste marché, "on les aide à trouver exactement la bonne pièce, souligne toutefois Jonathan Vigne. On prend le temps qu'il faut." Le facteur temps étant aussi un "élément limitant" à la réparation. "Ce faisant, on repousse le plus loin possible les limites de la réparation", se réjouit-il. Jusqu'à la complète autonomie du citoyen. À côté de ses objectifs environnementaux et pédagogiques évidents, le Repair Lab s'inscrit dans une dynamique sociale puisque le lieu est "ouvert à tous et se veut être un espace de rencontre et d'échange".

Une heure après son arrivée, Damien repart avec son smartphone démonté, animé par un sentiment de fierté propre à ceux qui "réparent eux-mêmes". "Je pense avoir compris les principes de base", dit-il. Et de repartir aussi discrètement qu'il est venu, en promettant de revenir avec d'autres objets à réparer.