Ma galabiya, mon identité … - Ahram Hebdo

06/02/2022 Par acomputer 739 Vues

Ma galabiya, mon identité … - Ahram Hebdo

Pour arriver à son atelier, il faut circuler pour quelque temps dans les ruelles du quartier populaire Aïn-Chams, à l’est du Caire, et passer par des chaussées en remblai carros­sables. Mais peu importe, les fidèles clients dépassent tous les obstacles pour venir. Comme d’habitude, il a une allure sérieuse, il est toujours occupé, en train de couper, de mesurer ou de coudre. Il laisse le client demander ce qu’il veut, l’entend attentive­ment, mais à la fin, il fait ce que lui semble convenable. Car d’après lui, ce serait un crime de changer les traits d’un modèle. « Je porte sur mes épaules la responsabilité de protéger le patrimoine national », dit fière­ment le couturier Monsef Eskandar. Agé de 58 ans, ce dernier est un couturier « baladi », spécialiste de galabiyas (djellabas) : il ne confectionne rien d’autre depuis plus de 35 ans. En fait, le nombre de ces couturiers baladi diminue au cours des années et ils ne se trouvent actuellement que dispersés dans les quartiers populaires, sur les bordures de la capitale et dans les villages. Comme ses confrères, il ne se considère pas seulement comme un couturier, mais aussi comme un artisan qui joue un rôle pour garder l’identité des Egyptiens. Il affirme qu’au niveau pro­fessionnel, il peut coudre n’importe quel modèle de vêtement, mais que ce n’est pas n’importe quel couturier qui sait faire une djellaba. Car d’après lui, ce n’est pas seule­ment une technique qu’il faut appliquer, mais c’est aussi de l’art, de la connaissance et de la culture.

A chaque région son modèle

La djellaba est considérée comme le vête­ment traditionnel des hommes égyptiens. D’après Mahmoud Al-Dessouqi, écrivain et spécialiste dans le patrimoine social, il y a plusieurs genres de djellabas qui distinguent les Egyptiens et qui diffèrent selon l’endroit. La djellaba soudanaise, c’est celle que por­tent les habitants du sud. Elle porte le nom et les traits des djellabas que portent les Soudanais, car les habitants des deux pays partagent presque les mêmes frontières, cou­tumes et costumes. Dans les villages de l’ouest et du nord, les habitants du désert portent une djellaba qui ressemble à celle de ceux des pays du Golfe, parce qu’ils parta­gent avec eux les traits de la vie bédouine. Quant aux habitants des villages du Delta et de la Haute-Egypte, continue Dessouqi, ils portent la djellaba baladi, qui est la plus commune et qui distingue le costume tradi­tionnel de l’homme égyptien. C’est cette djellaba que portent les Egyptiens lors des festivals folkloriques qui représentent la culture de chaque pays. Mais celle-là n’est pas la même dans les villages du Delta et ceux de la Haute-Egypte, comme les vête­ments des grandes maisons de la haute cou­ture parisiennes ou italiennes, qui se distin­guent par certains traits qui rendent très facile d’en connaître la signature dès qu’on les voit.

Sous le grand titre de djellaba baladi, il y a deux sous-titres: « saïdi » pour les habitants du sud et « fallahi » pour ceux des autres villages du Delta. Chaque modèle des deux a des dimensions et des traits qui le distinguent et qui sont très respectés par le couturier qui les fait. « Surtout que la djellaba baladi, on ne la trouve pas dans les magasins de prêt-à-porter. Elle doit être faite à la main par un couturier », dit Monsef, qui lui-même ne porte que des djellabas. Elles sont fabriquées de laine en hiver et de viscose en été. Ces mêmes deux genres portent parfois d’autres noms comme Chahi, Silka et Frisqa, selon la qualité et le degré de pureté. Et elles sont toutes de couleurs uniques et limitées dans les degrés du gris, du marron, du bleu ou du noir. En général, une djellaba baladi, « saïdi », doit être évasée vers le bas, avec de grandes manches et sans col, « abba », ni boutons, mais avec une ouverture sous forme d’un V, décorée par l’« étane », une corde ou un ruban cousu tout autour du col et de l’ouver­ture. Cet « étane » entoure aussi les bouts des manches évasées de 35 cm, et aussi l’ouverture des fausses poches : deux ouvertures à la place des poches, qui servent à faire passer la main facile­ment vers les sous-vêtements et les arranger sans avoir besoin de lever la djellaba. Ces sous-vêtements se compo­sent d’un gilet très serré sur le corps et d’un pantalon large d’en haut et serré vers la fin des jambes.

Des fidèles

Meme s'ils vievent en ville, ceux qui sont d'origine villageoise tiennent encore à leur tenu d'origine.

D’après Mahmoud Dessouqi, le design de ces vêtements convient à la nature de la vie à la campagne où les paysans travaillent dans l’agriculture, montent à dos d’âne, etc. Alors, le cos­tume devrait être vaste et confortable. La djellaba « fallahi » est moins vaste d’en bas, avec des manches à des poi­gnets mousquetaires, un col officier et une poche en haut à gauche. En des­sous, il suffit de porter un pantalon. « Il faut une certaine technique pour coudre chaque modèle avec une finition par­faite, car l’homme porte ce costume en étant très fier », explique Monsef, en montrant le dos d’une djellaba et com­ment le travail est tellement parfait que les points sont non remarqués comme si le tissu n’est pas cousu. Actuellement, la majorité de ses clients sont les mar­chands de gros des grands souks, les concierges, les employés, les ouvriers … Ce sont ceux qui préfèrent porter la djellaba pour la plupart de temps ou même tout le temps. Mais aussi, conti­nue Monsef, il a des clients médecins, avocats et juges qui insistent sur le fait d’avoir des djellabas qu’ils portent dans certaines occasions. Au milieu des vête­ments modernes qui ont évolué au cours des années et du rythme de vie qui a aussi changé, exigeant des habits plus pratiques, la djellaba a perdu beaucoup de la place qu’elle occupait chez les Egyptiens. Cependant, il y en a ceux qui tiennent encore à la porter et ceux qui la portent en échange avec les vêtements modernes.

Actuellement, dans les grandes villes, le commun est que les gens qui portent des djellabas pendant leur vie quoti­dienne sont ou bien des marchands, des concierges ou des journaliers. « Je ne porte la chemise et le pantalon que lorsque je nettoie les voitures des habi­tants pendant une ou deux heures chaque jour, car c’est plus pratique. Autrement, je reste tout le temps avec la djellaba », dit Zakariya Kamal, concierge originaire de Minya, en Haute-Egypte. D’autres, on les voit seulement en djellaba le vendredi lors de la prière. La djellaba signifie le confort, l’élégance et la fierté, comme l’affirme Nasser Al-Tabeï, médecin âgé de 62 ans. Ce dernier, originaire d’un village à l’entourage du Caire, considé­ré comme le début de la Haute-Egypte, passe la majorité de ses week-ends et congés à son village. Il descend de sa maison du Caire avec la djellaba, car les gens dans son village ne sont pas habi­tués à le voir avec une chemise et un pantalon. « Parfois des voisins et des cousins viennent pour que je les aus­culte dans ma clinique et me voient en costume moderne, mais c’est juste lors du travail », dit Nasser. Arrivé à mon village natal en djellaba, je me sens soulagé et je me comporte comme un paysan. Les enfants de ce dernier ont refusé de porter ce costume traditionnel, car ils n’y sont pas habitués comme lui. « Pour eux, le jean est le costume idéal, et je vois un grand nombre de jeunes qui pensent de la même manière », dit Nasser.

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djellaba, chall et turban... un style typiquement " saeidi"

Cependant, il y a des jeunes tel Mohamad Ahmad, 30 ans, qui garde dans son armoire une djellaba pour la porter dès qu’il rentre chez ses parents à Batanon, un village au gouvernorat de Charqiya. « Ici, les gens se rencontrent avec le costume commun, ils oublient leurs travaux, leurs positions et se res­semblent tous. Cela donne une impres­sion d’être à l’aise », dit Mohamad, en ajoutant qu’il a appris de son père et ses oncles que c’est honteux pour les vrais hommes de ne pas porter de djellaba. Visitant n’importe quel village lors des fêtes, nous allons va voir un grand défilé de djellabas qui sont tout à fait neuves. Car c’est lors des fêtes des noces que les hommes et les enfants font de nouvelles djellabas chez le cou­turier. On ne les accroche pas dans l’ar­moire, on les plie très attentivement. En effet, pour les habitants des villages, la djellaba est le vêtement de tout le temps. Les enfants portent des djellabas en « kastor » pour dormir, jouer et sortir. Même chose pour les adultes qui dor­ment, passent la journée à la maison, reçoivent des gens ou sortent, tout cela avec la même djellaba. Ils la changent au cas où elle devrait être lavée ou s’il ya une occasion spéciale.

En haute égypte le lien est très fort entre la djellaba et l'orgueil.

Peut-être que toutes les djellabas ont la même forme, mais elles n’ont pas la même valeur. « La djellaba est aussi une carte d’identité pour la personne qui la porte. On peut savoir sa position sociale et son niveau financier avec un simple regard sur sa djellaba: le genre de tissu, la traîne vaste, le matériel uti­lisé autour du cou et l’ouverture de la poitrine, que ce soit en soie, en satin ou en coton. Tous ces détails, en plus de l’accessoire que la personne porte comme le châle, le turban et parfois une ou deux bagues en argent avec des pierres précieuses, déterminent la classe sociale de la personne et le degré de respect qui lui faut », dit Dessouqi, en affirmant que c’est comme ça que l’affaire se déroule dans les sociétés rurales loin des villes et leur pêle-mêle. « Montre-moi ta djellaba, je te dirai qui tu es ! », conclut-il .

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