Récit : À la recherche du maharaja perdu

30/08/2022 Par acomputer 440 Vues

Récit : À la recherche du maharaja perdu

Il était là, flottant un peu à l’écart, dans le salon d’honneur du Grand Palais. Autour de lui, les milliers de carats de la plus impressionnante collection de bijoux au monde – celle des émirs du Qatar, les Al-Thani – exposée à Paris au printemps 2017 : trésors indiens, ornements de turbans et bracelets de cheville en or et diamants, émeraudes gravées de versets du Coran, épées et dagues d’appa­rat... Et là, un jeune homme me fixait. Assis sur un sofa blanc et coiffé d’un turban parme, arbo­rant simplement un double rang de perles et deux diamants de la taille d’un œuf chacun, le maharaja d’Indore – comme le précisait le carton – semblait flotter dans la pénombre et regarder tout ça de haut, l’air de dire : « N’en jetez plus. »

Le tableau date de 1933. Il est signé Bertrand Boutet de Monvel, peintre mondain et illustrateur de mode. Vendue aux enchères en avril  2016, la toile s’était envolée à plus de 2 millions d’euros, explosant toutes les estimations. Visiblement, je n’étais pas le seul à qui Yeshwant Rao Holkar II avait tapé dans l’œil : Man Ray et Saint Laurent, Harry Winston, Brancusi, Eileen Gray, la fine fleur des arts décoratifs, Henri-Pierre Roché (l’auteur de *Jules et Jim),*Richard Avedon et un richissime émir ­esthète n’allaient pas tarder à trouver leur place dans une galaxie délirante d’élégance, d’avant-gardisme et de moyens insensés.

Stéphane-Jacques Addade, auteur de la biographie de référence sur Boutet de Monvel, a été le premier à me le confirmer. Les dessins préparatoires et les maquettes du peintre tapissent son élégant appartement, proche du parc Monceau. Il me fait découvrir une autre toile, de 1929, qui représente le maharaja en habit du soir, ainsi que deux portraits de son épouse, une beauté adolescente à enflammer Hollywood. « Les tableaux en vêtements de céré­mo­nie ont été exposés à New York en 1934 chez Wildenstein. Le public a été délirant ; la file d’attente, insensée. La jeunesse du couple, le précisionnisme de Boutet de Monvel, l’exotisme soft... tout a fait sensation, m’explique-t-il. Ce qui est étonnant, c’est la justesse des choix du maharaja, sa dimension visionnaire. Il a beau avoir à peine 20 ans, tous ses choix semblent être bons. »

Récit : À la recherche du maharaja perdu

Comment ce jeune homme venu du continent indien a-t-il atterri dans l’atelier du peintre, au fond d’un passage du VIIe arron­dis­sement ? « Le maharaja d’Indore est l’archétype du dandy oriental, plus encore que les autres maharajas qui, à l’époque, fréquentaient Paris, la ville où la jet-set du monde entier se retrouvait », soutient Béatrice de Plinval. Ancienne direc­trice du patrimoine de Chaumet, cette experte des ­arcanes­ de la place Vendôme (on susurre même qu’elle aurait les clés de la colonne) a accepté de me recevoir pour parler des deux diamants du tableau. Mon impression était juste : ces pierres sont bien passées par les ateliers du joaillier­. Alors que nous traversons le salon classé du premier étage, je lui demande comment on recevait, à l’époque, ce genre de personnages. « Exactement de la même manière que nous vous recevons », s’amuse-t-elle. Elle revient sur les premiers voyages de Joseph Chaumet en Inde en 1910, les richis­simes maharajas de Baroda et de Kapur­thala qui firent la fortune des joailliers pari­siens, sur leur préférence pour le champagne Veuve Cliquot... Puis, preuves photographiques à l’appui, elle me raconte ­comment les « poires d’Indore », ces deux diamants de Golconde d’environ 47 carats chacun, ont été montées chez Chaumet en 1913 pour Tukoji, le père de notre maharaja. Les commandes au nom du « maharaja d’Indore » s’échelonnent sur une vingtaine d’années, sans qu’il soit toujours possible de distinguer s’il s’agit du père ou du fils. Parisiens plus ou moins intermittents, les deux hommes se ressemblaient d’ailleurs beaucoup. Tandis que je lui fais part de ma confusion, Béatrice de Plinval suggère de rencontrer « Richard ». Richard ? « Oui, le prince Richard Holkar, le fils du maharaja du tableau. C’est un très bon ami, un homme qui vit entre Paris, les États-Unis et Maheshwar, le berceau de la dynastie. S’il vient, je vous préviendrai. Nous boirons une coupe de champagne. » Arrivé avec un maharaja et deux diamants en tête, je repars avec trois générations et des images de dizaines de bijoux.