Alexandre Mattiussi de AMI, « les filles sont les bienvenues pour s’habiller chez nous »

29/09/2022 Par acomputer 417 Vues

Alexandre Mattiussi de AMI, « les filles sont les bienvenues pour s’habiller chez nous »

ELLE.fr. Est-ce que vous avez toujours voulu dessiner du prêt-à-porter pour homme, cela a-t-il toujours été une évidence ?

Alexandre Mattiussi. Je suis styliste homme parce que les débuts de ma carrière en ont décidé ainsi. Pourtant, quand j’étais à Duperré (NDLR : école de mode à Paris), je dessinais plutôt des vêtements pour femmes, c’est vrai. Après mes études, lors de mon premier job chez Dior, je m’occupais d’une ligne qui s’appelait « 30 avenue Montaigne », que Hedi Slimane dirigeait et qui marchait très bien. Je me suis formé avec ce vestiaire classique : un manteau, une chemise, un pantalon, etc. J’ai adoré la simplicité du propos. Puis j’ai travaillé chez Givenchy. Je suis donc devenu un styliste homme de cette manière-là, même si je me suis toujours dit que j’aimerais faire de la femme, car cette idée m’excite beaucoup. En revanche maintenant, quand je vois comment ça se passe pour nous, j’aime encore plus l’univers masculin…

ELLE.fr. Pourtant, on a déjà vu des filles défiler pour AMI…

Alexandre Mattiussi. Oui bien sûr. C’est parce qu’AMI, c’est une histoire de potes. J’ai beaucoup de filles dans mon entourage. Et comme il y a beaucoup de filles dans mon entourage, j’ai naturellement envie d’habiller mes copines. Une veste, une chemise, un pantalon, c’est une question de style, de goût c’est sûr, mais si on mélange bien les pièces, ça marche. Et on a introduit cette idée-là avec le défilé de janvier 2014 quand on a fait défiler pour la première fois Caroline de Maigret. C’était la seule fille. L’idée ce n’était pas de dire « on va faire de la femme, mais plutôt les filles vous êtes les bienvenues ». On avait fait trois looks pour Caroline. Elle a choisi son costume noir et sa chemise blanche. Les mains dans les poches, elle était parfaite. C’était la meilleure façon d’expliquer que j’allais aborder ce virage. Ça me met dans une situation embarrassante parce que du coup tout le monde me demande maintenant quand est-ce que vais faire de la femme ! Et pour le moment, ce n’est pas du tout prévu. En revanche, les collections sont prévues avec des petites tailles. Je demande à mes copines jusqu’où je peux aller. Je leur demande et ce sont elles qui tranchent : « ça, on porte ». Pour la prochaine collection, j’ai fait par exemple des pantalons taille haute en pensant à elles. La femme, elle existe, elle existera toujours de cette manière-là. C’est une marque exclusivement masculine mais les filles sont plus que les bienvenues pour venir s’habiller chez nous.

Caroline de Maigret au défilé AMI / Collection 2014

Alexandre Mattiussi de AMI, « les filles sont les bienvenues pour s’habiller chez nous »

ELLE.fr. Pourquoi d’après vous les filles d’aujourd’hui ont cette propension à s’habiller comme des garçons ? Est-ce un phénomène nouveau ?

Alexandre Mattiussi. J’ai l’impression que ça a toujours existé mais que maintenant, c’est assumé. D’un seul coup, il y a une opportunité commerciale aussi. Le marché de la femme est un peu saturé, il y a tellement de propositions, tellement de créateurs, etc. Nous, les garçons, on a beaucoup moins de chance, moins de choix. En termes de style, les marques qui dessinent de l’homme sont limitées. Les filles qui vont chercher des pièces chez l’homme, elles cherchent d’après moi à se démarquer et à se défaire de leur marché qui est saturé. Elles vont chercher de la créativité dans le marché émergent masculin.

ELLE.fr. Qu’est-ce qu’une fille bien habillée d’après vous ?

Alexandre Mattiussi. Une fille bien habillée est une fille sophistiquée. Je vais utiliser une expression que j’entends beaucoup et que j’aime bien, c’est « l’élégance à la française ».J’ai la chance d’entendre ça à propose d’AMI. Il ne s’agit pas nécessairement des vêtements en tant que tels. L’idée vient de l’attitude. Chez AMI par exemple, cela va refléter le fait que mes mannequins seront mal rasés, vont fumer des clopes, ne se tiendront pas nécessairement droit. Il y a un flegme français, une forme d’humour. Chez les filles, j’aime retrouver cette décontraction. Les filles belles qui ne se prennent pas la tête me plaisent. J’aime les filles qui se remettent du rouge à lèvres en public, les filles qui dansent jusqu’au bout de la nuit. J’aime les filles effortless, mais évidemment avec le pantalon qu’il faut, celles qui maîtrisent les vêtements, qui les mettent en valeur, qui ont une notion de la couleur. Pour résumer, il faut un savant mélange de naturel et de sophistiqué. Après, au-delà de l’apparence, ce que je préfère par-dessus tout, ce sont les filles qui me font rire.

ELLE.fr. Qu’est-ce qui est rédhibitoire chez une fille ?

Alexandre Mattiussi. Rien n’est rédhibitoire chez une fille en termes de silhouette, à partir du moment où elle est assumée. Les filles ont la chance d’être magnifiques avec rien : un beau cheveu, une belle bouche, et c’est parti. Pour revenir à Caroline de Maigret, oui c’est travaillé, mais elle est la quintessence de cette féminité que j’adore. Elle rit fort, elle a une véritable attitude et elle donne toujours l’impression, qu’au fond, ça lui est égal. Et j’adore ça. C’est peut-être pour ça qu’elle est en train de devenir l’ambassadrice de la France.

ELLE.fr. Qui sont les filles qui peuvent venir s’habiller chez AMI ?

Alexandre Mattiussi. Le vestiaire que je propose est permissif, je veux que tout le monde y ait accès. J’essaie de faire en sorte que les vêtements soient coupés le mieux possible, que le prix soit juste. La démarche est honnête, sincère. Oui, il y a un côté sophistiqué dans le travail des matières, des couleurs et des proportions, parce qu’on est exigeants. Les filles qui veulent venir, quelles qu’elles soient, sont les bienvenues. Toutes les filles que j’ai eu la chance de rencontrer, que ce soit Caroline de Maigret, Christine and The Queens, Cécile Cassel, Géraldine Nakache, j’ai eu la chance de les habiller. J’étais très fier d’habiller Christine pour les Victoires de la Musique par exemple.

Christine and the Queens aux Victoires de la Musique / 2015

ELLE.fr. On ne trouvera donc jamais de robe chez AMI ?

Alexandre Mattiussi. Non, je ne pense pas. Si jamais j’étais amené un jour à lancer une ligne femme, je l’aborderais toujours d’un point de vue masculin. Evidemment, l’idée n’est pas d’habiller les filles comme des garçons. Pour l’instant, j’aime trop l’idée de me dire, quand je dessine un vêtement, qu’un manteau ou un pantalon peut aussi, en fonction de la manière dont il est coupé, aller à une femme. Instinctivement, quand je pense au vestiaire que je pourrais dessiner pour une femme, je ne penserais pas au premier abord ni à une robe ni à une jupe. On ne se refait pas !

ELLE.fr. Les frontières se brouillent de plus en plus dans la mode. Des filles défilent chez AMI et des garçons défilent aussi parfois aux défilés de prêt-à-porter féminin. On n’a jamais autant parlé d’androgynie en fait. AMI, marque symbole d’une génération ?

Alexandre Mattiussi. Déjà à l’époque, Hedi Slimane chez Dior homme jouait avec ces codes-là. Rappelez-vous, en ne faisant défiler que des garçons, il avait eu le génie d’imposer une silhouette identifiable au premier regard, extrêmement fine, qui brouillait déjà les frontières de l’androgynie. Et les femmes portaient ces vêtements dessinés à la base pour des hommes, comme Kate Moss, Linda Evangelista, etc. C’était incroyable.Nous, AMI, c’est la famille, c’est les potes. Donc c’est forcément des filles aussi. Oui, je dessine de l’homme. Mais faire un défilé avec 45 garçons, ce serait bizarre. Il fallait bien insuffler un peu de féminité dans tout ça.

ELLE.fr. Est-ce que vous pensez que la féminité a changé ?

Alexandre Mattiussi. La féminité c’est quoi ? Une fille en robe avec des talons ? Je sais que les consciences sont encore assez codifiées sur le sujet. Je trouve qu’une fille est davantage sexy quand on la sent féminine dans un tailleur pantalon. C’est une attitude très française je pense aussi, mais je n’aime rien d’autre que de voir une femme avec un pantalon à pinces et un débardeur le soir, ou avec une chemise et une grande veste.

ELLE.fr. Les vêtements pour hommes ne vont quand même pas à toutes les filles, c’estune question de morphologie. Est-ce qu’il y a une pièce chez AMI qui peut aller à toutes les filles ?

Alexandre Mattiussi. Je suis tellement flatté à l’idée que des filles puissent s’habiller chez moi… je réponds un pantalon, sans hésiter. Le modèle T03 en laine tropicale ira à toutes les filles. Je m’y engage personnellement (rires).