Localisation précise de la zone du cortex sensoriel dévolue au clitoris
En ayant recours à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), des chercheurs allemands ont localisé avec précision la zone du cortex cérébral dévolue à la sensibilité génitale de la femme. Pour ce faire, ils ont analysé, chez vingt femmes, la réponse neuronale à une stimulation expérimentale du clitoris. Leurs résultats ont été publiés en ligne le 10 décembre 2021 dans The Journal of Neuroscience.
On sait que la sensibilité de l’ensemble du corps se projette au niveau du lobe pariétal du cortex cérébral. En 1950, Wilder Penfield et Theodore Rasmussen, chercheurs de l’université McGill de Montréal, ont établi une cartographie détaillée du cortex cérébral grâce à des stimulations électriques réalisées point par point au cours d’interventions neurochirurgicales. Ils ont ainsi dessiné ce que l’on dénomme l’homonculus sensitif ou sensoriel.
Représenté avec une main et un visage surdimensionnés, l’homonculus sensitif correspond à une silhouette représentative de la façon dont les différentes régions du corps humain se projettent au niveau du cortex cérébral. La zone du cortex dévolue à la sensibilité, qui reçoit notamment les principaux influx sensoriels de la surface du corps, est appelée cortex somatosensoriel primaire (aire somesthésique primaire S1). Celui-ci est situé dans la circonvolution pariétale ascendante (gyrus post-central) et comporte des régions appelées aires de Brodmann 1, 2, 3 (3a et 3b).
En 2005, grâce à une technique reposant sur une stimulation du pénis par une brosse à dents aux poils très souples, une équipe allemande a localisé la représentation sensitive corticale du pénis humain entre les jambes et le tronc de l’homonculus sensoriel. Il restait donc à conduire chez la femme une expérience de stimulation du clitoris pour localiser la représentation génitale féminine au niveau du cortex sensoriel.
Stimulation du clitoris via une membrane vibrante
Afin de localiser précisément la représentation corticale sensorielle du clitoris, les chercheurs ont utilisé l’IRM fonctionnelle. Celle-ci a permis de visualiser l’activité neuronale lors d’une stimulation clitoridienne.
Les participantes devaient porter un dispositif de stimulation fixé par un adhésif et une ceinture flexible Velcro sur les sous-vêtements. La région du clitoris était stimulée de façon non invasive par une petite membrane oscillant sous l’effet d’un flux d’air. Cette membrane était fixée sous le mont de Vénus dans la région du clitoris.
Les stimulations tactiles génitales ont alterné avec des stimulations du dos de la main droite, à titre de comparaison. Quatre séries de stimulations ont été réalisées, incluant huit stimulations du clitoris et huit autres sur la main, chacune d’une durée de 10 secondes en alternance avec un repos de 10 secondes. Vingt femmes ont participé à cette étude conduite par Christine Heim de l’hôpital universitaire de la Charité (Berlin). Après chaque série de stimulations, les participantes devaient indiquer l’intensité de la sensation agréable ou de l’excitation sexuelle sur une échelle visuelle.
Dans cette étude, les stimuli du clitoris ne consistaient pas, comme dans d’autres protocoles utilisés antérieurement, en la stimulation électrique du nerf dorsal du clitoris. L’expérience n’impliquait pas non plus le toucher de zones situées à proximité du clitoris. Enfin, la stimulation tactile n’a pas provoqué d’excitation sexuelle notable comme lorsque la stimulation est appliquée par la personne elle-même ou un partenaire. On peut noter à ce propos que la stimulation tactile délivrée par le dispositif expérimental placé sur le sous-vêtement n’a jamais été ressentie comme désagréable, pas plus qu’elle n’a provoqué une excitation sexuelle intense.
L’IRM fonctionnelle a permis de délimiter chez chaque participante les points du cortex (vertices) les plus activés au sein de l’hémisphère droit et gauche lors de la stimulation du clitoris et celle du dos de la main. Les chercheurs ont également déterminé l’épaisseur moyenne de la surface corticale contenant les 10 points fonctionnellement les plus actifs dans chaque hémisphère.
Les participantes, d’âge moyen 23 ans, ont également été interrogées sur la fréquence de leurs rapports sexuels au cours des douze derniers mois ainsi que depuis le début de leur vie sexuelle. La majorité de ces femmes étaient hétérosexuelles (17) ou bisexuelles (3). Elles étaient toutes à différents moments de leur cycle menstruel pendant l’étude. La fréquence moyenne des rapports sexuels au cours de l’année passée était de 1,9 par semaine.
Les résultats de l’IRM fonctionnelle montrent que la stimulation tactile de la région du clitoris a induit une activation neuronale significative, localisée dans l’aire somesthésique S1 des deux hémisphères. Plus précisément, chez toutes les femmes, l’activation neuronale est survenue dans les aires de Brodmann 1, 2, 3 (3a et 3b)*. Les pics d’activation neurale en réponse à la stimulation du clitoris variaient considérablement entre les femmes. Il s’avère cependant que la localisation individuelle au sein du cortex sensoriel S1 varie, avec des pics d’activation qui varient clairement entre chaque femme.
Corrélation entre épaisseur de l’aire corticale activée et activité sexuelle
Les chercheurs indiquent que l’épaisseur de l’aire corticale activée est plus importante chez les femmes ayant davantage de rapports sexuels. Il existe ainsi une corrélation significative entre l’épaisseur du cortex au niveau de la région activée dans l’hémisphère gauche et la fréquence des rapports sexuels au cours des douze derniers mois**.
De même, une fréquence plus importante des rapports depuis le début de la vie sexuelle était significativement corrélée à l’épaisseur dans l’hémisphère gauche de la zone corticale de représentation des zones génitales. Cette latéralisation du côté gauche est très étonnante dans la mesure où la représentation sensitive corticale du clitoris est bilatérale. Les chercheurs ne peuvent fournir d’explications mais font remarquer que la diminution d’épaisseur du cortex sensoriel après abus sexuels est limitée à l’hémisphère gauche.
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Rien de tel n’a été observé concernant la représentation de la main au niveau cortical. En d’autres termes, l’épaisseur de la zone dévolue à la sensibilité de la main n’était pas significativement associée à la fréquence des rapports sexuels au cours des derniers mois ou depuis le début de la vie sexuelle. Ceci confirme donc l’existence d’une association spécifique entre le toucher du clitoris et l’épaisseur de la zone corticale dévolue à la sensibilité génitale.
Plasticité cérébrale sensorielle
Cette étude est la première à rapporter que l’épaisseur de l’aire corticale représentant la région génitale de la femme dans le cortex somato-sensoriel varie en fonction de la fréquence des rapports sexuels au cours de l’année écoulée et depuis le début de la vie sexuelle. Ceci suggère l’existence d’une plasticité neurale qui dépend de la pratique sexuelle, selon le principe général selon lequel la plasticité est une réponse adaptative, conditionnée à l’utilisation de la fonction, ce que les Anglo-Saxons résument en parlant de use-it-or-lose-it (utilisé ou perdu).
Cette plasticité cérébrale dépend des influx nerveux qui lui parviennent. Et les chercheurs allemands de signaler avoir antérieurement observé que l’épaisseur du cortex sensoriel dévolu aux parties génitales est diminuée chez des femmes adultes ayant subi des abus sexuels pendant l’enfance. Ce résultat, publié en 2013 dans l’American Journal of Psychiatry, pourrait indiquer qu’une stimulation hautement aversive et inappropriée peut influer sur la représentation corticale sensorielle. La plasticité cérébrale pourrait alors jouer un rôle protecteur pour l’enfant victime d’abus sexuels.
Selon les auteurs, plusieurs mécanismes pourraient contribuer à la plasticité cérébrale associée à la représentation sensitive corticale des zones génitales : formation de nouvelles synapses, croissance de dendrites, augmentation de la myélinisation, connectivité renforcée entre le thalamus et le cortex somatosensoriel.
Représentation génitale féminine dans l’homonculus
Ces expériences de stimulation tactile indiquent que la représentation du clitoris au niveau du cortex sensoriel est située à proximité de celle des hanches et la partie supérieure des jambes.
La première représentation de l’homonculus sensoriel de Penfield et Rasmussen de 1950 indiquait que la zone dévolue à la sensibilité génitale masculine se situe en-dessous de celle du pied.
La silhouette de l’homonculus féminin diffère donc de celle de l’homonculus masculin. Il reste maintenant à la dessiner.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* Activation localisée bilatérale située dans S1 au sein de la partie dorso-latéral du gyrus postcentral.
** Aucune corrélation significative n’a été observée dans l’hémisphère droit, ce qui suggère l’existence d’une variation structurale uniquement d’un seul côté du cerveau. Il n’a pas été observé de différence significative d’épaisseur de cette zone selon le moment du cycle menstruel.
Pour en savoir plus :Knop AJJ, Spengler S, Bogler C, et al. Sensory-Tactile Functional Mapping and Use-Associated Structural Variation of the Human Female Genital Representation Field. J Neurosci. 2021 Dec 10:JN-RM-1081-21. doi: 10.1523/JNEUROSCI.1081-21.2021
Michels L, Mehnert U, Boy S, et al. The somatosensory representation of the human clitoris: an fMRI study. Neuroimage. 2010 Jan 1;49(1):177-84. doi: 10.1016/j.neuroimage.2009.07.024
Kell CA, von Kriegstein K, Rösler A, et al. The sensory cortical representation of the human penis: revisiting somatotopy in the male homunculus. J Neurosci. 2005 Jun 22;25(25):5984-7. doi: 10.1523/JNEUROSCI.0712-05.2005
Heim CM, Mayberg HS, Mletzko T, Nemeroff CB, Pruessner JC. Decreased cortical representation of genital somatosensory field after childhood sexual abuse. Am J Psychiatry. 2013 Jun;170(6):616-23. doi: 10.1176/appi.ajp.2013.12070950